Cette vie était une étrangeté. Elle ne la comprenait plus, mais ce n'était pas comme si Alicent avait déjà compris la vie durant un instant. Ce concept l'a toujours un peu échappée, sauf aux côtés de Rhaenyra. Là où son père avait dicté toute sa vie, avait des plans pour elle, son amie avait été imprévisible et une véritable tempête, largement nécessaire pour la jeune fille qu'elle était. Si elle avait souvent râlé pour la forme, qu'est-ce qu'elle avait été contente d'être entraînée dans les bêtises de la princesse. Peut-être que la vie, c'était ça ? Tout prévoir et se retrouver dans une suite d'imprévus, se perdre dans ceux-ci puis espérer ne pas se noyer entre qui on était et ce qu'on était devenu. Malheureusement, Alicent n'y était pas parvenue. Elle s'était éternellement perdue entre la prévision et les imprévus, sans retrouver un quelconque chemin. Encore aujourd'hui c'était le cas.

Partir de Westeros avait été un choix important, pas aussi aisé à prendre qu'il n'y paraissait. Elle avait dû laisser son ancienne vie d'ailleurs, mais si elle détestait tout ce qui était advenu de sa première existence, c'était la seule qu'elle connaissait. Westeros avait changé, certes, mais elle connaissait toujours ses jeux cruels, elle connaissait les attentes de la cour, du peuple. Elle avait dû dire au revoir à ses enfants, à sa famille. Rhaenyra, encore une fois, avait bouleversé sa vie en lui proposant de partir à Meereen avec elle. Meereen avait était une expérience longue, réparatrice. Pas facile tous les jours, surtout vu les différends subsistant entre les Verts et les Noirs, mais elle avait fait de son mieux. Elle ne pouvait pas réparer sa relation avec la princesse, comme elle ne pouvait changer ce que chacune avait fait. Aucune d'entre elles ne pardonnerait l'autre, c'était une certitude. Mais il était certain que Rhaenyra, à sa grande surprise, avait fait un premier pas vers elle.

Il n'y avait que Rhaenyra pour chambouler la vie d'Alicent. Son départ lui avait laissé un vide mais elle avait été incapable d'accepter sa proposition. Si elle et son mari désiraient régner, grand bien leur fasse. La rousse, elle, avait assez donné. Assez perdu. Les cicatrices à ses yeux s'étaient résorbées grâce à la magie d'une prêtresse rouge mais ce n'était pas pour autant qu'elle était prête à avancer, à être à la merci de son amie d'enfance. Elle lui avait bien montré que la merci n'existait pas. La voir revenir à Meereen, des lunes plus tard, et lui entendre demander son retour... avait été tout autre chose. Elles s'étaient expliquées certaines choses, mais jusqu'à présent, jamais la princesse ne lui avait dit qu'elle avait besoin de son amie. C'était cette nuance qui avait fait flancher le cœur de la Hightower, encore. Personne d'autre n'aurait réussi à la persuader d'une telle faon, sauf son amie d'enfance.

Sa venue à Volantis venait avec des... surprises, dirait-elle. Les premiers jours avaient été calmes, elle était restée enfermée, recevant uniquement des visites de Rhaenyra et Criston, les personnes qu'elle tolérait le plus. Elle avait besoin de temps pour s'acclimater, pour se ressaisir, comprendre ce que son arrivée allait signifier. Elle n'était clairement pas enchantée à l'idée de retrouver Daemon, mais elle devrait faire avec. L'annonce que son père était présent ici aussi était... étonnante. Déstabilisante. Affolante. Ceci lui avait causé de rester quelques jours en plus dans le logement que Rhaenyra lui avait fourni en attendant qu'elle puisse envisager de vivre autrement que comme une ermite.

Visiblement, elle n'était pas la seule à rester enfermée. Si les relations avec Otto n'étaient pas au beau fixe, elle se souciait de son père qui avait passé une année enfermée, selon les dires de Viserys. Finalement, elle avait cédé la première et avait demandé à ce qu'on la conduise jusqu'à lui. Cela l'angoissait, alors elle grattait la peau de ses doigts nerveusement, rongeait ses ongles tout au long du trajet, puis elle resta longuement plantée devant la porte. Elle pouvait toujours fuir si elle le pouvait. Elle pouvait retourner de son côté, ignorer son père. Elle pouvait aussi partir loin, très loin, avec Criston Cole. Mais cela n'arrangerait jamais rien, n'est-ce pas ? Fuir n'était plus une option. Alors, elle frappa à la porte.

-Père ? C'est Alicent, je... ouvrez-moi, je vous en prie. J'ai à vous parler, urgea-t-elle.

Peut-être qu'elle craignait que son paternel éprouva de la rancœur envers elle, à présent, alors qu'il lui avait manqué malgré tout.

Ft. @Alicent Hightower

Cette vie était un foutoir sans nom et en même temps... Alicent avait l'impression d'enfin réparer quelque chose, elle qui avait toujours eu l'impression de détruire sans le vouloir. D'abord elle se détruisait les ongles puis la peau de ses doigts, ensuite sa relation avec Rhaenyra, celle avec son père, avec ses enfants... Tout avait été détruit à chaque décision, chaque mot, chaque cri de dragon. Bien sûr, elle ne s'en sortirait pas aisément non plus dans cette nouvelle vie. Cela faisait bien deux ans qu'elle était de nouveau en vie et tout ne s'était pas arrangé mais il y avait une amélioration. La rousse pouvait se montrer particulièrement têtue, ce qui s'était longtemps passé avec Rhaenyra et son père à qui elle avait du mal à pardonner. Elle l'aimait, c'était sûr. Mais elle avait toujours eu du mal à comprendre cet homme si éloigné d'elle et pourtant si proche, qui l'avait défendue malgré tout. Peut-être pas assez finalement, ou pas comme elle l'aurait aimé.

Le savoir si proche dans un endroit si loin était très étonnant et perturbant. Elle aurait pu passer tellement de fois devant la maison sans savoir que c'était celle où vivait son père, elle aurait pu... ne jamais le revoir aussi, si elle était restée à Meereen avec Criston. Est-ce qu'Otto allait encore lui dire que l'affection qu'elle éprouvait pour son amie d'enfance était une faiblesse, que ça allait la tuer ? Allait-il encore lui rappeler qu'elle avait été reine et qu'elle avait encore des enfants à protéger ? Ce dernier fait, elle en était parfaitement au courant. Cependant, elle les protégeait d'elle-même en étant ici et elle espérait que ses fils et sa fille vivaient une bonne vie à Westeros et que sinon, ils lui enverraient une lettre, viendraient jusqu'à elle. Maintenant, elle aurait plus facile à envisager les choses autrement. Mais avant, elle avait besoin de régler encore des choses.

Elle avait aussi besoin de son père. Pas autant qu'avant mais si elle voulait être en paix... ça passait aussi par lui. Aujourd'hui, elle mettrait sa propre fierté de côté pour lui parler et s'ouvrir, pour essayer de lui faire comprendre qu'il avait commis des erreurs et qu'elle aussi mais que ce n'était pas impossible de faire mieux. De se pardonner. Elle voulait y croire et croire était une chose qu'elle n'avait plus fait depuis longtemps, c'était une certitude.

Elle eut un sursaut de surprise à la vision de son paternel. Il avait indéniablement changé depuis leur dernière rencontre et cela la peinait. Voici encore une chose qu'elle avait raté : soutenir son père lorsqu'il en avait besoin parce qu'un océan les séparait, parce qu'elle était fermée à toute idée de le revoir, de revenir à Westeros. Elle entra alors à petits pas et tandis qu'il lui posait une question et présentait ses condoléances pour Aegon, la rousse s'empara des mains de son père et les serra doucement dans les siennes.

-Je crains que jamais personne n'arrivera à sauver Aegon de lui-même. Je suis navrée de ne pas avoir été là pendant tout ce temps et pour... pour le voir une dernière fois, elle déclara avec des larmes qui perlaient à ses yeux. Comment allez-vous, père ? Rhaenyra m'a racontée pour votre emprisonnement et votre venue... inattendue à Volantis. Elle m'a racontée quelques bribes d'histoire mais je veux entendre ce vous avez à raconter... et à me dire, tenta-t-elle en plantant son regard foncé dans celui d'Otto.

Le contact de leurs mains la rassurait un peu, bien qu'elle espérait qu'il ne fasse pas une autre remarque sur ses doigts abîmés et qu'il profiterait aussi de ce geste si peu familier mais si réconfortant.

Ft. @Alicent Hightower

Malgré la certaine rancœur ressentie, Alicent ne détestait pas son père. Otto avait ses défauts mais il avait été là, à sa propre manière. Ce qu'il s'était passé c'était que comme toutes les petites filles, elle avait été déçue de réaliser que son paternel n'était nullement un héros, nullement un sauveur, mais juste un homme qui accomplissait son devoir. Et son devoir c'était de promettre la sécurité des Hightower, de leur maison, leur famille. Les faire prospérer. On pouvait dire qu'il s'était probablement raté à ce sujet mais les évènements avaient aussi dérapé de nombreuses fois, lui échappant des mains. La guerre était certaine mais ce qui s'y déroulait était imprévisible : on ne pouvait évaluer les pertes en avance, on ne pouvait savoir l'impact que ça aurait sur nous. Elle y avait perdu chacun de ses enfants et avait survécu, là où personne n'aurait parié sur la survie de la Reine Verte, celle qui s'était toujours tapie dans l'ombre des Sept, celle qui avait aussi œuvré pour la paix du royaume. Elle avait survécu et ça avait été douloureux, laissé des séquelles à vie ; même après la vie, à voir son visage. Elle ne serait plus jamais réellement heureuse, ne serait plus jamais la gamine qu'elle avait été, à rire dans les couloirs du Donjon Rouge au bras de Rhaenyra... mais il y avait du mieux. La première fois qu'elle avait revu son père, elle n'avait pas été prête à le voir autrement que comme la personne à blâmer pour tous ses malheurs. A présent, elle était prête à revoir son père, l'homme qu'elle avait idolâtré de ses yeux de petite fille.

-Et je suis contente que vous soyez en vie, elle avoua avant de doucement hocher la tête. Je vais mieux.

Sa condition c'était définitivement améliorée en partant de Westeros et même si ses enfants lui manquaient... Elle devait avouer que se retrouver sans eux et passer du temps avec sa meilleure amie d'enfance lui avait permis de retrouver un début de sérénité. Revoir des gens, au contraire, faisaient renaître des angoisses et de la peur et il était certain qu'à la fin de cette entrevue avec Otto, elle ne serait pas aussi bien qu'à son entrée. Sauf qu'elle ne pouvait pas se permettre de passer cette vie cachée derrière Rhaenyra, à espérer que son amie d'enfance fut assez clémente pour la laisser encore un peu en vie. Elle aussi, elle avait des choses à envisager et à terminer.

Un sourire en coin, un peu amusé, apparut sur le visage de la rousse à la mention de la folie d'avoir atterri ici avec Daemon. Le reste de l'histoire, raconté précédemment, la tracassait. Personne n'avait pris la défense de son père ? Pourquoi était-il le seul à avoir été puni ? Les choses avaient assez mal tournées ainsi et perdre Aegon aurait dû être une pénitence suffisante. Mais c'était les cruelles lois de Westeros, où perdre son sang n'était pas un prix suffisant pour assouvir la soif de vengeance des autres.

-N'y avait-il personne pour prendre votre défense ? Vous aider ? Je ne pensais pas que... Aegon causerait encore autant d'ennuis, elle soupira finalement. Mais voyez que Westeros n'a nullement changé mais que nous, nous ne pouvons pas répéter les erreurs du passé, père. Je suis soulagée que vous ayez vu la vérité, malgré les circonstances. Je sais que vous avez vos réserves envers les Targaryen et j'en ai aussi mais... jusqu'à présent, Rhaenyra n'a fait que me protéger. Je n'ai pas été maltraitée jusqu'à présent. Peut-être ne nous traiteront-ils pas toujours chaleureusement mais ils tiennent aussi à cette paix. Nous avons tous perdu de trop pour recommencer, elle affirma.

Bien sûr, jamais personne ne raterait cette nuance de tendresse qui apparaissait dans la voix d'Alicent lorsqu'elle parlait de la princesse Targaryen. Même lorsqu'elle la détestait, dans son ton il y avait cette légère fluctuation de la voix, quelque chose qui laissait entendre qu'elles avaient du vécu et que toute cette haine n'était qu'égale à l'amour qu'elle avait éprouvé et éprouvait toujours, en partie, pour la dragonnière. Oh, elle aurait dû dire oui, à l'époque, de s'envoler sur le dos de Syrax et partir pour Essos, loin de ce monde qui allait les briser... mais même aujourd'hui, dans cette seconde vie, le temps n'était pas pour penser à des "et si". Ils devaient tous avancer.

-Je suis contente de vous voir ici. Je suis désolée de ne pas avoir eu le courage de vous parler avant mais je pensais sincèrement vous détester. Aujourd'hui, je sais que je ne vous déteste pas.

Ft. @Alicent Hightower