i need my golden crown of sorrow
The very thing you're best at is the thing that hurts the most You need your rotten heart, your dazzling pain like diamond rings You need to go to war to find material to sing I need my golden crown of sorrow, my bloody sword to swing My empty halls to echo with grand self-mythology I am no mother, I am no bride, I am king
JOUR 12, LUNE 9, ANNÉE 875
La reine de Volantis inspire profondément, elle emplit ses poumons d'air mais le poids sur sa poitrine ne s'évapore pas. Les hommes parlent autour de la table et Rhaenyra écoute à peine, ses pensées sont loin, elle est perdue dans ses songes et cette inquiétude qui pèse au creux de son estomac, qui lui tord les entrailles, qui lui serre la gorge et presse contre sa poitrine. La main de Viserys, son dernier fils avec Daemon, se pose sur la sienne et elle relève les yeux vers lui.
« — Are you alright, mother? »
La valyrienne répond d'un hochement de tête, un sourire prend place sur ses lèvres pour le rassurer et elle reporte son attention sur l'échange concernant les taxes maritimes. Son fils mène le débat plus qu'elle, il en a certainement discuté avec son épouse, Larra Rogare, avant le conseil de ce matin et elle a toute confiance en lui. En quelques instants, ses pensées s'éloignent à nouveau de là où ils sont, elles s'envolent vers Qohor où se trouve Daemon. Elle lui a interdit de partir, de s'impliquer dans un conflit qui n'est pas le leur et il est parti quand même. Il est parti à nouveau. La pensée la meurtrie alors qu'elle ne sait que trop bien que tout n'est que tragédie lorsqu'il est loin d'elle et elle redoute que l'histoire se répète à nouveau. Il leur a fallu neuf lunes pour reconstruire la confiance d'autrefois entre eux, jusqu'à la naissance de leur fille, Visenya et durant plus d'une année, ils ont été plus soudés qu'ils ne le furent jamais mais Daemon reste Daemon. Elle aurait dû savoir que la politique ne l'occuperait qu'un temps, qu'entrainer des esclaves soldats finirait par l'ennuyer et qu'il lui faudrait sentir à nouveau l'adrénaline des combats, des véritables combats, à un moment où un autre. Il n'a jamais été fait pour vivre en cage.
Rhaenyra ferme les yeux un instant, prise de nausées. Elle secoue légèrement la tête et se lève de la table.
« — Enough for today! »
Abruptement, elle met fin aux discussions et ses pas la mènent hors de la pièce sans attendre. Sa marche est rapide, sa main se pose contre sa poitrine et elle cherche à aller au plus vite vers ses appartements, pousse la porte et sans attendre, elle se penche au-dessus d'une bassine quelques instants et laisse sortir tout ce qui a besoin de sortir. Quand elle se redresse, elle fait face à son reflet dans le miroir. Son teint est pâle, presque livide et elle passe sa main sur son visage quand une esclave entre. Le valyrien roule sur sa langue lorsqu'elle lui ordonne de nettoyer pendant qu'elle-même passe un peu d'eau sur les lèvres pour se laver, elle se rafraichit au passage puis s'assoit sur le bord du lit. Ses doigts triturent les draps quelques instants puis elle pose sa main contre son ventre. Daemon est loin, elle est seule pour faire face à l'évidence qu'elle nie depuis plusieurs jours. Ses peurs sont amplifiées, ses émotions semblent plus intenses, sa poitrine plus douloureuse et les nausées ne trompent pas. Pas plus que le léger gonflement de son ventre que personne n'a remarqué, pas même son oncle-époux la dernière fois qu'il l'a serré contre lui. Il lui faut l'admettre, elle porte en elle un nouvel enfant.
Ils ont été imprudent. Il y a une année, Daemon lui a dit qu'il n'en voulait pas d'autre, pas pour l'instant parce qu'il redoutait de la perdre durant la naissance et maintenant, alors qu'il est parti au combat, c'est elle qui redoute de le perdre. Rhaenyra ferme les yeux, inspire profondément pour se reprendre. Ses nuits sont hantées, remplies de cauchemars à nouveau depuis que Daemon est parti et elle perd pied. Deux années se sont écoulées durant lesquelles elle a tenté d'avancer, de guérir mais les peurs ne sont jamais loin, les traumatismes du passé ne s'évaporent pas aisément. Lorsqu'elle s'endort, c'est les corps de ses enfants qu'elle revoit, c'est la voix d'Alicent qui l'entend et qui l'accuse et lorsqu'elle appelle Daemon, il ne répond pas, il n'est pas là, il est parti à nouveau et elle est seule. Abandonnée. Et Alicent lui dit encore que c'est sa faute. Elle voit ses fils Velaryon, le teint livide, leurs corps disloqués, tordus et leur sang qui s'écoule sur le sol en pierre, jusqu'à ses pieds. You did this, l'accuse Alicent chaque nuit depuis le départ de Daemon. Parfois même lorsqu'il est là mais elle a au moins le loisir de se réfugier contre lui, dans la chaleur de ses bras pour se rappeler qu'elle n'est pas seule. It's all your fault, continue parfois son amie d'enfance devenue ennemie. Elle aussi l'a abandonné, plus d'une fois. Elle l'a abandonné à Meereen, lorsque Rhaenyra cherchait la force de lui pardonner pour retrouver une amie qui n'existe plus. Seulement, Daemon est parti, Alicent l'a abandonné et elle est seule à nouveau. Comme autrefois.
La souveraine de l'antique Cité Libre se lève à nouveau, sa main toujours contre son ventre pour marcher à travers ses appartements. Elle perd pied. Elle s'approche de la table et remplit une coupe de vin qu'elle boit sans attendre. Il lui faut trouver Jacaerys, il lui faut s'appuyer sur son ainé et héritier pour l'heure. Elle abandonne ses appartements avec l'intention de trouver Jace quand elle se demande si ses autres enfants sont en sécurité. Parfois, si elle écoutait les peurs qui vivent encore en elle, elle les enfermerait entre les murs du palais pour que rien ne leur arrive. Le monde extérieur est dangereux et à la fois, peut-elle les empêcher de vivre ? Ils ont une deuxième chance, une chance de vivre véritablement et elle ne peut pas les en priver.
Un moment, elle se demande comment son père a fait lorsqu'elle était jeune, comme il a pu ne pas trop s'inquiéter en permanence qu'il lui arrive quelque chose et elle pourrait le lui demander, traverser le palais jusqu'à l'aile où il réside mais sa fierté la retient. Aller le voir signifierait lui confier ses doutes, ses craintes et surtout, qu'elle est perdue en l'absence de Daemon et que la solitude est pesante sans lui, sans amis près d'elle. Mais elle ne veut pas détruire le lien qui renait entre son père et son oncle. Elle ne croit pas non plus que son père puisse un jour comprendre ce lien particulier qui l'unit à Daemon.
Il fut un temps où elle vivait avec son absence, où il allait et venait sans cesse et elle se devait de vivre avec ce fait car il était chassé sans cesse par son père pour une offense ou une autre, parce qu'il n'aimait pas la cour ou rester au même endroit. Parce qu'il n'avait pas de foyer. Puis elle avait connu dix longues années sans lui avant qu'il ne revienne. Elle lui avait alors offert un foyer et une famille auprès de laquelle revenir, un endroit où sa présence était souhaitée et nécessaire jusqu'à la mort du roi Viserys, jusqu'à ce qu'elle perde leur enfant et qu'Aegon usurpe son trône. La mort de Lucerys l'avait brisé et d'un époux, Daemon était devenu un pion, un outil qu'elle avait utilisé et envoyé loin d'elle car elle n'avait plus la force d'affronter ses colères, de supporter ses reproches et ses mots qui la blessaient comme ceux de personne. Et pour lui tout comme pour elle, la solitude avait été insupportable, les avait mené à leur perte. Elle avait enchainé les mauvaises décisions, elle avait tout perdu. Port-Réal, le trône, ses enfants et ensuite, la vie. Tout devenait une tragédie lorsque Daemon l'abandonnait.
Aujourd'hui, rien n'a changé, il semblerait. Elle n'est plus une enfant, elle n'a plus besoin qu'il la guide mais elle a besoin de pouvoir se reposer sur lui comme elle l'a fait ces dernières lunes, comme elle l'a fait depuis leur retour d'entre les morts et il n'est pas là. Il risque sa vie et pour quoi ? L'adrénaline des combats ? Pour du sang et de la violence ?
« — Your Grace? »
La voix vint d'en-bas alors qu'elle passe dans le couloir ouvert sur les jardins en contrebas et là, dans le chemin de marbre qui traverse les jardins, se tient un esclave soldat au visage marqué de rayure de tigre verte pour marquer son appartenance à cette classe dont il tire sa fierté. Elle s'approche de la balustrade et l'écoute lui parler en valyrien, avec ce fort accent qu'elle n'a jamais entendu à Westeros.
« — Someone is asking for an audience. »
Rhaenyra approuve, elle ira trouver Jacaerys plus tard. Il lui faut contenir ses doutes et ses craintes encore un moment. Elle inspire à nouveau malgré le poids sur sa poitrine et se détourne de sa destination initiale pour changer de trajectoire et gagner la salle du trône avec l'esclave qui la guide. Il ouvre les portes et elle traverse la pièce vide vers le deux trône, les mêmes qui ont autrefois appartenus aux Triarques qu'elle a fait brûler vif dans cette même pièce. Elle a seulement retiré le troisième trône pour ne laisser que le sien et celui de Daemon. Si elle siège souvent seule, si la politique l'ennuie, son oncle-époux est pourtant le roi de ces lieux autant qu'elle en est la reine. Mais gouverner n'a jamais réellement intéressé le Prince Vaurien, même si elle en a douté plus d'une fois, il n'a jamais voulu rien d'autre que le foyer qu'elle lui offre et qu'ils construisent ensemble. Une famille auprès de laquelle reste ou revenir, auprès de laquelle il aurait toujours sa place. Seulement, c'est lui qui est parti cette fois. Il reviendra, Rhaenyra le sait. Mais en attendant, elle s'inquiète et elle reste seule. Elle reste seule parce qu'elle a refusé de le suivre et peut-être, après cette audience, lui faudra-t'il laisser Volantis entre les mains de Jacaerys pour s'envoler vers Qohor.
Les doigts de la reine passent sur le tissu de sa robe écarlate pour la lisser, ses cheveux d'argent sont noués en arrière où quelques tresses s'entortillent et se mêlent à la manière des valyriens autrefois et ses yeux lilas observent l'entrée d'où elle s'attend à voir entrer le sujet qui demande à la voir, elle s'attend à une entrevue brève mais certainement pas à ce qui arrive. Certainement pas à l'arrivée d'une Fidèle de Trios qui demande qu'elle prenne soin de la reine dont elle prendra l'apparence. La reine Daenerys Targaryen, dernière souveraine de leur dynastie et dernière Targaryenne avant qu'ils ne s'éteignent. Surprise, Rhaenyra ne peut refuser. Elle a lu, lorsqu'elle vivait encore à Peyredragon avec la reine Visenya, désormais défunte, l'histoire de leur dynastie et la manière dont sa dernière descendante a connu sa fin de la main de Jon Snow. Les bâtards ont toujours eu une nature déloyale, la reine l'a appris à ses dépends quand Ulf le Blanc et Hugh Marteau se retournèrent contre elle, lorsqu'Addam Velaryon prit la fuite ou qu'elle crut qu'Orties avait partagé le lit de son époux mais surtout, qu'elle s'était emparée de son cœur. Quelle importance, à cette époque, qui partageait le lit de Daemon quand elle n'y allait plus ? Seulement son cœur ne pouvait appartenir à une autre, sa loyauté et son amour ne pouvaient pas être donnés à une bâtarde ou à aucune autre. Elle n'avait appris que dans cette nouvelle vie qu'elle avait eu tort pour Orties mais cela, en aucun cas, n'avait changé son point de vue sur les bâtards. Jon Snow était peut-être un fils légitime mais il avait été élevé comme un bâtard, sa loyauté pouvait être questionnée aisément. Tout comme celle du bâtard de Maegor qu'elle abrite entre ces murs comme son maître des chuchoteurs. Tybalt Blackdread n'est pas un homme en qui elle a confiance, elle se méfie de lui tout comme elle se méfie d'Otto Hightower qui vit dans une résidence à quelques rues du palais, sous la surveillance étroite de son petit-fils Aemon Targaryen, fils de Viserys et de Lady Larra.
Pourtant, malgré sa tendance à la méfiance, elle veut croire la Fidèle qui s'apprête à sacrifier sa vie pour une autre reine Targaryenne après les longues paroles qu'elles échangent pendant près d'une heure avant que la souveraine décide de la mener dans des appartements de l'aile nord du palais, celle qu'elle réserve aux invités. Là, à quelques mètres de la chambre où elle installe la jeune femme, réside Rhaegar Targaryen et son neveu, le fils du Prince Viserys qui a entrainé Daemon dans son combat, dans une guerre par ambition.
La jeune femme s'installe dans le lit, remercie une dernière fois Rhaenyra et elle ferme les yeux en murmurant quelques paroles que la valyrienne ne peut pas entendre. Elle l'observe, elle attend un moment et pendant son attente, elle réalise que l'arrivée de cette femme lui a permis de se reprendre, d'oublier un moment le poids sur sa cage thoracique qui l'empêche de respirer convenablement et d'oublier l'enfant qui grandit en elle et dont elle seule connait l'existence.
L'attente prend fin lorsque la reine voit le visage de la jeune femme disparaitre. Elle observe le corps de la Fidèle de Trios qui change d'apparence et si elle n'attend à voir un véritable changement, une vraie transformation, il lui semble seulement que sa vision se brouille, que la silhouette devient flou et quand elle retrouve sa netteté, elle ressemble à une autre femme. À une Targaryenne en tout point. Rhaenyra se rapproche et tire le fauteuil léger près du lit pour s'assoir près de celui-ci tandis qu'une esclave entre et, comme elle le lui a ordonné plus tôt en menant la religieuse ici, l'esclave apporte du vin et un repas chaud pour quand la reine Daenerys s'éveillera.
À nouveau seule, elle observe le visage de sa descendante et sa beauté est impossible à nier mais trop de générations les séparent pour qu'elle trouve chez elle une véritable ressemblance avec ses fils ou elle-même si ce n'est la couleur argentée de ses cheveux. Elle a tant appris sur cette femme, elle a vu l'héritage qu'elle a laissé à Meereen et plus elle a lu son histoire, plus Rhaenyra a songé qu'elle n'a jamais eu sa place à Westeros. Elle aurait dû rester à Meereen et régner. Elle aurait peut-être vécu plus longtemps.
Lorsqu'elle-même était encore à Westeros, avant qu'elle et Daemon décident de partir s'installer à Meereen, avant qu'ils décident de conquérir Volantis pour y construire leur propre dynastie et laisser leur héritage, Rhaenyra a vu dans les yeux des seigneurs de la curiosité et de la peur à leur égard, parce qu'ils chevauchent des dragons mais aussi parce qu'ils sont morts et revenus à la vie. Elle a su, dès lors, qu'une guerre subviendrait et qu'il lui fallait sauver sa famille, partir avant les premiers bains de sang et désormais, la mort de Visenya vient prouver qu'elle a eu raison. Un millénaire après la disparition de Valyria, le continent porte encore les marques de l'héritage qu'elle a laissé et il y a plus de places ici pour des seigneurs-dragons et leurs montures qu'il n'y en a jamais eu à Westeros. Pourtant, ce sont les routes du roi Jaehaerys que les hommes empruntent là-bas, le Donjon Rouge d'Aegon et de Maegor dans lequel ils vivent, les régions découpées par le Conquérant qu'ils utilisent encore mais la religion des Sept est encore omniprésente, elle se mêle à l'héritage des Premiers Hommes et des Andals et les valyriens n'y eurent jamais leur place. Trop libres, trop différents, ce ne fut que la Chanson de la Glace et du Feu qui les retinrent de l'autre côté du Détroit mais aujourd'hui, Rhaenyra a la profonde conviction que leur place se trouve réellement que de ce côté de la mer.
Ses yeux lilas se reposent sur le visage de sa descendante quand elle la voit s'éveiller enfin, revenir parmi les vivants et elle se redresse légèrement dans le fauteuil, sa main s'éloigne de son ventre pour ne rien laisser paraitre derrière la masque de la reine Rhaenyra de Volantis.
« — Welcome back in the world of the living, princess Daenerys. »
by CrimsonTulip