Un bref ricanement qui s'entend à peine échappe à Daemon quand il entend la réplique de Visenya.
La famille était une notion compliquée. Elle l'était bien plus chez les Targaryen. À l'inceste que tant médisaient, se mêlaient leur folie, leurs ambitions et leur folie des grandeurs. C'était peu étonnant en vérité, si leur dynastie avait tourné d'une telle façon, étriquée qu'elle était dans les mœurs de Westeros.
Les dragons étaient fait pour la liberté et non pour être enfermés...
Daemon aurait affronté le Fléau lui-même pour Viserys. Toute sa vie, il l'avait passé pour Viserys, à travers Viserys. Il avait été le second fils et avait toujours su qu'il ne serait jamais aussi grand ou important que son aîné. Beaucoup l'avaient pensé ambitieux et jaloux, ils se trompaient. Il avait aimé Viserys de tout son être dès qu'il était né. Son frère avait été un Dieu vivant pour lui quand ils étaient enfants mais très vite, un fossé les avait séparé. Non pas dans leur affection, pas au début mais dans leur caractère.
Viserys s'était démontré doux et calme, toujours apte à plaire quand Daemon était l'enfant sauvage et récalcitrant, provocateur et prompt au chaos. L'écart s'était creusé dans le cour d'entraînement, Viserys n'ayant jamais été doué pour manier une épée quand Daemon aurait pu attaquer tout ce qui bougeait. Combien de fois avait-il créé un esclandre dans le Donjon Rouge pour une parole ou un regard de travers envers son frère ou sa famille ?
Mais les années et la couronne avait fini de séparer les deux frères, à terme d'insultes, de méfiance, de défiance et d'humiliation constantes. Malgré cela, Daemon avait aimé son frère et s'il l'avait fallu, il aurait affronté Valyria et ses démons, s'il l'avait fallu il se serait empalé sur Noire-Sœur et bien d'autres folies encore... Et pourtant... Cet amour à tout épreuve avait été ébranlé par Rhaenyra d'abord, puis par ses enfants.
Rhaenyra avait été tout ce que Viserys n'était pas capable d'être. Autre que le désir qui les avait lié lorsque sa nièce était devenue une femme, c'était l'affection et la dévotion d'un oncle pour sa nièce. Dès sa naissance, il y avait eu un feu à tout épreuve qui avait brûlé en Rhaenyra et qui avait fait écho au sien, qui avait comblé un vide qui existait en lui, qui réparait le gouffre qu'il semblait y avoir entre sa famille et lui.
Et puis, ses enfants... Il aurait re-créé le Fléau lui-même pour ses enfants.

Et pourtant, personne ne pourrait l'envisager de lui. Il devinait que c'était un peu pareil avec Visenya. Ce que l'on retenait d'elle était l'image de la reine conquérante, celle qui avait épaulé Aegon Ier, qui l'avait porté jusqu'où il était, on retenait ses actions et ses exploits, ses réussites. On retenait d'elle le rôle qu'elle avait joué dans l'usurpation du trône par son fils Maegor mais l'image de la mère qu'elle avait été ? Aucun de ces rats de la Citadelle n'en faisait véritablement mention dans leurs ouvrages. Il devinait que c'était bien plus facile de voir Visenya comme une légende ou un monstre, que comme une mère. Peut-être était-ce aussi son cas par moment.
Mais il pouvait voir la mère, à cet instant, il pouvait voir cet amour maternel flamber avec violence et superbe dans ses yeux violets. Pas de doute, Visenya Targaryen créerait d'elle-même le Fléau de Valyria de nouveau s'il le fallait pour son fils.

« Siblings... They're always ungrateful brats anyway. Children... They may be too but they're what we hold dearest in the end. »

Si Viserys revenait à la vie, Daemon lui referait certainement le portrait. Il le frapperait pendant des heures, il lui hurlerait ses quatre vérités au visage sans remords. Ses humiliations, sa méfiance, ses erreurs en tuant Aemma, en épousant une gosse manipulée et qu'il avait transformé en l'une de ses pires ennemies, en lui refusant Rhaenyra, en laissant s'instaurer un climat de guerre qui leur avait tout coûté après sa mort...
Il l'aimait encore, profondément, mais il ne se battrait plus pour lui. Il ne ferait plus rien pour lui. Mais ses enfants... S'il pouvait de nouveau les serrer dans ses bras, s'il pouvait de nouveau voir leurs visages... Il ferait son possible pour que ce monde ne permette plus jamais de les voir mourir avant l'heure de nouveau. Plus jamais.

Et cela commençait par brûler leurs ennemis. Ses enfants n'étaient peut-être pas encore revenus et la distance avec Rhaenyra était encore aussi terrible que durant la Danse, mais si jamais ces fanatiques lui ramenaient un jour ses enfants, Daemon voulait que ce monde soit accueillant pour eux.
Et en attendant, qu'avait-il de mieux à faire que de brûler ses ennemis, que de faire payer leurs crimes à des maisons et des ordres qui n'avaient que trop survécu ?
Le sourire cruel qui se dessinait sur les lèvres de Visenya lui promettaient des merveilles de chaos et de vengeance et son propre visage faisait écho à cette cruauté, à ces promesses comme il s'interrogeait sur les projets de la Conquérante un peu plus. Notamment sur ses projets d'alliés.
Ce qu'il entendait lui plaisait et lui parlait.

« Indeed. »

La seule chose qui l'inquiétait était de savoir si Visenya aurait la patience de régner. Conquérir et régner étaient deux choses extrêmement différentes. Lui, connaissait ses propres faiblesses. La politique l'ennuyait à mourir et il préférait toujours bien plus aller au moyen le plus simple -souvent le plus chaotique- que de passer par quatre chemins.
Régner demandait souvent bien plus de diplomatie, surtout à Westeros où tout était régie par la Foi et l'hypocrisie qui allait avec. Visenya semblait lui ressemblait un peu trop pour son propre bien en tant que souveraine.
Aussi, en l'entendant conclure, une légère grimace vient habiter son visage.

« Maybe... My wife may help you. She was raised to be the heir of my brother. She was usurped before but... She was good at it. I have the feeling you might use her help as you don't seem to me the kind of person who... Likes to lose her time playing dumb politics, without any offense. »

Avait-on les enfants qu'on méritait ? Daemon n'en était pas certain. Mais après tout, des enfants qu'il avait engendré, il n'avait pas eu l'occasion de véritablement les voir évoluer.
Ses filles lui étaient toujours apparus comme des anges, des espèces de petit miracle de perfection. Quand il posait son regard sur ses filles, il peinait parfois à croire qu'il ait participé à leur donner la vie, à créer les êtres qu'elles étaient, les amener en ce monde... Il n'était pas aveugle, il avait toujours vu le feu qui habitait les âmes de ses filles mais elles étaient d'une âme splendide et superbe, quand il était damné dans tout ce qu'il y avait de plus de monstrueux en l'être humain et surtout, chez un Targaryen.
Mais quand il s'agissait de ses fils, Daemon ne pouvait pas nier qu'il était plus mitigé. Il ne les avait qu'à peine connu, Aegon et Viserys si jeunes quand le dernier avait disparu en mer, puis, quand lui-même avait trouvé la mort.
S'ils revenaient un jour, Daemon ne savait même s'il serait capable de les reconnaître...
Quand à Jace, Luke et Joffrey, si Daemon les avait toujours considéré comme ses fils dès lors que son âme avait été liée à celle de Rhaenyra, s'il les avait aimé -à sa manière- pouvait-il vraiment clamer qu'il les avait forgé à son image ?
Joffrey peut-être plus que les autres, ayant été le seul exemple paternel du jeune Velaryon au cours de sa vie, mais Jace et Luke... Il avait fait en sorte de leur donner un entraînement plus conséquent que ce Cole avait pu leur donner, ou Laenor, il avait fait en sorte de les faire se sentir inclus dans leur propre famille, veillé à leur sécurité, à leur bien-être, bien que de loin pour ne pas empiéter sur un rôle de père qu'ils ne voudraient peut-être pas le voir tenir, mais il y avait tant d'Harwin en eux, tant de Laenor aussi.
Il y avait une bonté et une bravoure qui brûlait dans leurs âmes que Daemon aurait été incapable de leur transmettre.

« Mmh. I cannot completely agree. But I do see your point. »

Les enfants que l'on méritait... Il n'était pas certain que les tragédies qui avaient succédé la vie de sas grands-parents et surtout, leurs enfants, étaient méritées. Cependant, il ne pouvait nier qu'une partie de ce qu'avançait son ancêtre était vrai.
Son esprit le ramena péniblement à Rhaenyra, à la façon dont la couronne l'avait transformé dans sa nature, à la façon dont elle avait semblé si proche du comportement de Viserys...

La colère qu'il en ressentit fulmina entièrement en lui, lui faisant serrer les poings, serrer les dents, alors même qu'il conseille l'aide de Rhaenyra à Visenya. Un conseil qui semblait déjà résonner aux oreilles de la Conquérante, et sa remarque le fit ricaner.
Encore une fois, il songe que Visenya a tout d'une bonne conquérante, d'une guerrière superbe mais qu'il sera peut-être plus compliqué pour elle de régner. Mais au moins, elle semble prête à le reconnaître.
S'il ne répond rien, qu'il se contente de le reconnaître en silence, Visenya enchaîne bien vite, le faisant ricaner à nouveau lorsqu'elle le chasse plus ou moins de cette salle.

« We'd go faster to clear the castle together. And I already started some other rooms. »

Il reconnaissait bien l'envie de ruminer quand il la voyait. Daemon commence donc à faire volte-face, satisfait de cette rencontre et de cette discussion. Westeros, il s'en foutait à vrai dire. S'il s'écoutait, il détruirait probablement tout ce royaume pourri sous les flammes, n'en laisserait que des cendres. Mais restaurer la gloire de leur Maison lui allait bien aussi.
Avant de s'en aller cependant, il se tourne de nouveau vers son ancêtre.

« Don't waste my money. »

Son éternel sourire en coin plaqué fidèlement sur ses lèvres, Daemon s'en va alors, laissant Visenya à ses ruminations et la solitude qu'elle semblait chérir, alors que lui-même s'élançait faire face à la sienne dans une autre partie du château.