❝ j'ai volé le lit de la mer ❞ ft. Maegon Velaryon

Les yeux fermés, Daelina Velaryon écoutait le son des vagues qui venaient s'écraser contre la roche, contre la façade extérieure du château de Lamarck. La mer l'appelait, elle murmurait son nom et elle résistait à cet appel mais cela devenait de plus en plus difficile chaque jour. Plus encore quand elle entendait ses conseillers parler durant des heures de choses qui l'intéressaient peu, comme à cet instant. La voix du vieil homme était loin et distante et elle n'entendait que la mer qui criait son nom chaque fois qu'elle frappait la pierre. Une profonde inspiration et elle revint à ce qu'on lui disait, elle étira un sourire et hocha péniblement la tête pour acquiescer.

« — My husband will take care of it, my lord. »

Elle répondit, balayant le sujet d'un geste de la main. Elle ignorait quand Torgen reviendrait mais lorsqu'elle songeait à lui, elle l'enviait. Il était libre d'aller où bon lui semblait, libre de prendre la mer et de disparaitre des jours ou des lunes durant tandis qu'elle, si elle étendait un peu trop sa sortie matinale, elle inquiétait désormais ceux qui veillaient sur elle et le conseillaient. Son ancienne vie lui manquait, elle aspirait à explorer le monde, à voguer sur les mers du monde entier. Plus jeune, elle avait déclaré qu'elle irait sur chacune d'entre elles et il y avait encore tant d'endroit qu'elle n'avait pas vu, tant de mers et d'océans sur lesquels elle n'avait pas navigué. Cette vie était pourtant derrière elle, elle était vouée à la terre maintenant.
La conversation prit fin, elle renvoya son entourage et ils quittèrent tous la salle, elle poussa un profond soupir avant d'observer la robe qu'elle portait. Où était passé ses pantalons, les chemises et les longs manteaux qu'elle portait en mer ? Il y avait un an qu'ils étaient enfermés dans une malle et qu'elle ne les portait plus. Elle se leva de la chaise qu'elle occupait encore autour de la table désormais vide et sortit à son tour pour quitter le château, il lui fallait prendre l'air et marcher un peu. Alors comme chaque fois qu'elle avait un peu de temps libre, ce fut dans le port de Carène, au pied du château de Lamarck, qu'elle se rendit.

Le matin, la Velaryon se joignait souvent aux pécheurs et lorsqu'elle ne le faisait pas, elle partait seule pour faire le tour de l'île avant de revenir. Elle avait rarement le temps d'en faire entièrement le tour mais elle n'avait pas le temps non plus de s'éloigner de la côte. Partant à l'aube, elle revenait toujours avant l'heure du déjeuner pour se faire habiller et coiffer par ses suivantes. Qu'elle lui manquait l'époque où ses cheveux n'étaient qu'un champ de bataille qu'elle nouait à l'arrière de sa tête en une queue de cheval ou avec une broche car les vents marins venaient s'y engouffrer et les emmêler à la moindre occasion. Cela faisait si longtemps. Deux années étaient écoulées depuis la mort de sa mère et presque autant de temps depuis celle de son père. Ses parents lui manquaient parfois mais elle avait fait son deuil, elle avait accepté la réalité de la vie. La mort était une fin vers laquelle ils se dirigeaient tous. Pourtant, sa vie se devait-elle d'être si morne ? Lamarck était une île qu'elle connaissait par cœur, il n'y avait rien de nouveau, rien à découvrir et même les habitants étaient les mêmes depuis son enfance.
Elle tournait en rond ici, elle se languissait de la mer et des vagues. Elle rêve d'une existence plus agitée, une vie moins calme. Aurait-elle eu un frère ou une sœur, elle lu aurait cédé Lamarck sans hésitation mais elle ne pouvait pas renoncer à l'héritage de ses parents. Il n'y avait nul en capacité de reprendre les rennes de leur maison si ce n'était elle. Addam était roi, Maegon était son protecteur, Daemion était son héritier et il ne restait que la jeune Daenera mais elle était trop jeune. C'était à elle qu'incombait la tâche de veiller sur Lamarck, sur tout ce que leur maison possédait et de soutenir son roi.

Daelina souriait à chaque personne qu'elle croisait, elle souriait quand on la saluait et plus elle avançait vers le port, plus l'air était emprunt d'une odeur salée, l'odeur de la mer qu'elle aimait tant. Alors quand elle put enfin voir l'étendue bleue qui se profilait à l'horizon, son regard fut attiré par un bateau qu'elle connaissait mieux que tout les autres, mieux que tout ceux de Lamarck à l'exception du Tendre Baela qui avait autrefois appartenu à son père. Ce navire qu'elle remarqua à quai n'était nul autre que celui de son cousin, celui sur lequel elle avait tant voyagé et alors qu'elle accélérait ses pas pour se diriger vers lui, elle sentait son cœur qui tambourinait dans sa poitrine.
Qu'est-ce qui amenait Maegon jusqu'ici ? Dès lors qu'elle était devenue Lady de Lamarck, elle l'avait si peu vu. Il avait continué de vivre sur les mers ou à Port-Réal auprès de son frère alors qu'elle était ici. Puis dès lors qu'elle avait épousé Torgen, un an auparavant, elle ne l'avait plus revu. Son cousin lui manquait. De lui aussi, elle se languissait. Nul ne savait la faire rire comme il le faisait et aucun ne faisait battre son cœur à sa manière. Elle s'avança vers le bateau, se plaça au bas de la rampe et salua les marins qu'elle connaissait, ceux qui l'avaient vu grandir sur ce bâtiment même car elle y était venue pour la première fois à l'âge de huit ans. Elle y avait passé quatorze années de sa vie. C'était la majorité de celle-ci qu'elle avait passé à être bercée par la mer et le chant des vagues. Croisant les bras sous sa poitrine, elle adressa un signe de la tête à l'officier qu'elle connaissait avec un sourire en coin des lèvres.

« — Where is your captain? Tell him to get off the ship and that it is an order from the Lady of Driftmark. »

La vie était parfois cruelle. Daelina s'estimait chanceuse car si elle avait pleuré ses parents, ils étaient morts à des âges raisonnables et avancés, ils avaient bien vécu et ils l'avaient laissé vivre sa jeunesse librement. Elle avait toujours su qu'un jour, elle devrait se poser sur terre, cesser de nager dans les eaux profondes pour rejoindre sa terre natale mais elle avait pu profiter de sa jeunesse. Elle n'avait jamais connu de grande tragédie. Elle s'était toujours montrée prudente dans ses aventures, elle avait toujours su dans quel périple elle s'engageait. Son plus grand amour avait toujours été l'océan, les vagues qui chantaient leur mélodie en mer et l'odeur du sel marin, elle les avait aimé plus que tout au monde. Jusqu'à ce qu'elle grandisse et qu'elle découvre qu'elle aimait aussi son cousin, celui qui l'avait toujours guidé à travers la mer et auprès de qui elle s'était tenue, devenant son second pour gérer les hommes à bord du High Tide.
Son cœur s'emballait cruellement alors qu'elle se tenait en bas du navire, qu'elle anticipait de voir son visage apparaitre, sa silhouette se dessiner sur le pont du bateau. Plus d'une année s'était écoulée mais elle avait gardé précieusement les sentiments qu'elle éprouvait pour lui au fond de son cœur. Il lui manquait autant que l'eau ne le faisait. Quand était-elle allée nager pour la dernière fois ? Quand avait-elle affronté la violence des vagues sur la place sans qu'on ne s'inquiète pour elle ? C'était une chose de la laisser naviguer, il semblait qu'il en était une autre de la laisser se baigner nue entre les roches. Et celle-ci n'était pas convenable.

Donnant un ordre pour le faire venir à elle, elle entendit sa voix avant de le voir, la poussant à penchant la tête sur le côté en haussant un sourcil mais son visage voulait sourire, elle voulait même rire avec les hommes mais elle croisa simplement les bras sous sa poitrine quand il l'aperçut enfin. Son cœur traitre rata un battement avant de se faire plus joyeux, plus rapide en sa présence. Elle voulait courir dans ses bras mais elle ne le pouvait plus, pas comme avant. Y avait-il un homme à bord de ce navire qui ignorait qu'ils avaient été amants ? Mais à terre, peu le savait et il devait en rester ainsi.
Maegon s'approchait un peu plus à chaque pas, il paradait comme d'habitude et il lui fallut beaucoup de force pour ne pas rouler des yeux ou faire preuve d'insolence. Jusqu'à ce que l'un des officiers ne passent à proximité, la salue et prenne sa main pour venir y déposer un baisemain.

« — M'lady. We miss you very much on board.
— Thank you. I miss all of you too. »

Souriante, elle inclina la tête avant de relever les yeux vers son cousin favori, il était vrai.

« — And this is how you greet a proper lady. 'Seems like we both need to learn how to be polite. »

L'officier se mit à rire en relâchant sa main et elle laissa son bras retomber le long de son corps avant de reprendre la parole.

« — You are not visitor, cousin. You're home here. »

Qu'il soit né à Port-Réal n'avait pas d'importance, Lamarck était la demeure des Velaryon et chacun d'entre eux y trouverait un accueil chaleureux. Elle aimait chacun d'eux. Même l'épouse d'Addam qui portait leur nom désormais serait la bienvenue sur l'île.
La jeune Velaryon reporta un ultime regard vers le bateau, se souvenant du temps où il était plus sa maison que ne l'était le vieux château de l'île et elle inspira profondément. Un jour, peut-être, dans seize années, elle aurait un fils ou une fille à qui elle pourrait laisser Lamarck pour repartir en mer. Alors elle aurait quarante ans et Maegon en aurait soixante-cinq et leurs aventures n'auraient plus la même saveur. Mais c'était tout ce qu'elle pouvait espérer de mieux pour revoir un jour les profondeurs de l'océan.

« — What brings you on Driftmark? How long are you staying? »

Sans attendre sa réponse, elle attira son bras au sien, l'enroulant autour pour commencer à marcher avec lui le long du port. Son regard chercha à retrouver le château où elle vivait, où il pourrait rester quelques jours s'il le désirait.

« — Will you stay a few days? I need to hear about your last adventures. We quickly get bored here. »

Sur son visage, une douce moue se dessina tandis qu'elle relevait ses yeux violets vers son visage marqué par les années et les aventures, ce visage que ses doigts avaient si souvent effleuré durant leurs nuits d'amour. Lui avait-elle jamais parlé des sentiments qui régissaient son cœur ? Non, elle n'en avait jamais prononcé un mot et il ne l'avait jamais fait non plus mais leurs corps avaient parlé pour eux plus d'une fois. Elle n'avait pas besoin de mots, elle n'avait jamais eu besoin de les entendre pour savoir que ce qu'il y avait entre eux était réel et l'avait toujours été. Ça n'avait rien à voir avec toutes les filles qu'il rencontrait et avec lesquelles il passait une nuit pour oublier leurs visages quelques jours après, ça n'avait rien à voir avec les hommes et les femmes qu'elle avait rencontré non plus. Elle n'avait pas besoin de plus que ce qu'ils avaient eu.
Et aujourd'hui, qu'avaient-ils ? Lamarck et Port-Réal n'étaient pas si loin mais il n'était jamais venu. Pourquoi aujourd'hui ? Il n'était pas venu parce qu'elle était mariée et elle le savait pertinemment. Mais savait-il que son époux ne lui était pas fidèle ? Savait-il qu'elle ne l'était pas non plus et que tel était leur accord ? En dehors de cette liaison, c'était son cousin et le temps qu'ils passaient ensemble qui lui manquaient, il avait toujours été une constante pour elle, présent depuis son plus jeune âge et elle voulait vouloir échanger avec lui, entendre le son de sa voix et le récit de ses voyages, des lieux qu'il avait vu ou revu une fois de plus.

Rien ne ferait plus plaisir à la petite Lady que de voir son cousin s'attarder à Lamarck. Il lui manquait, tout chez lui manquait à Daelina et même s'il restait seulement pour lui raconter ses aventures, elle profiterait de chacun instant de sa compagnie. Son cœur battait dans sa poitrine alors qu'elle se tenait à ses côtés, que son bras était enroulé dans le sien et qu'ils longeaient le port après qu'il ait plaisanté sur la politesse, qu'il se soit moqué d'elle et elle pourrait continuer à rire avec lui des heures encore. Maegon avait toujours su la faire rire, dès son plus jeune âge et plus elle avait grandi, plus elle avait appris à avoir du répondant mais parfois, elle n'avait rien à dire, elle ne pouvait faire que rire et rouler des yeux. Comme elle le fit quand il lui fit enfin un révérence.
Avait-elle senti son palpitant battre si vite et si fort durant les dernières lunes ? À la mention qu'il pourrait rester quelques jours, elle sentit cette douce chaleur gonfler sa poitrine et un mince espoir qu'il revienne pour elle, qu'il cesse de fuir l'île pour revenir plus souvent la voir. Elle était juste mariée, elle n'était pas entrée au service de la Foi. Rien ne les empêchait de se voir encore, de se perdre dans les bras l'un de l'autre à l'abri des regards quand il viendrait la voir de temps à autre. Même si ses voyages l'emmenaient au loin durant des lunes, même si elle devait attendre deux ou trois lunes pour le revoir, elle détestait cette séparation forcée qu'il avait instauré entre eux depuis une année.

« — I'm too young and too pretty to die. »

Le Cœur de l'Océan avait encore des choses à vivre, elle ne pouvait pas mourir maintenant d'ennui. Et pourtant, chaque jour se ressemblait, chaque jour était terriblement long et rien ne sortait jamais de l'ordinaire. L'arrivée de Maegon était le premier évènement excitant depuis des mois. Ça et sa rencontre avec Thena Greyjoy après toutes ces années.

« — My husband is a charming man when he grant us his presence. But I haven't seen him in days. He might be in King's Landing or in Dragonstone. »

Elle fronça les sourcils pour réfléchir. Était-il toujours ami avec Maegor Targaryen ? Difficile à dire depuis qu'il avait mis enceinte l'ancienne épouse de celle-ci. La Velaryon souriait quand même tout en continuant à marcher, son bras ne quittait pas celui de son cousin et ils s'éloignaient lentement du port pour retourner vers le château.

« — The ocean is my greatest love. No one will ever be enough to comfort me of my loss. »

No one except you, cousin.
L'aimerait-elle autant s'il se tenait à ses côtés et qu'il se trouvait coincé sur Lamarck ? Maegon était libre de voyager, il aimait la mer tout autant qu'elle et cela faisait partie intégrante de qui il était. Elle l'aimait aussi parce qu'ils partageaient ce même amour pour le chant des vagues. Elle ne pourrait jamais le retenir sur terre, il en viendrait à s'ennuyer comme elle et elle était certaine que s'ils étaient en permanence sur Lamarck, quelque chose viendrait à mourir en eux, cet éclat de vie dans leurs regards et cette excitation qu'il amenait avec lui. La présence du Velayron appelait Daelina à l'aventure, elle se sentait toujours vivante à ses côtés mais s'ils venaient à mourir d'ennui ensemble entre les murs du vieux château de Carène, ils en viendraient probablement à se tuer l'un l'autre plutôt que s'infliger pareil supplice.

« — I'm lonely here, a little company might be good. »

Please, stay. Daelina ne suppliait pas. Elle souriait toujours et faisait preuve de légèreté, elle ne laisserait pas voir ses failles dans l'immédiat. Il était rare qu'elle parle à Maegon avec gravité pour lui dire ce qui trainait dans son cœur. Car leur vie avait toujours été frivole et mené avec désinvolture, jamais avec gravité.
Alors qu'ils arrivaient près du château et pénétraient dans la cour, elle releva encore son regard vers lui. Il était si grand et elle, si petite en comparaison.

« — Are you hungry? The greatest pleasure we have here is that we can eat as much as we want. No rationing. »

Les siècles s'étaient écoulés depuis la chute de Valyria et plus encore depuis que les Velaryon avaient quitté l'Empire des Possessions pour s'établir à Lamarck. Ils n'avaient jamais été des dragonniers, c'était ce qu'elle avait appris en étudiant les origines de sa maison. Ils étaient plus proches de la mer et leur blason n'était pas un dragon mais un hippocampe, monture des mers dans bien des légendes. Pourtant, malgré cela, certains traits valyriens persistaient encore chez eux comme leurs yeux violets et leurs cheveux d'argent. Daelina ne faisait pas exception et quand elle observait Maegon, c'était ses yeux lavandes qui se fixaient sur lui à mesure qu'ils avançaient et discuter.
La conversation se faisait avec légèreté car la jeune lady ne voulait pas avoir l'air dramatique quand rien de tout cela ne l'était. Elle s'ennuyait, elle tournait en rond, sa vie d'avant lui manquait mais elle se devait d'accepter son destin et elle n'avait pas l'intention de pleurer sur son sort. Il était rare qu'elle le fasse, elle préférait en rire, s'en amusait et s'il le fallait, se tourner elle-même en dérision. Elle avait survécu à des tempêtes plus dangereuses que la vie sur l'île qu'était Lamarck, elle pourrait survivre aussi longtemps qu'il le faudrait, même lorsqu'elle tournait en rond, même lorsqu'elle regardait l'océan avec envie et nostalgie.

« — His cousin, Lord Trystan Hightower, asked him to represent the Reach in Dragonstone. For the dragon queen. »

Son regard se tournait un moment vers la direction de Peyredragon, lorsque le ciel était dégagé, l’île pouvait être aperçue au loin mais ce n’était pas le cas ce jour-là. Elle ignorait vraiment ce que Torgen faisait là-bas et s’y intéressait peu tant qu’il agissait avec sagesse et ne parlait pas en son nom ou celui des Velaryon. Elle avait mis cela au clair immédiatement avec lui et il s’y tenait. Ce n’était pas un homme détestable. Daelina l’appréciait même mais pas plus que son devoir ne le lui demandait de le faire. Elle trouvait un peu de joie dans le lit conjugal mais jamais assez pour qu’il se fasse une place dans son cœur.

« — I’m not a liar. He knows and he has his own love for the seas. »

Sauf que Torgen était libre, pas elle. En plus de la mer, il aimait aussi les bordels, les femmes et la boisson. Cela, elle se privait bien de le lui dire. La jeune Velaryon n’était pas en reste sur ces vices non plus mais elle s’efforçait de se montrer présentable depuis qu’elle avait remplacé ses parents comme Dame de Lamarck.
C’était sa solitude qu’elle exprimait ensuite, à demi-mot, elle lui demandait de rester un peu pour lui porter compagnie. Elle voyait, sur cette île, les mêmes visages chaque jour et il en était de même sur un navire à l’exception que lorsqu’elle se trouvait sur les mers, chacun d’entre eux vivait la vie avec autant d’intensité qu’il était possible de le faire car ils ne savaient jamais de quoi les jours suivants seraient fait. Ils avaient perdu des hommes en mer, d’autres au profit des plaisirs exotiques des Cités Libres et pourtant, elle avait toujours fait confiance à chacun d’eux. Ce n’était pas pareil sur terre, en politique. Ici, chacun tentait de se hisser au pouvoir, de l’approcher au plus près pour espérer obtenir quelque chose d’elle. Jamais les marins ne faisaient cela. Ils étaient comme une famille et sa famille lui manquait.

Maegon la fit sourire davantage, c’était le pouvoir qu’il avait sur elle. Elle était plus heureuse et plus radieuse à cet instant où il venait lui offrir un peu de distraction, qu’il venait lui faire oublier un moment la vie morne sur Lamarck. Elle s’imaginait repartir avec lui assez aisément, troquant ses robes pour un pantalon et une chemise, ses boucles d’argent pour des cheveux emmêlés et en bataille ou une habituelle queue de cheval. La simplicité lui manquait.
Son cousin, pourtant, ne pourrait pas rester éternellement avec elle. Il était un homme libre et sans attaches, elle aimait cela chez lui et elle n’avait aucun désir de l’enchaîner à la terre comme elle l’était. Il s’ennuierait et deviendrait fou, tel un animal en cage. Elle-même commençait à le devenir et elle attendait impatiemment les prochaines festivités qui lui permettraient de s’évader de l’île pour quelques jours.

Le vieux château de Carène était le même depuis des siècles. Restauré quand le besoin s’en faisait sentir, il était le même depuis son enfance et les murs étaient si familiers qu’elle n’y prêtait plus attention. Lorsqu’elle était revenue prendre sa nouvelle position, il était vrai que l’endroit lui avait manqué mais désormais, il était devenu sa prison dorée. Daelina se mit à rire un peu quand il précisa être affamé et elle poussa la porte du château pour les faire entrer à l’intérieur. Il n’était pas immense, il se composait du nécessaire pour accueillir leur maison, le personnel et quelques invités mais la ville de Carène n’avait rien de comparable avec les villes du continent, elle était petite et ancienne, les maisons étaient détruites et se reconstruisaient au rythme des vagues et les départs ou les retours de nombreux matelots n’étaient pas rares.
À peine eut-elle posée le pied dans le hall que son intendant, celui qui avait remplacé le vieux mestre de ses parents, se précipitait vers elle.

« — Lady Daelina, a fire started on the construction site.
— A fire? Why I didn’t see anything from the port?
— He was stopped but two men were hurt and a ship was damaged.
— Send our maester for the men, see what he can do. And we’ll pay for the damages. We need those ship.
— Yes, my lady.
— And please, ask for dinner to be serve. My cousin and I are starving. »

L’intendant hocha la tête, fit un signe de la tête poli à Maegon et repartit aussi vite qu’il était venu. La petite lady souriait et reprenait sa route avec son cousin jusqu’à la salle à manger. Ce ne fut qu’à ce moment-là qu’elle se détacha de son bras pour s’installer sur l’une des chaises autour de la table.

« — Tell me about your adventures. Where have you been? What have you seen? »

Maegon était comme l’horizon, un point qu’elle fixait et vers lequel elle voulait naviguer en quête de nouvelle aventure. Sa présence était rafraîchissante, elle venait la sortir de la monotonie de son quotidien. Resterait-il plusieurs jours ? Elle l’espérait. Au moins quelques jours. Il lui manquait, leur vie sur des navires lui manquait, elle avait besoin de ressentir ce frisson d’un quotidien excitant, juste un moment.

« — Well, he seems to have fun. »

Elle n’en doutait pas, depuis qu’elle avait appris qu’il avait mis cette fille enceinte, elle ignorait qui elle était et elle ne voulait pas le savoir. Daelina n’avait que peu d’intérêt pour les bâtards qu’il pouvait engendrer si ce n’était qu’ils venaient lui rappeler qu’elle ne parvenait toujours pas à engendrer un enfant de leur sang. Chaque pensée pour ce bâtard lui rappelait son propre échec. Un enfant lui assurerait une certaine tranquillité d’esprit car pour l’heure ses pensées étaient aussi agités que la mer au cœur de la tempête.
La Velaryon espérait, secrètement, que Maegon lui murmure que son époux n’était pas ce dont elle avait besoin, elle espérait qu’il voyait son ennui profond et qu’il l’enlèverait pour la ramener sur son bateau et ensemble, ils partiraient le plus loin possible d’ici. Il y avait des mers inexplorées encore, des mers où ils n’étaient pas allés.

Le château de Carène était sa demeure, ancienne et fatiguée, elle avait cet aspect chaleureux qu’elle aimait retrouver après de longues lunes en mer. Mais chaque jour passé ici semble endormir ses sens, elle perdait en vigilance à mesure que l’ennui et la routine la gagnait. Il lui fallait entendre les récits de son cousin pour se souvenir de l’euphorie en mer, de la sensation du vent dans ses cheveux lorsqu’elle trouvait refuge au sommet d’un mat pour observer l’horizon et surtout, il lui fallait se souvenir de la douce berceuse des vagues qui lui manquait chaque soir quand elle cherchait à s’endormir dans son lit qui ne bougeait pas, dans ce château qui ne bougeait pas depuis des siècles.
Le Cœur de l’Océan n’était plus un surnom qu’elle pensait mériter. L’océan avait son cœur mais était-elle le cœur de celui-ci quand elle était coincée sur l’île de ses ancêtres ?

Assise autour de la table, elle prit la coupe de vin qu’il venait de servir et elle écoutait ses mots comme une enfant écoute les histoires que content ses parents. Dorne, il était allé à Dorne. Il y avait longtemps qu’elle ne s’y était pas rendue, longtemps qu’elle n’avait pas trouvé quelques réconforts dans le lit d’une dornienne. Oh ces femmes étaient… Elles étaient quelque chose. On ne pouvait les oublier. Maegon avait-il trouvé quelques plaisirs avec elles ? Il en avait toujours été ainsi, il n’avait jamais été homme à se poser mais elle avait toujours préféré quand il partageait ces expériences avec elle. Peut-être était-il trop tard pour cela, elle était mariée après tout. Était-ce pour cela qu’il ne venait plus la voir, qu’il n’était pas venu depuis le jour de son mariage ? Pourtant, si Torgen visitait d’autres lits, elle ne se priverait pas de le faire non plus. Seulement ce n’était pas Torgen qui l’empêchait de trouver quelques amants parmi les marins, c’était son cousin. C’était lui à qui elle pensait régulièrement, lui et cette vie qu’ils avaient partagé. Il était douloureux de constater qu’elle n’était plus une part de sa vie et lui de la sienne. Plus comme avant tout du moins.

« — Oh Dorne… Boring I guess. »

Elle roula des yeux, se moquant de lui avant de rire, portant son verre à ses lèvres. Elle ne pouvait pas laisser l’ennui ou la peine transparaître. Elle n’avait pas le droit, elle accomplissait son devoir, il en avait toujours été convenu ainsi avec ses parents et elle n’était pas si malheureuse. Elle ne manquait de rien, elle ne souffrait d’aucun maux et la vie qu’elle menait avait tout pour ravir de nombreuses dames dont la liberté était bien moins grande et leurs devoirs bien plus pénibles.

« — I did not. It didn’t left Driftmark for moons. Addam is dealing with her and I’m just… The keeper of our ships and home. »

Son sourire ne se tarissait pas, elle vit encore quelques gorgées et reprit ensuite, alors que quelques servantes venaient déposer des plats sur la table pour leur plus grand plaisir.

« — Did you meet her? I wonder how she is. Torgen doesn’t really talk about what he’s doing over there. »

Elle soupçonnait qu’il n’y passait peut être pas autant de temps qu’il le devrait et qu’il se rendait d’un port à un autre pour naviguer le long de la côte mais cela, au fond, ne la regardait pas vraiment.