❝ you talk of the pain like it’s all right ❞ ft. Alicent Hightower

JOUR 2, LUNE 10, ANNÉE 873

Il fut un temps où Rhaenyra aurait affronté ces événements sans aucun signe de faiblesse. Elle aurait assisté au tournoi, rit et sourit pour ne trouver le réconfort de ses proches, ses fils et son amant, que dans l’intimité de ces appartements. Mais en public, elle n’aurait rien montré de sa fatigue et elle aurait enduré n’importe quel regard ou insulte. Mais la guerre a laissé sur elle des marques indélébiles.
Pourtant, à ce tournoi, elle s’amuse. Elle a pris plaisir lors de cette épreuve de tir à l’arc. Mais cela ne suffit pas à effacer ces peurs, celles qui ont repris le dessus sur sa colère et sa rage. Car la colère et la rage n’ont mené qu’à un bain de sang par le passé, elle en a perdu tout ce qu’il lui restait et elle ne peut pas se permettre d’être cette femme à nouveau, celle qui voyait partout des traitres et des ennemis, qui ne pouvait plus accorder sa confiance et attendait le pire de tous. Mais alors qu’elle pose son regard autour d’elle, elle ne voit que des menaces pour ses fils, pour sa famille et pour son enfant à venir. Son esprit ne sera jamais en paix tant que vivront les Verts.

Alors qu’elle attend que les tribunes se vident après le tir à l’arc, une main posée contre son ventre qui tire et se fait douloureux depuis un moment, elle se demande si sa crainte n’est pas plus profonde. Ce ne sont pas les Verts qu’elle redoute. Ce sont ces gens. Tout ces gens. Elle le voit à leurs regards, à chaque dragon qui passe dans le ciel. Il y a, à Roches-aux-Runes, plus de dragons qu’il n’y en a eu en un seul endroit depuis des siècles et avec eux, des dragonniers. Et elle voit, dans les yeux des spectateurs, qu’ils sont partagés entre l’admiration et la crainte. Ils se sont fait à la présence des dragons mais ils les savent dangereux. Mais un dragon est plus dangereux encore lorsqu’il est guidé par un homme fou ou en colère.
Les Targaryen ont disparu depuis des siècles. Il n’y a rien de naturel pour ces gens à voir des dragons montés et elle ne peut qu’imaginer leur peur. Elle a vu la même chez les Port-Réalais après les événements de Chutebourg. Et à chaque moment qu’elle passe parmi eux, elle se sent un peu plus comme une étrangère sur les terres qui l’ont vu naître. Elle n’est plus de ce monde, les Sept Couronnes ne sont plus chez elle et ce sentiment de fait de plus en plus profond ces dernières semaines. Est-ce cela, le monde qu’elle veut offrir à son enfant ? Alysanne l’a questionné sur le sujet une fois, lorsqu’elle a appris qu’elle était enceinte, et elle n’y a que peu songé depuis. Mais aujourd’hui, elle ne peut que penser à cela. Ce continent lui est familier et étranger à la fois. Les Sept Couronnes n’ont plus la chaleur d’autrefois, ce n’est plus son foyer. Seul Peyredragon semble lui offrir un peu de confort et même entre ces murs, elle ne se sent pas véritablement chez elle. Le château ne lui appartient par réellement et elle le partage avec des générations de Targaryen dont le passé est aussi lourd que le sien. Ils sont tout aussi imprévisibles, près à se tourner les uns contre les autres à la moindre occasion.

Rhaenyra ressent une profonde envie de quitter Westeros. Elle a mentionné, à Daemon, qu’ils pourraient voyager après que Visenya ait repris les Sept Couronnes. Mais elle commence à vouloir plus qu’un voyage. Une envie qu’elle sent naître en elle depuis quelques temps mais qu’elle tait. Mais chaque moment qu’elle passe à ce tournoi ne fait que renforcer ce désir. Il n’y a plus rien pour eux ici. Pas juste pour elle et Daemon mais pour les Targaryen. Ils ont bâti ce royaume mais il a prospéré et il a chuté sans eux. Les ouestriens ont vécu plus de siècles dans les Targaryen qu’ils ne l’ont fait avec et cette Guerre des Prétendants n’est pas la sienne. Elle n’est pas la leur.

Les spectateurs s’éloignent, elle cherche ses fils des yeux mais ils ont disparu. Peut-être sont-ils aller manger ou rejoindre Daemon. Elle espère qu’ils n’ont pas foncé tête baissée dans un combat avec les Verts, comme elle leur a interdit de le faire. Mais puisqu’il ne semble y avoir, pour l’heure, aucun incident, elle essaye de se détendre. La présence, en un seul et même endroit, de Lucerys, Daemon et Aemond l’inquiètent tout de même. Elle a tout confiance en son second fils mais Daemon et Aemond sont imprévisibles et l’un pourrait décider qu’il est à bout de patience à tout moment.
Une nouvelle douleur se réveille, plus importante que la dernière et elle glisse sa main sous son ventre, elle grimace cette fois mais tente de ne rien en montrer. Les tribunes sont presque vides et elle va pouvoir s’éloigner aussi, sans se mêler de trop près à la foule. Un jour, elle était une princesse, elle était de la royauté pour ces gens, une femme plus proche des dieux que des humains. Maintenant, elle n’est qu’une étrangère, un phénomène du passé, sortie de contes et légendes dans lesquels elle n’est que rarement l’héroïne. L’aurait-elle était si elle était née homme ?
Rhaenyra s’avance, sa main toujours sous son ventre mais la douleur persiste.

« — Fuck… »

Elle s’appuie contre une barrière au plus près d’elle. La douleur s’étend mais surtout, elle craint le pire. Si elle n’a jamais perdu d’enfant en début de grossesse, elle ne peut oublier les complications que sa mère a rencontré et qu’elle a craint pour elle-même au début. Cette crainte s’est évaporée depuis un moment mais semble revenir à cet instant. Elle serre les dents, sa mâchoire se contracte et elle inspire profondément pour chercher le courage dont elle a besoin pour regagner sa tente. Elle observe le château, un peu plus loin et les tentes au pied de ce dernier. Ce n’est pas plus de quelques minutes de marche et elle pourra se reposer. Un repos dont elle a cruellement besoin et qu’elle se refuse depuis son arrivée. Mais il est plus que nécessaire à cet instant.
Ses yeux lilas cherchent ses fils à nouveau, ils cherchent Daemon ou un visage connu. Mais il n’y a personne. Personne sauf Alicent Hightower. Son regard croise un bref instant celui de son amie d’enfance, il fut un temps où elle l’aurait appelé à l’aide sans hésiter, pour qu’elle lui prête son bras et l’accompagne jusqu’à sa tente. Mais aujourd’hui, elle détourne les yeux avec un certain dédain et se redresse d’elle-même, sans l’aide de personne, pour entamer sa marche difficile.

« — Accroche-toi, ñuha dārilaros. »

Durant ces dernières grossesses, elle a pris l’habitude d’appeler le bébé ainsi. Car en Haut Valyrien, dārilaros signifie autant Prince que princesse. Ce mot n’a pas de genre, tout comme elle ignore celui de l’enfant qu’elle porte. Quand elle ne le nomme pas ainsi, elle nomme l’enfant zaldrītsos qui signifie petit dragon. C’est un chose qu’elle n’a jamais fait pour ses trois premiers fils, car personne n’aurait compris mais Daemon a pris avec elle cette habitude, car il partage avec elle la langue de leurs ancêtres avec une aisance que peu d’entre eux ont. Lorsque feu son père parlait le Haut Valyrien, comme le faisait la majorité des mestres également, il y avait un accent qui ne s’effaçait pas, ils accrochaient les mots et ils n’étaient jamais aussi fluides qu’ils ne le sont dans la bouche de la princesse ou son époux.

La douleur de son ventre s’étend dans son dos. Trop de fatigue, trop d’inquiétude et de stress. Il faut qu’elle s’éloigne d’ici au plus vite.

JOUR 2, LUNE 10, ANNÉE 873

Les crampes qu'elle ressent dans le bas de son ventre l'inquiète. Elle peine à marcher sans aide et il n'y a personne pour l'aider. C'est tout du moins ce que Rhaenyra croit jusqu'à ce qu'elle entende son nom sortir d'entre les lèvres d'Alicent. C'est sa voix qui l'appelle, la princesse la reconnait sans mal avant de la sentir près d'elle, saisir son bras et son coeur se ferme, sa fierté lui crie de retirer son bras, de se débrouiller seule mais lorsqu'elle croise son regard, lorsqu'elle voit son sourire réconfortant, elle oublie toute idée de résistance. Sa fierté tuerait le bébé qu'elle porte, elle a besoin d'aide et seule, elle ne parviendra pas à marcher jusqu'à sa tente. Elle a besoin de l'aide d'Alicent.
La Verte lui propose de s'appuyer sur elle mais plus que sa sympathie, c'est la manière dont elle lui sourit et se montre empathique avec elle qui l'étonne. Il y a, dans les yeux de la rousse, un éclat que Rhaenyra n'a pas vu depuis si longtemps. Un éclat qu'elle a vu pour la dernière fois dans le regard de son amie, pas dans celui de la reine Alicent. La princesse Targaryenne écoute ses conseils et s'appuie contre elle mais elle peine à comprendre son attitude. Elle a envie de la repousser tout autant qu'elle a envie de se fondre dans l'illusion de leur amitié. Elle ferme les yeux, inspire profondément et avance à petit pas, une main toujours soutenant la petite forme ronde de son ventre et en s'aidant d'Alicent.

« — Au pied du château. »

Elle lui répond pour sa tente mais aucunement pour le fait de la laisser partir après qu'elle l'ait raccompagné. Elle se focalise sur ses pas, sur la douleur contre laquelle elle lutte et pas sur ses sentiments conflictuels vis-à-vis d'Alicent, sur le trouble qu'elle lui inspire à cet instant. A la place, elle enroule son bras autour du sien, se tient à elle et sa main se pose contre celle de la Hightower alors qu'elles marchent ensemble vers sa tente.
Les murmures de la jeune femme la surprennent plus encore. Ce sont les genres de conversation qu'elles n'ont pas eu depuis si longtemps, qu'elles ont eu durant leur adolescence alors qu'elles aimaient écouter les ragots et les rumeurs qui se répandaient. Elle fronce les sourcils un instant, sa tête tournée vers Alicent alors qu'elle cherche à comprendre ce qui la pousse à agir ainsi mais soudainement, elle sent une nouvelle crampe la faire grimacer et détourner son attention. Elle continue d'avancer, s'agrippe un peu plus fort à son amie d'enfance et elle se souvient des écrits qu'elle a lu la concernant. A la fin de l'année, elle avait commencé à parler toute seule et conçu une profonde aversion pour la couleur verte, voici les mots dont Rhaenyra se souvient. Durant ses derniers jours, la reine douairière avait paru recouvrer un peu de lucidité. Se peut-il qu'elle ne soit pas lucide ? Qu'elle ait oublié tout ce qui les a divisé et déchiré si violemment ?
Cet aperçu de son amie d'enfance lui réchauffe le coeur, elle réalise combien cette dernière lui a manqué et lui manque encore mais elle ne peut pas se raccrocher à cela. En revanche, pour oublier sa paranoïa et sa crainte sur tout ceux qui l'entourent, sa sensation d'être une étrangère au milieu de ces gens et sa solitude, elle accepte cette distraction qu'elle lui offre.

« — Il n'y a aucune affection entre eux, ce n'est qu'une union politique. Je suis bien satisfaite de ne pas avoir à me soucier de leur politique. Huit souverains pour huit régions... Il était déjà peu évident de maintenir la paix et l'unité quand il n'y avait qu'un seul roi, je n'ose pas imaginer ce qu'il en est maintenant. »

Elle soupire légèrement et se prête au jeu lorsqu'un sourire étire ses lèvres.

« — Les tournois sont toujours l'occasion de nombreux scandales. Mais il n'y a pas de mal à prendre un amant. Ou même deux. »

Oh Rhaenyra aimerait tellement que cela soit réel, qu'elle puisse réellement retrouver son amie car jamais elle n'a partagé avec quiconque ce qu'elle a partagé avec Alicent. Sa première amie, son ennemie. Elle lui manque et pourtant, elle ne peut oublier qu'elle a couronné son fils au lieu de la soutenir, elle n'a pas oublié les humiliations qu'elle lui a fait subir et le nombre de fois où elle a refusé de faire un pas vers elle lorsqu'elle a tenté elle-même de le faire. Les choses auraient-elles pu être différentes si la reine verte avait accepté de marier Jace et Helaena ? Oui, cela est évident. Elles auraient unis leur famille, leur sang et la paix aurait pu régner. Mais elle lui a refusé cela, tout comme elle lui a refusé tant de choses dès que Rhaenyra eut épousé Laenor. Ou peut-être cela a-t-il commencé cette nuit où elle est sortie avec Daemon, cette nuit où elle a découvert le plaisir et la liberté dont Alicent n'a jamais pu jouir et qu'un fossé s'était davantage creusé entre elle. Ou peut-être était-il déjà trop tard lorsqu'elle avait donné naissance à un fils, peut-être que même si elles étaient restées unies, rien n'aurait pu empêcher son trône d'être usurpé et la guerre de faire rage. Comment le savoir ? Le passé ne peut pas être changé.

« — As-tu observé le tir à l'arc ? »

JOUR 2, LUNE 10, ANNÉE 873

Le sourire d’Alicent adoucit son cœur. Comment peut-elle encore avoir ce pouvoir sur elle ? Comment en est-elle capable alors qu’il y eut tant de haine entre elles, tant de colère et de blessures ? Mais la princesse s’accroche au bras de la Hightower et marche avec elle dans quelques moments où elle est son pilier, ce qui l’empêche de tomber à terre. Comment en sont-elles arrivées là ? Elles qui s’aimaient tant, elles qui s’étaient promise de rester sans jamais préciser quand ce serment prendrait fin, elles qui avaient tout partagé de leurs craintes les plus profondes à leurs secrets les plus inavouables. Jusqu’à ce qu’Alicent épouse son père.
Rhaenyra retrouve son amie d’enfance, l’Alicent qu’elle a perdu et qu’elle chérissait tant. Mais cela n’est qu’une illusion provoquée par sa démence. Une illusion dans laquelle la Targaryenne pourrait aisément se perdre et s’oublier. Car il y a peu de choses qui sont aussi douces que la présence d’une amie à ses côtés. Ses enfants dans ses bras, l’étreinte d’un amant, la force des bras protecteurs d’un parent et enfin, la présence d’une amie chère.

« — It is. Marriage is a political arrangement. It is a privilege to marry for love. »

Une liberté que les nobles dames possède rarement et cela n'a pas changé, même des siècles après leur existence.
Un moment, elle observe la rousse et elle veut la prendre contre elle, lui dire combien elle est désolée de ne pas s’être battue pour elle, pour qu’elle ait cette chance. Elle lui a laissé connaître un mariage sans amour, pas dénué d’affection mais sans une once de l’amour que son père a partagé avec sa mère, ou celui qu’elle partage avec Daemon. Elle l’a abandonné, trop en colère, trop occupée à chercher sa place et sa liberté, trop égoïste. Mais elle reste silencieuse, elle oublie ce sentiment qui vient oppresser son cœur, elle ne peut pas être triste pour cette femme qui lui a tout pris, qui l'a trahi et à tout détruit. Pourtant, à cet instant, Alicent n'a plus rien de la Reine Verte que Rhaenyra a appris à haïr.
Sans un mot, elle continue de prendre appui sur elle et marche. Elles se rapprochent petit à petit du château et de sa tente mais plus encore, la conversation semble malgré tout la détendre et lui faire oublier sa douleur.

Puis en l'entendant s'offusquer, la princesse veut rire, pour la première fois depuis longtemps elle ressent l’envie de rire sincèrement mais elle se retient. Car rire laisse entrevoir une faille émotionnelle et les éclats de joie peuvent vite se changer en larmes, les larmes d’une enfant oubliée, d’une enfant qu’on a privé de sa seule amie et qui s’est retrouvée seule dans un jeu dans lequel était à peine assez âgée pour en comprendre les règles.

« — If men can and spend hours with some whores in brothel, why a woman couldn't have the same appetite? »

Se pourrait-il que, sous l'effet de la folie et de la démence, Alicent puisse entendre les mots de la Targaryenne et voir le monde différemment qu'elle ne l'a toujours fait ? Car lorsque Rhaenyra a grandi, lorsqu'elle a appris certaines choses sur la vie d'un homme et d'une femme, lorsqu'elle a découvert le désir et le plaisir, elle et Alicent n'étaient déjà plus amies. Et jamais elle n'a pu en parler avec son amie, jamais elle n'a pu lui partager ces découvertes. N'aurait-elle jamais épousé son père et seraient-elles restées aussi proches, Rhaenyra aurait certainement tout dit à la Hightower de sa sortie avec Daemon à son retour des Degrés de Pierre et certainement, elle aurait pu mentionner Criston Cole, lui dire la vérité si elle avait accepté de l'entendre. Puis elle aurait pu lui raconter tant d'autres choses. Si elle était restée son amie, aurait-elle pu lui confier ses moindres secrets ? Lui parler de son impossibilité à concevoir avec Laenor ? Lui parler d'Harwin ? Il y a tellement de choses qu'elle aurait voulu partager avec une amie, avec son amie mais qu'elle a gardé pour elle, l'isolant un peu plus chaque jour et renforçant son impression de solitude et ce malgré la présence d'Harwin à ses côtés.

« — Yes, maybe the archery and the crowd. All the excitement... »

Alicent n'a pas répondu concernant les différents souverains et la Targaryenne ignore dans quelle illusion son amie d'enfance est plongée mais dans celle-ci, elles sont visiblement encore proche et elle ne peut lui dire que la présence de ces gens et leurs regards sur elle l'inquiètent, que la présence de ses fils à elle aussi fait peser sur ses épaules un poids supplémentaire alors même qu'elle ignore où sont ses fils à cet instant.

« — Don't be. If you needed time for yourself, it's fine. »

Il est si aisé de se glisser dans le rôle de son amie, de prétendre qu'elles le sont encore et que le passé n'a jamais existé. Car cela signifie ne plus être seule, cela signifie qu'elle n'a pas que Daemon a qui se raccrocher et qu'elle n'a pas que lui à qui se confier.
Rhaenyra conduit alors la rousse entre les tentes, elle trouve la sienne et pousse la toile qui masque l'entrée pour qu'elles puissent s'installer à l'intérieur. Ses affaires sont également réparties avec celles de Daemon dans leur habitacle provisoire tandis que ses fils ont été doté d'une tente juste à côté pour ne pas être forcé de partager avec leurs parents et leur offrir plus de liberté. Une liberté qui inquiète leur mère autant qu'elle est soulagée à cet instant qu'ils ne soient pas là pour voir qu'elle est souffrante.
Elle s'installe sur le bord du lit mais sa main reste dans celle d'Alicent, elle l'invite à venir vers elle et baisse les yeux un moment. Elle déteste le sentiment qui nait en elle, elle aimerait être capable de repousser la Hightower et continue de la haïr, elle est responsable de tant de ses malheurs. Si elle n'avait pas interdit à ses fils de s'approcher des siens, peut-être Aemond n'aurait jamais monté Vhagar pour faire des preuves ou provoquer ses cousines, alors Lucerys ne l'aurait jamais blessé et jamais il n'aurait perdu la vie à Accalmie face. Peut-être même qu'Alicent, si elle ne lui avait pas tourné le dos, n'aurait pas couronné son fils mais fait envoyer un corbeau pour faire revenir la reine légitime des Sept Couronnes à Port-Réal. Pourtant, Rhaenyra ne l'a-t-elle pas abandonné tout autant en refusant de lui pardonner ce mariage avec son père et les cachoteries qui l'ont précédé.

« — Stay with me. Just a moment, murmure la princesse en reposant son regard sur celle qui fut son amie puis son ennemie. »

Rhaenyra ne veut pas être seule. En elle réside encore la crainte de perdre son enfant et cela doit arriver, elle ne veut pas être seule. Alicent est la seule vers qui elle puisse se tourner quand elle ne veut pas inquiéter ses fils et que Daemon peine encore à accepter leur enfant à venir.

JOUR 2, LUNE 10, ANNÉE 873

Alicent parle-t-elle pour elle-même ou pour la reine Alarra ? Bien sûr que Alicent a espéré autre chose pour elle-même. Elle se souvient, durant leur enfance commune, des conversations durant les tournois et des critiques sur les chevaliers qui défilaient sous leurs yeux. Elle aurait été plus heureuse au bras d’un jeune et séduisant chevalier qu’à celui de son père. Rhaenyra n’est pas aveugle à ce fait. Elle est reconnaissante pour tout ce qu’Alicent a fait pour son père car malgré tout ce qu’elle peut lui reprocher, malgré la colère sous-jacente, elle est incapable de nier que la Hightower fut une reine et une compagne fidèle pour Viserys. Mais toutes les deux, pendant longtemps, auraient préféré un jeune chevalier. Oh Rhaenyra n’y a jamais songé comme potentiel époux mais combien de chevaliers avait-elle trouvé séduisant dans l’arène et combien de fois Alicent avait-elle approuvé ? Ou peut-être était-ce simplement pour lui faire plaisir ? Chaque fois qu’un jeune homme retirait son heaume, fier et séduisant, la princesse applaudissait ses victoires avec un large sourire. Comme elle l’avait fait autrefois avec Criston Cole. Puis, lorsque son oncle entrait en jeu, subitement les autres chevaliers semblaient bien pâles face au physique valyrien du prince de la ville.
Mais ni Alicent ni Rhaenyra n’ont été satisfaites du mariage qui fut décidé pour elles. Cependant là où la Hightower est restée fidèle à son devoir, Rhaenyra a œuvré pour obtenir ce qu’elle désirait. Jamais elle n’a œuvré, jamais elle ne s’est battue pour que sa précieuse amie est le droit au même bonheur. Elle l’a abandonné, laissé à son sort. Tout cela est vrai mais pour autant, tout cela n’excuse pas pour la princesse la trahison de son amie qui, un jour, posa la couronne du Conquérant sur la tête de son premier né et déclencha une série d’événements qui menèrent Rhaenyra à perdre tout ce qu’elle possédait. Parfois, elle songe que c’est elle qui n’a pas su s’arrêter, qui n’a pas su protéger ses enfants et sa famille avant tout mais elle chasse rapidement l’idée. Car à l’époque, le trône lui revenait de droit. Elle ne s’est pas battue plus que nécessaire.

« — So did I. »

Rhaenyra a aussi espéré quelque chose de différent. Seulement, ça n’a rien à voir avec les fiancés célébrés dans ce tournoi.
Tout comme elle a espéré, l’espace d’un bref moment, qu’elle puisse être étonnée par Alicent et que la conversation puisse mener vers d’autres pensées plus profondes. Mais l’air fermé sur son visage lui en dit long sur ce qu’elle s’apprête à répondre. La princesse n’est pas déçue par ce qu’elle entend. Elle n’est pas d’accord, évidemment avec l’affirmation d’Alicent. Peut-être, avant la mort de sa mère, elle aurait accepté cette réponse et elle y aurait cru. Mais ensuite, elle avait refusé de sa vie ne soit que cela, qu’elle ne soit faite que pour porter les fils d’un seigneur quelconque. Ironique sans doute car elle a eu plus d’enfants qu’Alicent et aujourd’hui encore, un autre grandit en elle. Cet enfant là n’est que parce qu’elle le désire, pas par devoir. Et certainement est-ce là la grande différence entre les deux femmes. Rhaenyra a désiré ses enfants et les hommes avec lesquels elle les a eu. Pas Alicent. Il y a plus, dans cette vie, que de n’être que des mères. Elle en est une, elle en sera toujours une mais elle possède aussi ses propres ambitions, ses propres désirs et ses envies et elle n’en niera aucun pour ses enfants.

Plutôt que de lui répondre, Rhaenyra garde le silence. Il est inutile de se disputer avec Alicent, de lui confronter son point de vue. Elle n’a jamais eu l’occasion de le faire auparavant car la Verte n’était pas seulement son amie mais aussi sa reine. Comme elle était princesse, elle n’a pas pu lui dire ce qu’elle pensait, elle n’a pas pu lui montrer à quel point elle allait à l’encontre de tout ce que que la Hightower était. Alors qu’elles marchent vers sa tente, ce n’est pas plus l’endroit ni le moment de lui dire ce qu’elle pense et de la confronter. Elle ne sait même pas si Alicent serait capable de l’entendre à en juger par l’illusion dans laquelle elle s’est plongée.

« — Your family is more important than me. It’s alright. »

Si le choix est à faire, Rhaenyra laisserait Alicent seule cent fois pour sa famille, pour rejoindre ses fils ou Daemon. Ou son père s’il était là. Elle exècre Otto Hightower qu’elle a un jour condamné à mort. Mais pour autant, elle ne peut blâmer Alicent d’aimer son père, qu’importe ses torts. Tout comme elle a aimé le sien malgré les nombreuses fois où elle aurait voulu qu’il la défende et où il s’était tenu silencieux, où il l’avait laissé partir à Peyredragon plutôt que de la garder auprès de lui. Elle a, sur ce point, de nombreux regrets mais le passé ne peut pas être effacé.

Dans la tente, malgré la colère, Rhaenyra n’a aucun désir d’être seule. Et cette Alicent, celle de son enfance, est une version de son amie qu’elle veut garder à ses côtés car elle lui a manqué terriblement. Toujours plongée dans son illusion, elle ne semble pas voir non plus qui elle est devenue et ne refuse toujours pas sa compagnie. Combien de temps cela va-t-il durer ? Elle la suit du regard tandis qu’elle installe le lit et un sourire s’étire sur le visage de la future mère. Pendant un moment, en les observant, elle ne voit que la jeune Alicent et la jeune Rhaenyra. Pas les reines qui se sont déchirées et qu’elles sont devenues.
Cependant, la Targaryenne n’est pas inconsciente. Si elle peut aller mieux, cela peut aussi être pire. Les cicatrices sous ses yeux en sont les preuves et si soudainement Alicent redevient son ennemie, si soudainement elle ne voit qu’une solution pour préserver la vie de ses enfants et décide de s’en prendre à elle, Rhaenyra est impuissante. Alors elle profite de l’instant où la Verte sort de la tente pour se lever, ouvrir le coffre où Daemon garde précieusement ses affaires et en tirer une dague qu’elle s’empresse de glisser sous la pile d’oreillers. Juste en cas de besoin. Puis il y a cet instinct qui lui murmure qu’elle pourrait aisément éliminer son ancienne rivale, ce nœud au creux du ventre qui l’encourage à venger ses fils mais elle ne l’écoute pas. Elle s’y refuse car elles ont conclu une paix et si du sang doit être versé, encore une fois, elle ne sera pas la première à le faire.
A la place, simplement, elle s’étend dans le lit, la pile confortable dans son dos et se détend un peu. Sa main passe sur son ventre, les contractions n’ont pas disparu mais elles semblent s’apaiser, au soulagement de la princesse. Peut-être ne perdra-t-elle pas cet enfant auquel elle s’accroche si durement.
Sa tête se tourne, son regard violet se repose sur son amie d’enfance et elle lui intime de la rejoindre d’un geste de la main.

« — No one can take my pain. »

Son regard se baisse vers son ventre. Si elle le voulait, elle pourrait si aisément le masquer sous des robes plus amples mais elle a tenu, depuis son arrivée, à ne surtout pas cacher sa condition. Elle en est, au contraire, fière et sa fierté, elle l’affiche aux yeux de tous.

« — After five boys, I hope for a girl. I could teach her how to braids her hair like I did with Helaena. »

JOUR 2, LUNE 10, ANNÉE 873

Il y a eu un temps où Rhaenyra se serait tenue auprès d'Alicent quoi qu'il advienne mais celui-ci s'est envolé depuis bien longtemps. Elle a essayé, après la mort de sa mère, de maintenir leur lien mais cela a été de plus en plus difficile malgré qu'Alicent reste sa compagne. Quand elle a épousé son père, la princesse a eu du mal à pardonner et malgré ses tentatives, elle en est venue à se renfermer sur elle-même, à ruminer sa solitude et sa colère tandis qu'Alicent, son amie et dame de compagnie, est devenue sa belle-mère et sa reine. Alors qu'elle a pris la place de sa mère. Malgré leurs tentatives, elles n'ont jamais été capable de réparer ce qui s'est brisé entre elles. Il semble qu'à un certain moment de leur vie, elles ont cessé de se comprendre, cessé d'aller dans la même direction et de vouloir les mêmes choses, de rêver des mêmes choses. Peut-être est-ce leurs visions du mariage, de leur position, de leur avenir, qui sont bien trop différentes pour qu'elles puissent s'accorder.
Pourtant, la Targaryenne a la sensation qu'elle retrouve son amie d'enfance. Elle sait bien que c'est une illusion, elle n'oublie pas les crimes de la Alicent qu'elle a eu face à elle durant tant d'années, celle qui l'a tenu à distance, qui l'a méprisé, qui l'a insulté par ses actes parce qu'elle en avait le pouvoir. A-t-elle jamais su combien Rhaenyra s'est sentie seule toutes ses années alors que sa mère était morte, son père distant, Daemon parti et Alicent froide ? Que lui restait-elle si ce n'était ses enfants ? Elle a toujours su mieux que quiconque que son mariage avec Laenor a été une farce et même Harwin, à lui seul, n'a pu combler le sentiment de solitude.

La reine verte à ses côtés, installée dans le lit pour se repousser et faire passer la douleur, elle prononce quelques paroles concernant son enfant à venir. Les questions d'Alicent lui semblent ridicules car elle connait les réponses mais au moment où elle entrouvre les lèvres pour lui répondre, elle réalise la peine que cela lui causera car la situation qu'elle connait, la rousse ne l'a jamais connu.

« — No, because I won't be alone. »

Alicent l'a été. La princesse a conscience que son père ne fut jamais à ses côtés durant ses grossesses, ni après. Après la mort de sa mère, son père est devenu l'ombre de lui-même. Il n'a vécu que pour le royaume mais plus rien n'a jamais semblé le rendre véritablement heureux. Il a fait son devoir, trouver des plaisirs là où il le pouvait mais cela l'a rendu faible. Peut-être Daemon a-t-il raison sur ce point. Cependant, elle continuera de penser qu'il n'a pas eu tort de toujours se montrer prudent sur les affaires politiques plutôt que de se lancer aveuglément dans un conflit et en cela, elle et son époux resteront certainement en désaccord pour le reste de leurs vies.
Un moment, elle se souvient de la crainte qui a été la sienne lorsque son premier fils est venu au monde. Plus elle a approché de la naissance de son premier enfant, plus la peur de connaitre le même sort que sa mère s'est faite présente. Elle a craint de ne pas s'en sortir, a craint de ne mourir ou de voir l'enfant perdre la vie aussi, ne survivre qu'un court moment. Personne n'a été à ses côtés ce jour-là. Laenor est allé fêter la naissance de cet enfant dans une taverne ou avec son favori du moment, tâchant encore d'oublier la perte de Joffrey, Harwin n'a eu aucun droit de venir dans cette chambre, Alicent était déjà trop loin, perdue à tout jamais et son père n'a jamais rien su de ses craintes concernant l'enfantement. Qui les a connu si ce n'était son oncle à qui elle les a confié mais il n'a pas plus été là que les autres.

L'attitude de la rousse semble changer, elle pose ses mains sur ses joues, Rhaenyra l'observe, elle oublie ses pensées et ses souvenirs quand elle constate les larmes qui coulent sur les jours de la jeune femme. Elle semble vulnérable, elle semble perdue et elle tend ses mains vers les siennes, elle les prend avec douceur entre ses dernières mais pendant un temps, elle ignore quoi dire. La valyrienne s'efforce tout de même à se redresser un peu, elle lâche l'une des mains d'Alicent et tend le bras vers son visage. Elle n'ose poser sa main contre sa joue mais ferme son poing, laisse son pouce venir essuyer ses larmes d'un petit geste.

« — Don't think about what you should do. Or what's expected of you. Think about what you want, Alicent. And do it. »

La douleur tire encore dans le bas de son ventre et le serviteur entre dans la tente à cet instant avec le pichet d'eau. Rhaenyra le remercie et le congédie immédiatement après qu'il ait rempli deux coupes d'eau. Elle les prend entre ses mains et en tend une à la Hightower.

« — Drink a bit. »

Cela peut l'aider à mettre un peu d'ordre dans ses pensées et à se calmer. Elle inspire, boit quelques gorgées d'eau et pose le verre à pied sur la table d'appoint juste à côté du lit.

« — What do you want to do? »