"Tell the world you're coming home..." Ft. Alysanne & Rhaenyra Targaryen.

JOUR 25, LUNE 7, ANNÉE 873

Un peu plus de deux lunes se sont succédées depuis que Rhaenyra Targaryen a ouvert les yeux à une époque bien lointaine de la sienne et pourtant, elle a la sensation qu'une éternité s'est écoulée car tant de choses se sont déroulées. Au début, elle a été seule à Peyredragon et elle a peiné à trouver la forteresse chaleureuse. Les lieux sont abimés par le temps, ils sont restés à l'abandon trop longtemps et elle n'a survécu que grâce à la sympathie des habitants de l'île, ces pêcheurs qui lui ont apporté du poisson et à l'occasion, quelques fruits. Puis en premier, elle a retrouvé Daemon. Son oncle-époux qui l'a trahi. Durant cette guerre, que les mestres ont nommés la Danse des Dragons bien que les seules danses qui ont eu lieu se sont terminées dans le feu et le sang, ils se sont éloignés, perdus de vue et les deuils les ont éloigné. Lorsqu'elle a perdu leur unique fille, Rhaenyra l'a appelé, l'a supplié pour qu'il se tienne à ses côtés mais il est resté sourd à ses appels, planifiant une guerre en son nom. Une guerre qu'elle a voulu éviter mais la mort de Lucerys a marqué le début des hostilités. La Reine Noire aurait pu pardonner à son prince de l'avoir laissé seule dans un tel moment, elle aurait pu pardonner qu'il soit parti peu après la mort de Lucerys et qu'il l'ait laissé car son départ a été nécessaire. Mais après la mort de son fils, elle s'est révélée incapable de prendre des décisions, effrayée de voir d'autres proches mourir. Elle s'est reposée sur Jacaerys, jusqu'à ce qu'elle le perde aussi et avec lui, le plus jeune fils qu'elle a eu avec Daemon, Viserys. Elle aurait pu lui pardonner son silence et son absence quand elle a pleuré leurs enfants. Mais leur perte a fait disparaitre ses peurs et l'a plongé dans une rage et une haine si intense qu'elle n'a plus songé qu'à faire payer ses ennemis pour les vies qu'ils ont prise. Les vies de ces pauvres fils. Alors lorsqu'ils ont pris le Trône de Fer, lorsque Daemon lui est revenu, sa présence n'a fait que lui rappeler ce qu'ils ont perdu, ce qu'elle ne retrouvera jamais et surtout, il lui a rappelé son absence quand elle a eu besoin de lui, la manière dont il a préféré aller au combat que se tenir à ses côtés et le sentiment d'abandon que cela a provoqué en elle. Alors quand l'occasion s'est présentée, et parce qu'elle a eu besoin de lui là-bas, elle l'a envoyé dans les Conflans pour chasser Aemond et Vhagar. Il l'a envoyé avec Orties, la bâtarde de Lamarck qu'ils ont doté d'un dragon. À ce moment, le point de non-retour n'avait pas encore été atteint.
La trahison des semences de dragon envoyés à Chutebourg a été une autre épreuve. Elle a commencé à voir des traitres partout, prise dans une spirale infernale de deuil, de souffrance, de haine et de peur. Elle a désiré exécuter Addam Velaryon, a vu Lord Corlys se retourner contre elle, a soupçonné de trahison ceux qui lui ont été le plus proche et lorsque Mysara, le Ver Blanc, a murmuré à son oreille que la jeune Orties pourrait bientôt porter en elle le bâtard de Daemon, elle a exigé sa tête aussi. Effrayée de voir d'autres dragons se retourner contre elle, de voir que la victoire lui échappait et parce qu'il ne restait à la capitale aucun dragon pour affronter ceux de leurs ennemis, elle a demandé le retour de Daemon. Avec Caraxès près d'elle, avec son consort à ses côtés, elle aurait été en sécurité. Elle n'avait que lui vers qui se tourner, quand ils la trahissaient un à un. Mais Daemon lui est loyal, il est son sang et son époux, une part d'elle-même qu'elle n'a jamais eu envie de perdre. Pourtant, cela n'a pas suffit à ce qu'il lui revienne. Jamais elle n'a vu Caraxès voler à nouveau vers Port-Réal et peu après, elle a perdu la ville, perdu un autre fils et sa dragonne la même nuit et elle a fui avec quelques loyaux chevaliers et son dernier fils, son Aegon. Durant sa fuite, un à un, les seigneurs lui ont fermé leurs portes, ses chevaliers l'ont trahi et ils n'étaient plus beaucoup lorsqu'elle a enfin atteint Peyredragon. Elle a cru qu'elle y trouverait un refuge mais à la place, seule la mort l'attendait là-bas. Où était Daemon tout ce temps ? Elle l'a cru en fuite, avec la bâtarde, elle l'a cru entiché d'une autre femme et elle s'est crue abandonnée. Il a fallu attendre qu'elle ne revienne à la vie pour apprendre qu'il avait en réalité trouvé la mort dans un affrontement face à Aemond. Cela ne l'a pas empêché de lui en vouloir pour cet abandon ultime, car en l'abandonnant, il a précipité sa mort. Elle le sait, au plus profond d'elle-même, que s'il lui était revenu, il aurait pu la sauver de son funeste destin.
Alors à son retour, lorsqu'elle l'a retrouvé, ils ont trouvé plus de courage à se reprocher leurs actes passés qu'à se confier leurs blessures, celles qui les ont séparés, ces deuils qui se sont succédés et qu'ils n'ont pas su affronter ensemble. Il a fallu un long voyage vers Castral Roc, une fatigue importante et des cauchemars éveillés par des souvenirs traumatiques pour qu'ils se parlent enfin. Depuis, chaque jour, elle lui pardonne un peu plus son abandon et ses faiblesses et chaque jour, elle lui en veut un peu moins.

Après Daemon, ce fut son ancêtre, la reine Visenya dont elle a fait la connaissance. Celle-ci veut unir les Sept Couronnes sous son règne et la princesse lui a assuré son soutien, ainsi que celui de son époux. Ensemble, ils ont commencé à remettre la forteresse en état. Puis, Viserys III est revenu. Ce Targaryen qui aurait dû succéder à son père, Aerys II mais dont le trône a été usurpé par un Baratheon. C'est après cela qu'elle en est venue à partir pour Castral Roc où se trouve une autre Targaryenne, une qui, selon les dires de Tywin Lannister, n'est autre qu'Aerea Targaryen. Mais quand Daemon et elle sont arrivés sur place, la jeune princesse s'est avérée introuvable et ils sont repartis sans elle. En revanche, elle a fait une autre rencontre à Lannisport. Dans la nuit noire, alors que son prince dormait encore, elle a rencontré Alicent Hightower. La Reine Verte, tout comme chacun de ses fils et sa fille, vivent et malgré la haine qu'elle entretient envers eux, elle a opté pour la paix. Car trop de sang a coulé. Elle ne tient aucun de ses demi-frères dans son cœur, elle préfère les savoir morts que vivants dans le même monde qu'elle et pourtant, le sang appelle le sang. Il n'y a plus de trône, il n'y a plus de royaume à gouverner et verser une goutte de leur sang lancerait de nouvelles hostilités. Rhaenyra est épuisée, elle ne veut plus se battre, elle ne veut plus régner. Elle n'aspire qu'à vivre à Peyredragon, avec les fantômes de ces fils, ses souvenirs et le Targaryen qu'elle a épousé selon les traditions valyriennes. Cette paix n'a pas plus à Daemon. Et depuis, ils en sont revenus à une colère sourde. Il lui en veut mais elle sait que sa colère viendra à passer, qu'il finira par entendre son point de vue et s'il ne le partagera jamais, il finira par accepter qu'il en soit ainsi.
Alors, depuis, ils partagent leurs appartements en silence. Elle attend, chaque soir, son retour et se niche dans ses bras pour trouver le sommeil et se réveille à l'aube pour le voir partir. Ils n'échangent aucune parole si elles ne sont pas nécessaires et pourtant, elle n'est pas mal à l'aise avec cette situation. Elle ne lui plait pas mais il faudra à Daemon du temps pour accepter que les choses soient ainsi avec les Verts qui, désormais, semblent installés à Villevieille. La Targayrenne a les certitudes qu'il lui manquait dans sa précédente vie, elle a la certitude qu'il ne l'abandonnera plus et il le lui prouve chaque soir, quand il lui revient malgré qu'il soit libre d'aller où il le désire, elle sait qu'il ne l'a pas trahi au sens où elle l'entendait, qu'il n'a jamais éprouvé pour une bâtarde l'affection qu'il a pour elle et plus encore, il n'a jamais touché ladite bâtarde. Leur amour est encore là, aussi vivace qu'il ne l'était autrefois et elle n'a pas besoin de plus. Le temps fera les choses, le temps leur permettra de se pardonner entièrement et de faire disparaitre la colère.

Depuis qu'ils sont revenus de Castral Roc, Rhaenyra a fait la rencontre de sa grand-mère, Alyssa Targaryen puis elle a vu revenir son doux Lucerys. Le seul enfant qu'elle ait dans ce monde et depuis son retour, elle tait en elle l'espoir de voir ses frères revenir. Car elle pensait ces mots qu'elle avait dit à Alicent lors de leur rencontre, je couronnerais moi-même n’importe lequel de vos fils si cela pouvait me ramener l’un des miens, me permettre de les serrer contre moi une dernière fois ou seulement de revoir leurs visages quelques instants, avait-elle dit. Et cela est vrai. Mais l'espoir est une chose cruelle et il lui ferait plus de mal de croire qu'elle pourrait les revoir que d'accepter qu'ils sont partis et qu'elle doit vivre avec la douleur de leur absence, qu'elle doit vivre avec la culpabilité de ne pas avoir su les protéger.
Après Luke, ça a été au tour de Daenerys Targayren, dernière reine Targaryenne, de venir les visiter mais elle est repartie peu après. Puis Rhaella Targaryen, la mère de Viserys et Daenerys, de venir s'installer dans la forteresse de leurs ancêtres.

Malgré toutes ces présences, Peyredragon reste un lieu calme et paisible. Les tempêtes ont enfin cessé depuis quelques jours et chacun vaque à ses occupations comme il l'entend. Alyssa elle-même est partie deux jours auparavant dans le Nord pour y voir la Stark qui, selon la rumeur, possède son propre dragon. Cette rumeur ne cesse de torturer Rhaenyra, de lui faire craindre de voir des gens du commun monter des dragons, prouver que les Targaryen ne sont pas les seuls qui en soient capables. Mais ce jour, ce n'est pas ce qui préoccupe la princesse. Plongée depuis des heures dans le livre de comptes, elle note d'une part les dépenses nécessaires à leur quotidien et plus des Targaryen semblent venir s'installer à Peyredragon, plus la situation financière se tend. Malgré les efforts de Daemon, malgré l'argent qu'il ramène et les voyages de Visenya d'obtenir un soutien financier et l'allégeance de quelques seigneurs, cela ne suffit pas.
Réfugiée dans la Salle de Table Peinte, au sommet de la Tour Tambour où elle a allumé un feu et placé l'œuf de dragon rouge et or que son oncle lui a ramené, Rhaenyra relève les yeux vers la porte quand elle l'entend s'ouvrir et voit Daemon revenir. Il rentre plus tôt qu'à son habitude, la nuit n'est pas encore tombée. Elle le suit du regard alors qu'il s'avance vers elle, il n'y a dans ses yeux lilas aucune trace d'hostilité à son encontre car comme depuis qu'il a découvert sa rencontre secrète avec Alicent, elle attend qu'il ne cesse de lui en vouloir. Il pose l'argent près d'elle et elle a tout juste le temps d'ouvrir la petite bourse et d'en vider le contenu sur la table qu'il s'éloigne déjà. Elle le suit des yeux, son beau prince Targaryen et un fin sourire se dessine sur ses lèvres. Qu'il s'éloigne, elle le retrouvera bien assez tôt dans leurs appartements. Elle sait se montrer patiente. Et fière. Trop fière certainement pour faire vers lui ce premier pas vers la réconciliation.
Rhaenyra commence alors à compter les pièces d'argent pour les ajouter aux comptes, ils ne suffiront pas à subvenir entièrement à leurs besoins mais pour quelques jours, cela suffira. Ce n'est qu'en entendant les mots de son époux qu'elle abandonne ses comptes pour poser ses yeux violets sur la silhouette qui se tient dans l'encadrement de la porte. Elle fronce un moment les sourcils et se lève, contourne la table et s'approche de pas prudents. À mesure qu'elle avance, son visage se détend. La femme est une autre Targaryenne et, sans l'ombre d'un doute, la Bonne Reine Alysanne. Même de là où elle est, elle peut voir et sentir Daemon se tendre. S'il était resté silencieux, elle n'aurait pas su dire qui elle était car elle n'avait que trois ans lorsqu'elle était morte et s'il lui reste quelques souvenirs d'elle, ce sont ceux d'une vieille femme et non d'une jeune reine.

Rhaenyra s'avance et sa main se pose contre le bras de Daemon, elle le presse doucement pour lui signifier sa présence et son soutien. Elle connait les griefs qu'il entretient depuis si longtemps à l'encontre de leur ancêtre mais Rhea Royce n'est plus et ce depuis longtemps. Il n'est plus prisonnier de ce mariage qu'il a tant haït, de cette épouse pour laquelle il n'avait aucun affection mais que la jeune adolescente qu'elle avait été a envié pour la liberté dont elle jouissait dans cette union qui n'en était une qu'aux yeux des Sept et des lois mais point dans les faits. Maintenant, c'est un tout autre mariage qui tient Daemon prisonnier mais celui-ci, il l'a choisi et malgré sa colère actuelle, elle sait qu'il n'a pas plus de désir qu'elle de le voir être dissout un jour.
Un sourire se dessine sur ses lèvres, à l'adresse de celle qui fut la Bonne Reine et elle répond avant que Daemon ne puisse le faire sur la ressemblance entre lui et sa mère.

« — C'est plus évident encore lorsqu'ils se tiennent côte à côte. C'est dans la forme de leurs visages et dans le regard. Ces yeux ont la même teinte améthyste que celui d'Alyssa. Puis il y a les oreilles également. Ils ont les mêmes. »

Dès qu'elle a rencontré Alyssa, c'est la couleur de son oreille violet qui l'a frappé. Elle s'est toujours demandé d'où Daemon le tenait car ses propres yeux sont plus clairs et elle les tient d'Aemma, sa mère, qu'elle soupçonnait les tenir de Daella, sa propre mère. Son père Viserys était aussi plus clair, quelque part entre ceux de sa fille et de son frère, une coulère que Rhaenyra a toujours rapproché de celle d'une bruyère en fleur.

« — Soyez la bienvenue à Peyredragon, princesse Alysanne. »

JOUR 25, LUNE 7, ANNÉE 873

Rhaenyra le sait depuis l'instant où elle a posé les yeux sur la Bonne Reine mais son retour est une bonne chose pour le royaume. Car depuis son retour, elle a lu chaque livre qu'elle a pu trouver sur leur dynastie, sur les Targaryen qui ont vécu après eux et aucune reine ne fut aussi sage et ne fit autant pour le royaume qu'Alysanne. Cette arrière-grand-mère qu'elle a si peu connu si ce n'est pas les écrits et les récits de ses ainés, lui inspire une grande douceur et un cœur bon, un cœur de mère qu'elle partage avec elle.
Et si Daemon lui a lancé un regard quand elle a mentionné ses oreilles semblables à celles de sa mère, des oreilles auxquels elle n'a rien à reprocher d'ailleurs, elle relève à son tour les yeux vers lui quand il mentionne qu'elle était un bébé ennuyant. Elle ne se souvient pas qu'il ait jamais utilisé ce terme pour la désigner. La Targaryenne n'en dit pourtant rien, pas un mot car dans le regard de son oncle, elle lit son désir de fuir la situation plus que de l'affronter alors elle presse un peu plus son bras. Reste. Partage tes fardeaux avec moi, lui disent ses yeux, elle n'a cure de la colère qu'il a à son égard pour l'accord qu'elle a passé avec Alicent. Cela ne l'empêchera pas de partager avec lui ses peines et ses tourment, comme il a partagé les siens pendant un temps vis-à-vis de sa position d'héritière. Car il y a des moments où il est plus aisé de tenter d'apaiser les tracas de son époux que d'affronter ces propres peines et cela lui fait du bien.

Lorsqu'il s'éloigne, la main de Rhaenyra le relâche, son bras retombe le long de son corps et elle le suit du regard un instant, impuissante face aux pensées qui le traversent et dont elle ignore tout. Elle prend une inspiration, reprend son aplomb et reporte son attention sur Alysanne. Cette ancienne reine qui la prend dans ses bras, dans une étreinte proche de celle d'une mère et un moment, la princesse se demande si elle serait aussi aimable avec elle lorsqu'elle apprendrait les crimes qu'elle a commis, quand elle saurait qu'elle a affronté son propre sang et trainé le royaume dans une guerre civile.

« — C'est une joie de vous savoir en vie également, bien que mes souvenirs de vous soient bien lointains. »

Elle était une enfant et aujourd'hui, elle ne sait pas si les quelques bribes de souvenirs qu'elle a de la reine Targayrenne sont réels ou si elle les a imaginé à partir de ce qu'on lui a raconté.

« — Oui. Plus que je ne l'aurai imaginé. »

Plus qu'elle ne l'aurait voulu. Si les fils d'Alicent avaient pu rester mort, cela l'aurait soulagé de bien des peines et des tourments.

Rhaenyra suit l'autre femme des yeux tandis qu'elle observe la pièce. Qu'en pense-t-elle ? Trouve-t-elle, tout comme Rhaenyra, l'état de cette forteresse désolante ? Elle a toujours été fière de leur héritage valyrienne, elle a toujours apprécié les coutumes de leurs ancêtres et cherché le juste milieu entre son désir de les honorer et sa volonté de respecter celles de Westeros. Durant son adolescence, elle avait eu une tendance à compartimenter ces deux parts d'elle-même. L'une, elle l'honorait avec Daemon en écoutant ses récits, volant avec lui, échangeant en Haut Valyrien avec lui tandis que l'autre, elle le faisait avec Alicent qui la ramenait à la réalité de ce qu'était le royaume dans lequel elle vivait. Un royaume qu'elle aurait dû gouverner et elle l'a fait mais pas de la meilleure des manières, pas dans des temps de paix. En cela, elle a échoué. Car c'était l'unité et la stabilité du royaume qui aurait du prévaloir et à la place, les Sept Couronnes avaient saigné.
La princesse retient un rire ironique quand la Bonne Reine parle de Rhea Royce, de ce mariage dans lequel elle a piégé Daemon. Penserait-elle toujours que cela était une bonne idée si elle savait que le prince a lui-même tué cette épouse ? Joignant ses mains devant elle, Rhaenyra se met machinalement à jouer avec les bagues qui entourent ses phalanges, il y a tant de choses que l'autre Targaryenne ignore et tant de choses pénibles qu'elle se doit de lui expliquer.

« — Les Sept Couronnes ne sont plus ce qu'elles étaient, princesse. Il y a bien des siècles que notre maison s'est éteinte. Les rois qui ont suivi ont régné avec sagesse, jusqu'en 709 où a été assassiné le dernier roi. Désormais, ce sont sept rois et reines qui se disputent le pouvoir à Port-Réal. L'unité et la stabilité du royaume n'est plus. »

Ce fait, elle a eu deux lunes pour l'accepter et elle en parle avec aisance. Si son désir est de restaurer la stabilité du royaume et la gloire de leur maison, elle n'a aucune envie de régner elle-même ou de s'impliquer davantage dans les affaires d'un royaume pour lequel elle a déjà sacrifié ses enfants, son mariage, sa vie et tout ce qu'elle possédait dans une autre vie. Ce combat n'est plus le sien désormais, elle mène ses propres batailles au sein de son cœur et de son mariage et cela lui suffit amplement.

« — Nous avons proclamé Visenya Targaryen reine de Peyredragon mais les Sept Couronnes sont encore à reconquérir et qui de mieux pour cela que l'épouse du Conquérant elle-même ? »

La Bonne Reine partagera-t-elle son point de vue ? Rhaenyra ne lui laisse pas le temps de s'y opposer car elle peut deviner qu'Alysanne ne porte pas dans son cœur la reine qui a maintenu sa famille prisonnière de Peyredragon et dont le fils les a tant fait souffrir. Alors elle reprend, lui parle de leur famille qui semble l'intéresser.

« — Nous sommes sept Targaryen à vivre entre ces murs. Visenya, votre fille Alyssa, mon fils Lucerys et la reine Rhaella et son fils Viserys qui régnèrent bien après nous. Le Nord abrite les deux autres enfants de Rhaella, Daenerys et Rhaegar. Ils sont quatre à avoir trouvé refuge à Villevieille et... »

Une grimace tord un peu son visage, elle tourne la tête vers son prince alors qu'elle mentionne le sujet de leur actuelle querelle et cherche à voir s'il se tend comme elle le fait lorsque ses doigts se crispent autour de ses bagues mais elle reprend sur un ton plus dur à l'adresse de la reine qui a précédé sa propre mère.

« — Ceux-là ne rejoindront pas notre cause, pas plus qu'ils ne s'y opposeront. »

Son cœur se presse dans sa poitrine quand lui reviennent les griefs qu'elle entretient à leur encontre. Ils lui ont tout pris, ils lui ont pris son trône, ses fils, son époux et sa vie. Si elle écoute sa colère, elle les tuerait tous, jusqu'au dernier, mais elle ne peut agir impulsivement et tout risquer pour une vengeance qui n'a plus lieu d'être. Ils sont tous morts une fois, ils ont tous payé le même prix et ils ont tous souffert de la guerre.

« — Nous sommes également allés à Castral Roc pour y chercher une Targaryenne mais elle avait disparu avant notre arrivée. Nous avons attendu plusieurs jours mais jamais elle n'est revenue. Si j'en crois le seigneur qui nous a accueilli, c'est la princesse Aerea qui se cachait dans les écuries du Roc. J'ignore malheureusement ce qu'il est advenu d'elle. »

JOUR 25, LUNE 7, ANNÉE 873

La princesse Rhaenyra reste calme, son ton flanche très peu lorsqu'elle parle à Alysanne, lorsqu'elle mentionne les Verts qui lui ont arraché ses fils, son mari et finalement, la vie. Mais Daemon ne semble pas capable de même calme, il ne l'a jamais été. Alors elle n'est pas surprise quand elle l'entend répondre d'abord avec sarcasme puis avec haine envers leurs ennemis, des ennemis qu'elle déteste tout autant mais à qui elle a promis la paix. Alors à ces derniers mots, elle tourne la tête vers Daemon, ses mains toujours jointes devant elle alors qu'elle serre un peu plus ses bagues.

« — Nous en avons discuté. Ta colère n'y changera rien, je me suis déjà engagée à les laisser en paix tant qu'ils feront de même. »

Que peut-il faire ? Malgré sa colère et sa haine, un fait important demeure : Aemond et Daeron ont des dragons. Pas eux. Alors elle détourne son attention de son époux. Il ne changera pas d'avis aujourd'hui, pas plus qu'elle. Et ce n'est ni le lieu ni le moment de discuter de cela. Ils le feront, quand Daemon sera d'humeur, dans l'intimité de leurs appartements où personne ne les entendra ou ne les observera.
Alysanne longe la table, Rhaenyra l'observe un moment avant de jeter un regard vers le feu près duquel repose toujours son œuf, un bel œuf rouge strié de nervures dorées. Elle espère qu'il viendra un jour à éclore. En attendant, elle reste et restera sans dragon. Elle s'était liée à Syrax dès le berceau et peine à imaginer monter un dragon adulte, un qui n'aurait pas grandi à ses côtés.

Avec attention, elle écoute les paroles de son arrière-grand-mère alors que son visage et ses traits sont si juvéniles qu'il est parfois aisé d'oublier qu'elle régna si longtemps aux côtés de Jaehaerys. Pourtant, Rhaenyra n'est pas d'accord avec les paroles qu'elle prononce. Elle n'accorde que très peu de crédit à Maegor, cela est vrai qu'il fut cruel et régna par la peur. Mais Visenya, bien sûr qu'elle n'était pas sans tort, l'avait toujours fasciné et bien qu'elle n'est plus une enfant admirative de son ancêtre, elle doit admettre qu'elle possède la force nécessaire pour diriger les Sept Couronnes. Elle n'est ni faible, ni excessivement cruelle, elle est dure quand il le faut mais rationnel et elle l'a peur vu se laisser emporter par ses émotions. Il pourrait, dans le règne de Visenya, y avoir un équilibre entre un respect de la part du peuple et de la crainte. Et il faut un peu de peur pour régner, elle l'a appris il y a bien longtemps, elle l'a mis en pratique en laissant croire à ses rivaux qu'elle était capable de tuer le père de ses enfants et son époux pour se remarier à son oncle.
Elle s'apprête à lui répondre, à dire à Alysanne qu'elle ignore ce que les Sept Couronnes ont fait à leur famille, la manière dont ils ont été repoussés et rejetés, dont ils leur ont tourné le dos dès lors que Daenerys Targaryen est revenue prendre ce qui lui revenait de droit. Mais à la place, elle fronce les sourcils au regard qu'elle a sur elle, aux mots qu'elle prononce.

« — Futur enfant ? Détrompez-vous, princesse Alysanne, je ne porte en moi aucun enfant. Cela n'est pas... »

L'assurance dont elle fait preuve lorsqu'elle prononce ses paroles s'effrite durant les instants qui suivent. Ils ont été prudent, se sont assurés que cela ne pouvait pas arriver. À l'exception de la première nuit qu'ils ont partagé, la première depuis si longtemps. Une nuit d'insouciance et de plaisir durant laquelle ils ont oublié le reste du monde, ils ont oublié la prudence et elle n'y a pas songé à nouveau depuis.
Ses yeux se relèvent vers Daemon, il y a dans ses prunelles lilas une vague d'inquiétude, une panique certaine. Les murs de la pièce semble soudainement se rapprocher d'elle, l'étouffer et entraver sa respiration. Elle n'a pas saigné depuis leur retour de Castral Roc mais elle a mis cela sur le compte des tempêtes d'émotions qui l'ont traversé ces derniers temps, elle n'avait pas saigné pendant plusieurs lunes durant la fin de la guerre et pourtant, Daemon était absent de son lit et de sa vie en ce temps-là. Elle a noté, depuis quelques jours, sa poitrine un peu plus lourde et sensibles mais elle a mis cela sur le fait qu'elle allait probablement saigné sous peu. Elle n'a pas été malade, rien d'anormal chez elle durant les derniers jours alors que pour ses fils, elle avait ressenti des nausées et s'était trouvée, dès le début de la grossesse, plus sensible aux odeurs. Cela n'est pas le cas en ce moment, elle ne peut pas être enceinte.

Pourtant, à mesure que les secondes passent, l'idée semble être de plus en plus plausible. Cela n'est pas pour la rassurer. Les conditions ne sont certainement pas idéales pour accueillir un enfant. Elle en a trop pleuré, le royaume n'a rien de stable et sa relation avec Daemon n'est pas aussi parfait qu'elle a pu l'être par le passé, ils ont encore besoin de temps pour se pardonner, pour s'accorder à nouveau et partager leurs points de vue sur beaucoup de sujet.

« — C'est impossible, je vous l'assure. »

Il n'y a rien de sincère dans ses mots car elle doute et elle peine à retrouver le regard de Daemon, juste un instant, avec la crainte de trouver de la colère ou un refus catégorique dans ses iris, à l'idée qu'il existe une possibilité, même infime, qu'ils puissent accueillir une autre enfant. Alors avant d'avoir la certitude de ce qu'elle voit dans son regard, la princesse se détourne entièrement d'eux et s'avance vers le balcon pour se retrouver dehors. Elle pose ses mains sur la balustrade de pierre, observe l'île, le silence est troublé par le cri d'un dragon et elle sent sa gorge se nouer.
Comment a-t-elle pu ne pas y songer ? Comment ont-ils pu être si imprudent ?
L'une de ses mains se posent contre son ventre avant qu'elle ne secoue légèrement la tête et sans même se tourner vers Alysanne ou Daemon, toujours dos à eux et à la pièce, elle élève la voix pour se faire entendre d'eux.

« — Seul un Mestre pourrait le confirmer. »

Rhaenyra sait bien que cela est faux, elle connait les signes. Elle les a simplement ignoré et elle sait que ceux qu'elle n'a pas eu viendront dans les prochains jours. Car son aïeule dit vrai, elle peut le nier autant qu'elle le veux, elle sent au plus profond d'elle-même qu'il y a des vérités dans les mots d'Alysanne.