Dans la vie, il y avait ce pour quoi l’on était naturellement doué, et ce, pour quoi l’on ne l’était pas. Et visiblement, tout ce qui était du domaine d’activités plus cérébrales, n’était pas d’un domaine appréciable pour Tybalt Waters.

Le jeune homme avait grandi dans la rue, après tout. Le plus souvent seul, se débrouillant pour survivre dans le chaos de Culpucier. Ce n’était, assurément, pas sa mère qui lui aurait appris quoi que ce soit. Cette dernière était de toute manière une ombre dans sa vie qui n’avait été que très peu présente. Ce n’était donc pas en grandissant dans la rue ou entre les bordels des bas-quartiers de Port-réal que le jeune homme aurait appris à être un grand lecteur ou un grand penseur. Non, lui, il survivait et volait ou se battait pour survivre. Il était le genre à penser que tout pouvait se résoudre par la force.

Mais cette seconde chance offerte par un culte auquel il ne s’était pas intéressé le moins du monde, il avait vu sa trajectoire de vie changer du tout au tout. Et si, par la passée, ses lacunes n’avaient pas posé de problèmes, aujourd’hui, cela pourrait rapidement se faire remarquer. En effet, lorsqu’il tenait d’une main de fer Culpucier comme un véritable despote, personne ne lui avait demandé de lire un manuel de loi sur la bonne manière de régner. Non, ici, seule la loi du plus fort comptait. Et de toute manière, qui savait réellement lire ou écrire dans les dédales des bas-quartiers ? Il faisait finalement même partie du haut du panier en sachant un minimum déchiffrer une note et écrire. Savoir qu’on lui avait brièvement enseigné dans la rue. Mais lire n’avait jamais été quelque chose qu’il avait souhaité développer, tant cela lui paraissait ennuyant. Il était un homme d’action, pas l’un qui aimait se poser pour réfléchir et lire un livre bien trop volumineux et compliqué.

Aujourd’hui, pourtant, il aurait peut-être aimé que tout ceci soit différent.

Tybalt était debout dans l’une des bibliothèques du palais royal de Volantis. Il était assuré qu’il était seul dans un premier temps avant d’attraper un livre au hasard. Il avait un problème et il devait le résoudre. Tout seul. Bien sûr tout seul. Car sa fierté était également un frein. Il détestait par-dessus tout devoir admettre ses faiblesses et son manque cruel d’éducation.

Au fond, il savait lire. Du moins, il déchiffrait assez bien ce qui pouvait être retranscrit sur une feuille. Il lisait juste assez lentement, car justement, il déchiffrait plus qu’il ne lisait. Alors, ce n’était pas réellement un souci pour ce qu’on lui demandait de faire. Il avait les connaissances d’une vie entière pour savoir comment fonctionnait le centre-ville et ses dédales. Il savait repérer les informations intéressantes à faire remonter. Il savait repérer qui dirigeait quoi et qui était important à suivre ou non. Il savait qu’il avait les compétences nécessaires pour faire office de maître des chuchoteurs. Car il connaissait les codes et de fait, il avait un talent naturel pour créer un véritable réseau d’informateurs. Non, le problème était ailleurs.

Jusqu’à aujourd’hui, il avait pu éviter de faire repérer ses soucis. Mais que se passerait-il le jour où on lui demanderait réellement de lire à voix haute quelque chose au conseil ? Il voyait déjà ces idiots se moquer de lui. Et Tybalt ne voulait pas leur donner cette chance. Il n’était peut-être pas l’homme le plus brillant du monde – loin de là même – mais il était intelligent à sa manière. Il savait arriver à ses fins. En quoi ça pourrait donc mal tourner ? Il avait déjà fait de brillants efforts en apprenant les rudiments du valyrien. Il s’améliorait quoi qu’il fût certainement un élément explosif et dangereux pour tout mestre qui essayait de lui faire rentrer quelque chose dans le crâne. Il était toujours trop impulsif, il voulait que tout aille vite, mais le savoir requérait une patience qu’il n’avait naturellement pas.

Alors seul, il s’exerçait à la lecture.

Le ton de sa voix était incertain, lent et trahissant pourtant une véritable frustration. Il butait sur certains mots et s’il souriait en arrivant à lire rapidement une phrase, il perdait rapidement son sourire en se rendant compte que ce qu’il venait de dire n’avait aucun sens.

Ne pouvait-il pas avoir un serviteur pour lire à sa place ? Ah non, son but était de faire croire qu’il avait toujours su lire avec fluidité et assurance. Sa frustration montait à chaque erreur, à chaque blanc devant lequel il se retrouvait. Il soupira finalement, fermant un instant les yeux, contractant la mâchoire, l’arrête de son nez se rétractant légèrement à son tour. Il était clairement à bout.



Son naturel revint d’un coup lorsqu’il envoya valser le livre plus loin qui rebondit contre l’étagère pour ensuite venir tomber par terre.



Il manquait assurément de vision plus lointaine. À ses yeux, la lecture était purement sommaire, un simple échange d’informations qu’il préférait généralement avoir de vive voix. Il n’avait naturellement jamais lu pour le plaisir. Il trouvait même étrange que l’on puisse lire par plaisir.

Mais il devait bien y arriver. Il n’avait pas envie de faire honte à son père. Il devait fournir des efforts. Et cela voulait également dire aller contre ses propres démons. Car oui, il considérait la lecture comme un véritable démon. Il était bien plus plaisant de se battre ou de voler le premier venu. Plus simple aussi. Soupirant lourdement, il fit finalement le tour de la table pour ramasser ce livre qui n’avait finalement rien demandé et se retrouvait bien malmener pour le simple crime d’avoir été le premier trouvé par Tybalt.

Tout en se tournant avant de se baisser pour le ramasser, l’homme se raidit légèrement. Il n’avait pas entendu le moindre pas pourtant ?! Il fronça légèrement les sourcils en découvrant les traits de Lucerys Targaryen en personne, l’un des fils de la reine. Il ne lui avait encore jamais parlé, contrairement au plus jeune frère de ce dernier, Joffrey. Cette famille était assez compliquée à suivre quand on y regardait de plus près, mais il s’y était fait. Non, pour l’heure, il devait seulement se méfier d’une chose. Il ne connaissait pas bien le jeune homme, mais une chose était certaine, il n’avait pas envie que tout ceci traîne jusqu’aux oreilles de Rhaenyra Targaryen. Elle n’avait déjà pas l’air de le respecter, si en plus elle découvrait qu’il savait à peine lire. Et si elle le renvoyait pour ça ? Au fond, il n'aurait pas dû trop s’en faire de ce job, mais il n’avait vraiment pas envie de décevoir son père. C’était la première fois qu’il avait quelqu’un plus haut que lui dans sa vie. Quelqu’un vers qui il pouvait se tourner en espérant voir la fierté dans son regard.



Il eut un faible sourire, ses mots sonnaient quelque peu faux. Il était nerveux, cela se sentait. Embarrasser aussi. Il n’aimait pas l’idée qu’il puisse se moquer de lui. Car que pourrait-il faire contre lui ? Baisser la tête comme un abruti ? Cela ne lui ressemblait pas. Pourtant s’en prendre à l'un des fils de la reine était clairement l’une de ces nombreuses choses pour laquelle sa tête aurait fini sur une pique. Après tout, le jeune homme ne semblait nullement mauvais, peut-être pourrait-il même négocier avec lui.

Un livre pouvait assurément être une arme affûtée dans la main de quelqu’un sachant l’utiliser. On pouvait même aller loin avec une plume tout aussi affûtée. Le savoir était un pouvoir à manier avec attention. Mais pour un homme comme Tybalt ? Lui, son pouvoir il l’avait arraché à la force de ses poings. Il s’était sorti de la misère en misant sur ses bonnes paroles comme sur sa colère noire qui s’abattait sur ceux qui se tenaient sur son chemin. Il n’était pas un homme de lettres. Il était celui qui avait des difficultés pour lire comme pour écrire. Un petit dragon bâtard qui avait été élevé seul dans la rue, fils abandonné par son Targaryen de père. Fils issus d’une prostituée de Culpucier qui n’aurait jamais le temps ou la volonté de s’occuper de lui. Et qu’aurait-elle pu faire de lui ? Tybalt avait toujours eu beaucoup de colère en lui. Et il s’était élevé dans leur misère en nourrissant sa propre mégalomanie. Il s’était accroché à la légende de son père absent. Il s’était construit un véritable royaume autour de lui. Et il avait vécu sa vie en ne reculant jamais devant quoi que ce soit. Mais il était aussi un véritable tyran pour ce qu’il possédait. Paranoïaque envers ceux qui lui manquaient de respect, ceux qui auraient pu lui arracher ce pourquoi il s’était tant battu. Ceux qui auraient pu enlever tout ça à son fils. Et ironiquement, ce tempérament de feu avait fait de lui cet homme instable que même ses plus proches avaient fini par craindre. La mort l’avait ainsi épris dans son jeune âge, laissant un jeune enfant derrière lui. Celui pour qui il s’était promis d’être présent contrairement à son propre père. Il avait été si certain que son fils le rendrait fier, qu’il serait le plus grand à Culpucier, qu’il serait un véritable roi ici. Mais de cette vie entière, Tybalt n’avait jamais saisi l’intérêt même de la lecture. Et une fois la surprise dépassée, il écouta les propos de Lucerys.

Et à sa première phrase, Tybalt eut un sourire tout en penchant légèrement la tête. Il ne l’aurait jamais avoué à voix haute, mais cela lui faisait toujours quelque chose d’entendre quelqu’un l’appeler oncle. Oh, on pouvait aisément voir en lui un homme hyperactif et en colère. Un homme instable qui avait bel bien été ce tyran qui avait tenu Culpucier d’une poigne de fer. Mais au fond de lui, il y avait encore cet enfant qui avait été abandonné. Celui qui avait toujours rêvé faire partie d’une famille. De cette famille, des Targaryen. Il semblait toujours incroyable qu’il puisse avoir une seconde chance, qu’il puisse rencontrer Maegor. Et maintenant, il œuvre dans le royaume de Rhaenyra Targaryen. La seule chose qui lui manquait était Asterion, son fils. Il aurait aimé l’avoir à ses côtés, pouvoir lui présenter cette famille dont il lui parlait certains soirs pour l’aider à s’endormir. Il y en avait toujours deux face à un homme. Tybalt était toujours capable du pire comme du meilleur. Alors il observait le jeune prince, affichant un fin sourire en coin. Il écoutait ses propos, penchant légèrement la tête tandis qu’il haussait ses sourcils.



Un fin sourire amusé sur le visage, il eut un petit rire. Oh Tybalt avait du mal à rester sérieux, comme il avait dû mal à rester concentré. Surtout lorsque le sujet ne le motivait pas particulièrement. Cela semblait bien différent avoir ses missions comme maître des chuchoteurs. Pour ça, il était toujours motivé. Premièrement parce qu'il voulait rendre fier son père. Ensuite, parce qu’il aimait se mêler de ce qui ne le regardait pas toujours. Il aimait secouer les bonnes paroles pour avoir un son de cloche sur ce qu’il pouvait bien se passer dans les bas-fond de la ville. Mais il devait apprendre à lire. Oui. Il ne voulait pas laisser la moindre chance aux membres de ce conseil restreint de pouvoir se moquer de lui. Et puis, il ferait assurément encore mieux son boulot s’il pouvait lire et écrire lui-même. Il y avait de ça aussi. Mais surtout, il pensait à sa réputation.

Le petit dragon de Culpucier suivait Lucerys du regard, laissant le plus jeune l’approcher. Il écouta une nouvelle fois ses quelques mots. Oh il notait aisément que le plus jeune s’exprimait avec facilité et une certaine éloquence. Tybalt avait souvent su séduire son auditoire, comme lorsqu’il avait construit une vraie petite cour autour de lui à Culpucier. Mais il s’exprimait comme un garçon des rues. Il n'utilisait pas de tels mots, et s’il les avait employés, il aurait assurément risqué de mal le faire, trahissant le fait qu’il les comprenait à peine.



Il lui lança un clin d'œil, affichant un fin sourire qui montrait toute sa fierté. Oh il y avait tant de choses qu’il cachait derrière ce sourire.



Maîtriser l’image que l’on renvoyait, Tybalt maîtrisait particulièrement cet art. C’était bien comme ça qu’il avait réussi à contrôler la ville la plus incontrôlable des terres de la Couronne de Westeros. Certains le craignaient, d'autres le sous-estimaient. Et au final, les deux parties faisaient encore fausse route. Mais Lucerys semblait avoir un autre don, celui de le surprendre. Car après l’avoir littéralement surpris dans cette bibliothèque, voilà qu’il le surprend avec cette proposition. Tybalt fronça un instant les yeux, comme soupçonnant qu’il puisse se moquer de lui avant de poser ses pupilles d’un vert d’eau sur ce dernier. Il inspira longuement, semblant mentalement peser le pour et le contre de sa proposition. Oh devait-il vraiment y penser ? Il ne semblait arriver nulle part tout seul. Et puis visiblement, fixer une feuille ne lui apprenait nullement à lire.



Tybalt pouvait être un véritable pipelette. Pour un homme qui avait des difficultés pour lire et écrire, n’en avait aucune pour parler. Il avait même cette habitude de parler assez vite et avant une certaine intensité dans la voix. Un sourire en coin était toujours présent sur son visage. Il écouta sa question, contractant légèrement sa mâchoire. Il sembla hésiter. Il avait envie de minimiser, dire qu’il n’avait aucun problème à connaître l’alphabet. Mais Lucerys savait déjà qu’il avait des difficultés à lire, non ? C’était bien pour ça qu’il voulait l’aider. Il inspira longuement, haussant les épaules d’un air quelque peu perdu.