Oubliait-on jamais les sensations uniques que l’on pouvait ressentir lorsque l’on se liait à un dragon? Un lien unique qui changeait bel et bien quelque chose au plus profond de votre âme. Tout comme ce cœur avait bel et bien pu battre plus vite que jamais depuis son retour à la vie. Et Viserys Ier Targaryen avait pu ressentir ce bonheur ce sentir ses pieds quitter le sol lors de ce premier vol de dragon après avoir réussis à revendiquer ce dragon, celle qui l’avait appelé à elle. Talāgar était son nom et il pouvait pleinement ressentir toute cette fierté d’être un Targaryen, d’avoir ce feu dans le sang. Il ne pouvait plus prendre le risque de paraître faible et de mener sa famille à la destruction.

Viserys avait fini par retrouver le sol, quittant pour quelques heures son fidèle dragon pour regagner la forteresse de Peyredragon. Pour un instant, un sourire illuminait ses traits naturellement bienveillants. Il avait réussi à revendiquer ce dragon du premier coup, il pouvait en tirer une certaine fierté. Et il était d’autant plus heureux d’avoir pu partager ce moment unique aux côtés de son frère et de sa mère. Il avait permis au temps et au manque de confiance d’abimer ce lien fraternel, aujourd’hui, il réalisait plus que jamais les efforts nécessaires pour tenter de le réparer. Et puis, il y avait sa mère, sa chère mère. Ils étaient si jeunes lorsque le destin l’avait arraché hors de leur vie. Tant d’étapes de leurs vies qu’ils n’avaient pas pu partager avec elle. Cela semblait fou d’être ici, de retour à la vie, entouré de sa famille. Oh si seulement, cela n’avait été que positif. Car il avait bien dû être mis face aux conséquences de son règne divisé entre deux camps, entre sa fille Rhaenyra et les autres enfants qu’il avait pu avoir avec sa seconde épouse. Cette seule pensée retournait encore son cœur, comme son âme. Lui qui avait maintenu la paix hérité de son grand-père, savoir que son propre héritage avait été le déclin funeste de la maison Targaryenne et le sort funeste de sa précieuse fille. Tout comme il était persuadé d’être incapable de pardonner Aegon et Aemond.

Son sourire s'évanouissait petit à petit de son visage, le laissant bientôt à ses plus sombres pensées. Oh pourquoi devait-il être de retour de cette manière ? Confronter à la réalité de la Danse des Dragons. Il n’aurait jamais pu imaginer que tout se terminerait de cette manière. Peut-être avait-il été bien fou de croire que sa famille était enfin unie lorsqu’il s’était laissé cueillir par l’étranger après tant d'années de souffrance et de solitude. Comment pouvait-il encore se faire confiance ? Tout cette connaissance l'entraîne vers le fond, mais il doit être plus fort. Pour Rhaenyra, pour Daemon, pour lui-même. Il pouvait réapprendre à être un fier dragon, pas celui qui avait laissé son envie de paix endormir le sang de feu qui coulait bel et bien dans ses veines. Il était celui que l’on appelait le jeune roi, Viserys le paisible. Un homme dont la véritable tragédie avait bel et bien été celle d’être choisis pour être roi. Lui qui n’avait ni été préparé, ni été fait pour un tel rôle, pour un tel poids sur les épaules. La couronne avait abîmé son âme, l’avait enchaîné à un devoir qui avait bel et bien dû être sa damnation. Alors même qu’il s’était laissé mourir en pleine souffrance après la décès d’Aemma, l’amour de sa vie. Lui qui avait toujours eu le cœur trop bon pour diriger d’une poigne de fer. Il voulait bien faire, il voulait contenter tout le monde. Il s’était affaibli et à la fin, nul ne semblait avoir respecté sa parole. Seule la guerre fratricide avait suivi son règne et sa mort. De ce savoir, il ne voyait même plus l’importance de cette prophétie qui avait régné dans sa vie de jeune roi, la chanson de feu et de glace d’Aegon le conquérant. Rien ne pouvait justifier ce massacre. Rien ne pouvait valoir ce sang coulé.

Et perdu dans ses pensées, Viserys avait bien failli passer à côté de lui sans le voir. Baelon Targaryen, son père. L’homme n’avait pas changé depuis ce jour funeste où la vie leur avait arraché leur père en quelques heures. Ils avaient une nouvelle fois été trop jeunes. Daemon comme lui avait dû devenir des hommes sans la présence de leur père à leurs côtés. Et Viserys s’était vu miser en première ligne pour hériter de ce maudit trône de fer.

Viserys avait relevé le regard jusqu’à lui, presque maladroitement, seulement pour le saluer en passant à ses côtés sur ce pont. Il ne s'attendait à personne en particulier, pourtant il savait qu’il était là, quelque part. Daemon l’avait prévenu du retour de leurs deux parents. Et s’il avait d’abord été presque nonchalant derrière sa naturelle bienveillance, il s’était finalement immobilisé en croisant son regard. Son coeur se serrait et pour un instant, pour un instant seulement, il avait cette folle impression d’être à nouveau cet enfant. Un enfant qui grandissait fièrement dans les pas de son père, suivit tout aussi fièrement par son frère cadet. Il avait toujours voulu voir cette fierté dans le regard de son père, son approbation. Mais il avait été arraché si vivement. Ce n’était pas lui qui avait pu le préparer à être roi. Cette tâche était finalement revenue à la nouvelle main de Jaeherys, Otto Hightower.



Ses mots étaient plus soufflés que parlé. Daemon et Viserys étaient foncièrement différents, bien que frères de sang. Là où son frère cadet était chaotique, Viserys était sensible et posé. Et pour l’heure, Viserys n’avait certainement aucun ressenti contre son père. Il ne ressentait pour l’instant que de l’appréhension. Il avait déjà affronté le regard de sa fille, de son frère et même celui de sa mère. Était-il prêt à également affronter le regard de son père ? D’y voir certainement de la déception. Car il avait échoué, il le savait. Il avait échoué à protéger la maison du Dragon par delà sa mort. Il avait été trop bon, trop faible.



Il rajouta ses quelques mots avec une certaine appréhension. Oh bien sûr, son père aurait certainement eu du mal à le reconnaître; De son côté, il était tel qu’il était lorsqu’il les avait quitté. Mais lui ? Il n’était plus un enfant. Il était même bien plus vieux que lui, à présent. Un vieil homme qui avait vécu et eu son propre lot de souffrance. Aujourd’hui, il se tenait pourtant bel et bien devant lui, rajeunit de quelques années, débarrassé de cette maladie qui l’avait dévoré vivant durant les dernières années de sa vie.



Il y avait toujours cette lumière en lui, cette bienveillance qui tentait toujours d’apaiser l’atmosphère pour autrui. Il continuait pourtant bien vite, relevant légèrement la tête.



Oh voilà une parole qu’il n’avait encore jamais prononcé à quiconque, ni à sa fille, ni à son frère. Pourtant, cette pensée pesait lourdement dans son cœur.