sown to my heritage (Daemon)

Les émotions étaient trop fortes. Daemon avait tellement l'habitude de les fuir, de les rejeter et de céder à la colère plutôt qu'à une quelconque vulnérabilité qu'il n'était pas certain de savoir comment réagir à ce qu'il venait de se passer. Il venait d'affronter son père, dans une joute... Et ce dernier ne l'avait même pas reconnu...
Non, bien sûr que non. Daemon était encore jeune quand Baelon Targaryen, le Brave, le Prince du Printemps, avait expiré... Un mal de ventre... Son père, un guerrier, un prince Targaryen, dragonnier de Vaghar et lui qui avait si longtemps manié Noire-Sœur... Il avait longtemps cru cela être une mauvaise plaisanterie, une impossibilité... Avec le temps, il avait fallu accepter. Mais Daemon s'était toujours demandé si c'était là l'œuvre de stupides Dieux... Ou plutôt d'hommes ambitieux, d'autant plus après que les manigances d'Otto Hightower aient si bien propulsé sa famille et son sang sur le devant de la scène...

Il avait alors été un jeune homme d'à peine vingt années... Et à l'époque, il avait encore eu quelque ressentiment à l'égard de son père. On l'avait marié, contre son gré, à cette paysanne de Garce de Bronze. Ses grands-parents n'avaient voulu accorder aucune attention à ses désirs à lui, à ses réclamations, pas plus que son père ne l'avait fait. Qu'avait-il fait quand on lui avait retiré toute volonté pour le marier à Rhea Royce ?
Bien sûr, Baelon Targaryen était son père et Daemon l'avait toujours aimé, toujours. Il avait aimé Viserys aussi férocement et il avait toujours chéri le souvenir de sa mère et de ce frère qui l'avait suivi si vite dans sa tombe. Il avait eu quatre ans à l'époque mais il avait toujours su que depuis la mort d'Alyssa Targaryen, Baelon n'avait jamais été le même homme.
Cela avait été plus difficile de rester en colère contre son père mais le ressentiment n'avait jamais pu totalement disparaître. Ou peut-être l'avait-il fait avec les années, après qu'il ait perdu la vie et que sa présence lui ait manqué ? Bien sûr, Daemon ne l'aurait jamais avoué, plutôt se pourfendre lui-même avec Noire-Sœur... Mais c'était bien vrai.

Ainsi, il ne savait pas comment faire face à ces retrouvailles. Les joutes continueraient pendant quelques temps encore et il avait filé, sans rejoindre Rhaenyra ou sa mère ; il voulait être seul.
En fait, il voulait voir son père, s'il devait être honnête. Autant qu'il voulait l'éviter. Peut-être est-ce pour cela qu'il finit par pousser la porte de la taverne où Baelon se trouvait, sans le savoir au préalable.
Il fut impossible de rebrousser chemin au moment où l'homme posa ses yeux sur lui et Daemon ne fuyait pas, sauf ses sentiments.
Alors il s'approcha, il se rapprocha de son père, l'observa tandis qu'il semblait ravaler sa fierté et lui proposait de boire avec lui.
Daemon avait toujours su qu'il avait hérité de sa mère plus que de son père. Son caractère était fidèle à celui qu'on avait donné à Alyssa, brute et féroce tandis que son père était décrit comme un homme qui aurait été un roi bon et juste, pour lui cela venait avec une capacité à se maîtriser.
Il y avait le physique également... Ses yeux étaient le violet d'un des yeux d'Alyssa quand Viserys avait hérité des orbes plus clairs de Baelon, qu'il avait lui-même transmis à Rhaenyra. Et puis, sa forme de sa mâchoire et même de ses oreilles s'il devait en croire certains.
Pourtant il devait avoir bien vieilli, son père ne le voyait pas.

Il n'était plus, effectivement, ce jeune homme d'à peine vingt ans, époux d'une femme haï, prince d'une famille régnant encore avec gloire et absolu sur le royaume, un feu chaotique brûlant en lui ; il était ce prince vaurien ravagé par les années, les morts successives de sa famille, les querelles et les humiliations avec un frère qu'il avait pourtant tant aimé, pour qui il aurait défié Morghul et les ruines de l'Ancienne Valyria même s'il l'avait fallu, cet époux qui avait perdu ses enfants les uns après les autres dans une guerre atroce et deux épouses, dont l'une était la nièce qui était la seconde partie de son âme, créée pour lui dans les Quatorze Flammes...
Il devinait qu'il avait bien changé.

Daemon hocha finalement la tête et s'assit aux côtés de son père, tandis qu'on leur servait leurs bières. Il n'y toucha que très peu, reposant le breuvage finalement en fixant le vide.

« C'est prince, en fait. »

Il précise en tournant finalement la tête vers son père.

« Tu es moins vieux que dans mes souvenirs... »

La défaite était toujours cuisante. Daemon l'avait en horreur, il l'avait peu expériencé au sein des tournois d'ailleurs, mais certains de ses écuyers devaient en avoir gardé des souvenirs cuisants.
Il devinait que c'était dans la nature Targaryenne, celle qui était fière de ses racines et de son héritage, de mal gérer la défaite. Lui-même aurait certainement ruminé à perdre contre son père. Cependant, depuis l'époque dorée où il se faisait appeler le Prince de la Ville, ou Lord Culpucier, en concourant dans tel ou tel tournoi avec succès, Daemon avait connu la guerre, la vraie. Dans les Degrés de Pierre déjà puis, la Danse -bien belle façon d'appeler ce qu'il considérait comme une hécatombe. Mais il devinait que les Rats gris et les ménestrels avaient toujours de l'imagination à revendre lorsqu'il s'agissait de conter avec poésie des époques ensanglantées.
Cela vous faisait relativiser lors d'un tournoi.

Mais tandis qu'il s'installait aux côtés de son père qui l'invitait, Daemon remarquait qu'il devait y avoir plus à sa mine terrible que la perte d'une joute. Oui... Il devinait que revenir d'entre les morts n'était pas simple.
Il devinait très bien.
S'il était honnête, il n'était pas non plus agréable de se retrouver face à son père et de constater que ce dernier n'avait aucune idée de qui il était. Baelon le Brave... Après la mort de leur mère, Viserys et lui avaient été tout ce qui lui restait selon les chroniques historiques... Ils n'avaient pas tout à fait tort.
Ainsi il était dérangeant de voir cet homme qu'il avait tant idolâtré en étant enfant, l'observer comme un étranger, en tentant de le reconnaître.

Pourtant, c’est un sourire en coin qui fend le visage du prince vaurien à la réponse que lui donne son père.

« Ça je l’avais bien compris. »

Quand son sourire se fane, Daemon finit par tourner la tête de nouveau pour observer le visage rajeuni de son père.

« J’imagine que tu te souviens de moi comme l’insupportable et chaotique prince de la ville après tout… »

Déjà à l’époque, Daemon avait multiplié les frasques. Le compte était bien loin de ce dont il avait été capable plus tard, alors que son frère avait été couronné et que tous murmuraient dans son dos à la Cour en semblant le croire capable d’assassiner Viserys dans son sommeil pour monter sur cette immonde chaise de ferraille. Mais il avait tout de même démontré à l’époque un interêt certain pour le chaos. Des fois, il s’était demandé si ça avait précipité la décision de le marier à Rhea Royce, pour le calmer. L’effet avait été contraire quoi qu’il en soit.

« J’imagine que j’ai bien vieilli depuis le jour où tu as péri… Père. »

Peut-être qu'un autre se serait formalisé de ne pas être reconnu par son propre père. Ce n'était pas le cas de Daemon. Il était encore un gosse ni plus ni moins lorsque son père avait péri de ces maux de ventre, si soudainement... Il avait pris moins de temps pour tomber malade et pour en mourir que la durée d'un tournoi... Seulement aujourd'hui, Daemon n'était plus ce gamin. Il était un homme, un soldat aguerri, un prince vaurien qui avait eu son lot dans la vie. Un frère abîmé, un oncle et un époux épuisé et un père dévasté. Il n'était plus l'enfant que Baelon le Brave avait laissé derrière lui.

De plus, il pouvait voir que son père réfléchissait, qu'il semblait affecté de ne pas se souvenir et qu'il cherchait. S'il était même parfaitement honnête, Daemon s'en amusait un peu au fond.
Sa lèvre s'était courbée un peu tandis qu'il lui confirmait ce qu'il semblait comprendre et pourtant, Daemon se hâta de reprendre une expression plus solennelle quand il vit la larme rouler sur la joue de son père. Il n'était pas certain de l'avoir déjà vu pleurer un jour, peut-être quand il était bien jeune, si jeune que ses souvenirs en étaient flous voir inexistants.
Bientôt, il pose sa main sous son menton alors que Daemon lui confirme qu'il s'agit bien de lui d'un faible hochement de tête. Si en général, Daemon était un homme qui choisissait avec précaution les personnes posant ses mains sur lui avec une dimension si intime, il ne fit rien pour se dégager des mains de son père.

En fait, il était un peu happé par les larmes dans ses yeux et par ses interrogations, par la douceur calleuse de sa main. Quand il était enfant déjà, on l'avait décrit comme sauvage et de fort caractère. Mais Daemon se souvenait sans grand mal qu'il avait parfois été demandeur de l'affection de sa mère en particulier et de son père également. Les étreintes de Baelon avaient toujours incarnées la sécurité pour son fils.
Un instant, alors, Daemon s'autorisa à un peu de faiblesse et à se laisser prendre à l'illusion que les bras de son père pouvaient le protéger du mal du reste du monde. Un bref instant seulement, avant que la réalité ne reprenne le dessus et qu'il ne regagne l'attitude de l'homme qu'il était devenu.

« Disons... Qu'elle a eu des bons côtés au moins. »

Daemon ne pouvait pas nier qu'il avait été heureux. Avec Rhaenyra, il avait été heureux. Ces six années passées avec leurs enfant sà Peyredragon constituaient la période la plus heureuse de sa vie. Il ne niait pas que Laena avait su lui apporter un peu de joie pendant un temps, les premières années de leur mariage.
Cependant, Laena n'était pas Rhaenyra. Et elle ne pouvait certainement pas réparer les années de dommage que Viserys avait causé en lui. Pas plus que Rhaenyra en réalité, mais elle avait été sa famille, son sang. Elle avait plus de facilité à comprendre ce que cela faisait d'être rejeté par Viserys.

D'ailleurs, Daemon se trouvait à craindre la réaction de son père lorsqu'il lui annoncerait que son fils avait été un piètre roi, qu'il l'avait traité comme un paria, lui, son propre frère, en faveur d'Otto Hightower à qui il avait permis de diviser leur famille, de diviser le royaume et de briser leur famille et leur dynastie...
Il n'était pas encore prêt à lui annoncer ça, il avait besoin d'encore un peu de temps et Daemon finit donc par détourner les yeux, portant sa chope à ses lèvres, et détournant le sujet.

« Tu es là depuis longtemps ? »

Daemon était un être plein de colère au fond. Il l'exprimait sans arrêt, notamment contre Viserys. Il avait dès son plus jeune âge développé une horreur pour la faiblesse et la vulnérabilité, en grande partie pour la sienne. Il préférait devenir colérique et violent plutôt que d'admettre sa faiblesse.
Pourtant, bizarrement, ses parents n'étaient pas souvent la cible de sa colère. Sa mère jamais même. En même temps, il avait à peine quatre ans quand Alyssa Targaryen avait perdu la vie, il n'avait pas grand chose à lui reprocher. Son père... Après la mort de leur mère, Daemon avait l'impression que Baelon Targaryen avait perdu une partie de lui, qu'il avait plus survécu que vraiment vécu. Bien sûr, il avait continué d'être un père attentionné, affectueux même pour Viserys et lui et pourtant... Daemon avait l'impression qu'une partie de son père s'était éteinte. Quand il avait commencé à s'intéresser aux Quatorze Flammes, il s'était demandé si sa mère et son père avaient été des flammes jumelles, si leurs âmes avaient été une seule à sa création et coupée en deux pour exister dans le monde des vivants. Il savait avec certitude que c'était son cas et celui de Rhaenyra, il ne pouvait en être autrement. Cependant, il n'avait jamais osé poser la question à son père. En fait, il lui semblait même qu'il n'avait jamais parlé de sa mère avec lui, l'enfant qu'il avait été, l'adolescent même, avait trop craint de provoquer une réaction qu'il n'aimerait pas.
À l'image de son grand-père, son père lui était apparu comme un modèle fort et robuste. Cependant, il avait un jour vu son père plier, il avait un joue perdu cette illusion de force, comme cela avait été le cas avec ses grands-parents. Daemon avait grandi choyé dans une famille glorieuse, une famille qu'il avait idolatré, aimé. Une famille et une dynastie qui était ce qui restait de la grandeur de Valyria et qu'il s'était toujours juré de protéger.

Pendant de longues années, il avait regardé ses grands-parents gouverner ensemble. Il s'était figuré que c'était ainsi que l'amour devait être, à l'image de Jaehaerys et Alysanne, à l'image de ses propres parents, même de Corlys et de sa cousine Rhaenys. Parfois même, plus tard, à l'image d'Aemma et Viserys, bien que moins.
Il avait vu son grand-père comme un grand homme et sa grand mère avait pour lui, tout de l'image d'une reine absolue. Au fond, n'était-ce pas aussi pour protéger son influence sur la ville qu'il s'était érigé en tant que Prince de la Ville, qu'il avait veillé sur Culpucier quand le Conseil de son frère crachait allègrement sur son peuple et les bienfaits que la Bonne Reine leur avait apporté par le passé ?
Mais cette illusion s'était effacé quand on l'avait forcé à épouser Rhea Royce. Il avait supplié, il avait tenté de saboter l'union mais on l'avait forcé à l'épouser tout de même. Son propre père n'avait rien fait pour empêcher cela. À ce moment, il avait été en colère contre son père. Peut-être même avait-il continué d'être en colère jusqu'à ce qu'il ne meurt.
Néanmoins, il n'y avait dans son cœur à cet instant, aucune rancœur. De la surprise, sans doute du choc et une émotion certaine qu'il n'aimait guère, mais aucune colère, aucun ressentiment.

Un ricanement écorche ses lèvres quand il entend les regrets de son père. Une vie parfaite... Ça n'existait pas. Encore moins quand on était un Targaryen. Peut-être la vie aurait-elle pu être plus douce si son père n'était pas mort si soudainement, s'il n'avait pas laissé un merdier sans nom concernant la succession... Il n'avait même pas eu le temps d'être roi, il venait à peine d'être nommé comme Main...
Baelon aurait été un grand roi, il y avait été préparé, il aurait pu bien mieux gérer tout ça que ne l'avait fait Viserys qui avait été un gosse, mal préparé, trop gentil, trop manipulable par la Main que son grand-père avait laissé derrière lui.
Si Baelon Targaryen avait vécu, les choses auraient été différentes... Viserys aurait eu le temps d'apprendre, de s'endurcir... Peut-être même de revendiquer un autre dragon, peut-être l'aurait-il fait... Il aurait pu réaliser qu'il n'avait pas besoin d'un fils quand il avait un frère et une fille, peut-être Daemon aurait-il pu épouser Rhaenyra avec le consentement de son père...
Aurait-il seulement consenti à le libérer de Rhea Royce quand il ne s'était même pas opposé à l'union en premier lieu ? Daemon ne le saurait jamais, et il était las de succomber aux si que son esprit créait sous la pression de sa culpabilité, de sa souffrance.

« Une lune ? Et tu n'as pas songé à rejoindre Peyredragon ? »

Il n'y avait aucune accusation dans la voix du prince vaurien. Il comprenait. Lui-même avait rejoint leur île ancestrale immédiatement mais il comprenait que la peur puisse retenir. Aegon ne leur avait-il pas avoué sa terreur quand il était arrivé ? Lucerys avait lui-même passé des lunes seul de son côté, hanté par l'idée de ne retrouver personne de sa famille...

En revanche, son visage s'assombrit plus encore quand son père finit par l'interroger sur sa vie, quand il lui demande de lui conter ce qu'elle a été. Il a déjà fait ça, avec sa mère. Et l'issue avait été... Détestable pour lui. Il n'avait pas pu l'éviter ou mentir à sa mère, il avait dû lui raconter, il lui avait conté toute la vérité.
Il était moins aisé de s'imaginer le faire au milieu de cette taverne, entouré de menaces potentielles.

« Les bons moments... »

Évidemment, sa vie n'avait pas été dépourvue de bonheur. Ce serait mentir. Il avait été heureux au milieu des acclamations de la ville, il avait été heureux en compagnie de ses Manteaux d'or. Il avait été heureux le jour où Viserys lui avait collé Rhaenyra dans les bras et que ce petit-être avait chamboulé son existence, son être entier. Il avait été heureux la première fois qu'il avait entendu le chant mélodieux de son lien avec Caraxes.
Heureux quand Laena avait fait de lui un père et que Baela avait tenu dans le creux de ses bras pour la première fois, quand il avait tenu Rhaena près d'une année plus tard dans ces mêmes-bras. Heureux comme il ne l'avait jamais été alors quand il avait épousé Rhaenyra sous le regard de leurs ancêtres. Heureux quand elle lui avait donné deux fils, quand elle avait créé avec lui un foyer où il se sentait complet, accepté au sein de Peyredragon. Où il n'avait pas peur d'être renvoyé pour être qui il était.
Mais ce bonheur, il rivalisait malheureusement avec les traumatismes qui créchaient au fond de Daemon Targaryen ; les humiliations et les insultes constantes de Viserys, l'impression de n'être jamais suffisant à ses yeux alors qu'il faisait tout ce qu'il pouvait pour garder son royal postérieur ingrat en sécurité, la violence de son désir pour Rhaenyra qui l'avait consumé et meurtrit pendant trop d'années comme il ne pouvait l'avoir... La guerre. La mort de leurs enfants. La distance entre Rhaenyra et lui, la méfiance dont elle avait fini par faire preuve à son égard...

Les bons moments étaient entachés par les traumatismes, par la souffrance et la culpabilité. Daemon ne parvenait même pas à savoir comment il pouvait raconter à son père qu'il avait été heureux, il ne voyait pas comment lui dire sans lui parler aussi des atrocités commises, contre lui et par lui.

« Ils se mêlent un peu trop au chaos et à la boucherie que Viserys a créé quand il est mort. Quand je pense aux bons moments, père, je pense irrémédiablement qu'ils m'ont été arraché, que mes enfants ont été massacrés par les propres rejetons que Viserys a eu la bonne idée de reproduire avec la garce qu'il a épousé après la mort d'Aemma... Que ma nièce et épouse a été tué parce que j'ai couru à ma propre mort en la laissant seule. »

C'était peut-être un peu violent. Peut-être son père ne méritait-il pas une telle franchise si froide. Mais Daemon n'avait jamais été quelqu'un à se soucier véritablement de ce que les autres pensaient et ressentaient. En attendant, il continuait de fixer sa chope et si un regard pouvait tuer, cette pauvre chope serait morte une bonne dizaine de fois.

Certainement, Daemon aurait pu y aller plus doucement avec son père. Il aurait pu lui apprendre les tragédies qui avaient succédé sa mort moins violemment. Ce n'était sans doute pas juste de s'acharner sur lui de cette façon alors qu'il n'avait presque rien à voir là-dedans. Presque car malgré tout, Daemon n'était pas certain de pardonner un jour à son père de n'avoir rien fait pour empêcher sa grand-mère de le marier à Rhea Royce. Ce n'était pas faute d'avoir essayé pourtant, pendant des jours et des jours, il avait supplié sa grand-mère, il avait supplié son frère et il avait supplié son père, mais personne n'avait voulu l'écouter.
Et s'il n'avait pas été marié à Rhea, Daemon se figurait que beaucoup de choses auraient été beaucoup plus simples pour lui. Cette voix insidieuse dans son esprit lui souffla qu'il lui aurait été beaucoup plus simple d'enlever Rhaenyra et de l'épouser sans que Viserys ne puisse comme toujours remettre cette blague de premier mariage sur le tapis.
Pourtant, Daemon aimait son père. Vraiment. Il l'aimait et sa mort avait été terrible pour lui. Et il était content de retrouver Baelon Targaryen en vie, mais il n'était pas d'humeur à l'épargner. L'avait-il été lui ?
C'était égoïste, oui. Mais il s'en foutait, c'était sa nature après tout. Égoïste et fier, arrogant et cruel. Le Second Maegor en chair et en os. Oh il peut bien voir comme ses paroles minent son père, comme il tente d'accuser le coup avec la dignité qui a toujours semblé lui coller à la peau, Baelon le Brave... Si seulement Viserys avait pu hérité de cette facette de leur père...

La réponse de son père le fait ricaner, brièvement. Il n'y a aucune joie dans le son qu'il émet, seulement un peu d'amertume. Il avait raison, Viserys n'avait pas été bien préparé, Jaehaerys avait fait de lui son héritier mais il était mort deux ans plus tard et à cette époque, son grand-père était déjà grandement diminué.
Tout ce que Viserys avait appris, il l'avait tiré de Otto Hightower et malheureusement, cette vipère avait toujours su manipuler son frère pour en tirer le meilleur avantage pour lui-même. Oh Daemon ne se faisait aucune illusion, ce sale cafard avait certainement dû commencer ses traîtrises même avant que Viserys ne porte la couronne.

« Grand-père est mort deux ans après que Viserys ait été désigné héritier. Alors, non... Viserys n'a pas été bien préparé. Et Otto Hightower, la Main que grand-père a choisi après ta mort... »

Daemon serre les dents, grognant presque ses prochaines paroles.

« Ce salopard n'était qu'une sangsue. Mais Viserys était incapable de le voir. Et Otto a réussi à tout détruire. »

Il attrape sa chope et la porte à ses lèvres, trouvant une maigre consolation dans le liquide qu'il ingurgite alors, avant de reposer l'objet sur le comptoir et de tourner la tête vers son père.
Mais l'amertume n'est jamais très loin, elle est une fidèle amie du prince vaurien depuis bien longtemps. Et à la conclusion de son père, Daemon ricane de nouveau, plus cyniquement encore.

« Si Viserys revient jamais, tu lui rappelleras. »

Ne méritait-il pas cette souffrance ? Daemon ne le formulerait pas exactement ainsi. Il n'était pas le meilleur des hommes, il n'avait jamais prétendu l'être d'ailleurs, n'en déplaise aux coincés de Westeros.
Mais il y avait bien des fautes que le prince portait, des crimes et des vices qui torturaient son cœur et parfois, il se demandait s'il n'avait pas mérité la souffrance que son frère lui avait infligé.
Bien sûr, ça ne durait jamais longtemps, il avait sa fierté. Peu importe son comportement, il avait été son frère et Viserys aurait dû se rappeler qu'il aurait préféré affronter le Fléau de Valyria, s'empaler lui-même sur Noire-Sœur plutôt que de lui nuire.

« J'ai eu une autre épouse avant Rhaenyra... »

Il finit par reprendre après que le silence ne se soit installé entre les deux hommes aux regrets perçants.

« Après la tourmente de mon premier mariage à la Garce de Bronze, et sa fin tragique, j'ai épousé Laena Velaryon. La fille de Rhaenys. Après sa mort en couches, j'ai épousé Rhaenyra. »

Certes, Daemon omettait quelques détails, pour l'instant. Et même s'il ne disait pas tout à son père, il ne doutait pas que sa mère finirait par le faire de toute façon.
Mais Daemon n'était pas connu pour être un homme qui s'épanchait énormément. Lorsqu'il avait retrouvé sa mère, il s'était peut-être laissé allé -et le souvenir était cuisant à son égo- mais c'était différent cette fois.
Son tempérament avait toujours été plus proche de celui d'Alyssa Targaryen, d'une certaine façon il conservait une certaine distance avec son père dans ses émotions, comme il le faisait avec à peu près tout le monde.

« Viserys n'était pas très heureux. »