Born Again - Ft. Joanna Lannister

Le vent s’est levé, les vagues s’agitent presque nerveusement et que la Salle des Héros surplombe de toute son austérité. Les embruns, l’air iodé, le bruit des rouleaux… Joanna Lannister inspire longuement, se repaît de ce parfum qu’elle avait si bien connu et qui lui rappelait à chaque fois la maison. À Port-Réal aussi il y avait la mer, mais l’odeur putride de la cité masquait toute autre senteur.
Ici, au coeur du Roc, Joanna se sent de nouveau chez elle.

Postée devant les tombes de ses enfants et celle de son époux, la lionne réajuste les quelques fleurs de jasmin qu’elle venait de déposer sur la tombe de ses jumeaux. Elle ignore si, comme elle, ils finiront par revenir à la vie d’une façon ou d’une autre. En attendant ce jour qu’elle tentait de ne pas trop espérer, elle irait garnir leur mausolée de fleurs chaque matin.
Entre ses doigts demeure un camélia rouge sang, la variété la plus belle du camélia et qui avait une signification pour elle toute particulière. Aux couleurs de leur maison, à l’amour passionnel et immortel qu’elle éprouve et qu’elle éprouverait toujours pour Tywin Lannister, dont le nom est inscrit juste à côté de la tombe de Jaime et de Cersei.
Les pétales de la fleur caressent le bout de son nez tandis qu’elle ferme un instant les yeux, adressant une silencieuse prière aux Dieux. De l’extrémité de ses doigts, elle caresse les lettres de son nom gravées dans le marbre, trace leur forme comme si elle pouvait le toucher lui. Ridicule. Elle consent alors à se séparer de la fleur et la dépose sur le dessus du cercueil de son époux, le coeur serré et la gorge comprimée.
Si elle tenait à distance l’espoir de revoir un jour ses jumeaux, Joanna ne voulait même pas penser à revoir Tywin. Car s’il s’avérait qu’elle ne pouvait pas le retrouver dans cette vie, rien ne lui ferait plus de mal que cette perspective.

Elle murmure son nom à voix basse, la promesse de son retour ici chaque jour jusqu’à ce que la Mort l’emporte de nouveau.

Après sa visite à la Salle des Héros, Joanna décide de faire un tour dans les jardins dont elle ne se lassait pas de leur beauté éthérée. Il lui semble qu’elle n’avait jamais quitté le château, qu’elle allait croiser ses petits lionceaux au détour d’un buisson en train de se courir après ; qu’en prenant la direction de la salle du trône elle y trouverait son seigneur-époux entouré de ses plus fidèles bannerets.
Tous ces souvenirs sont si lourds et paraissent si réels que parfois, Joanna ne sait plus si elle se trouve dans un rêve ou dans la réalité. Elle a de plus en plus de mal à garder les pieds ancrés dans la vraie vie lorsqu’elle était ainsi seule, livrée à elle-même, un fantôme du passé ; comme si elle n’était plus que l’ombre d’elle-même.
Après leurs retrouvailles, son petit dernier Tyrion avait décidé d’aller se soûler des jours durant à Lannisport. Elle ne lui en voulait pas le moins du monde, surtout pas après la longue discussion qu’ils avaient eu concernant la précédente existence de son benjamin. Et le moins que l’on puisse dire c’est que son père n’avait pas été tendre avec lui, loin de là. Joanna soupçonne même Tyrion d’avoir édulcoré certains faits, probablement pour la protéger.
Mais Joanna Lannister connaissait bien Tywin, elle savait parfaitement à quel point il pouvait être cruel lorsqu’il l’avait décidé. Elle comprend bien vite que son époux en avait tenu rigueur à son fils d’avoir pris sa vie ; et que la petite once d’humanité qui résidait en Tywin Lannister était morte avec elle.
Elle devrait lui en vouloir, elle devrait. Pourtant, la lionne de Castral Roc s’en trouve bien incapable tant l’amour qu’elle continue de porter à son époux est vivace, intemporel. Irrévocable.

La blonde est tirée de ses pensées par lady Myranda qui la rejoint bien vite dans les jardins, un sourire jusqu’aux oreilles. Son coeur se serre une nouvelle fois tandis que cette femme lui rappelle une nouvelle fois sa chère cousine Genna ; solaire et pleine de vie. Elle a quelque chose à lui montrer, lui dit-elle alors qu’elle la prend par le bras. Les deux ladies foulent d’un pas rapide —cadence imposée par une Myranda surexcitée— les couloirs du Roc et Joanna reconnait vite le chemin emprunté pour l’avoir pris des centaines de fois dans sa précédente vie.
Les appartements qu’elle avait occupé des années avec Tywin.

« — Lady Myranda, I can’t accept…
— Nonsense, my dear. Go in. They’re yours. »

Son sourire est contagieux et Joanna ne peut s’empêcher de sourire à son tour tandis qu’elle pousse la lourde porte et entre à l’intérieur de ce qui avait été toute sa vie un jour. C’était comme si rien n’avait changé et les larmes lui montent rapidement aux yeux, qu’elle combat férocement afin que celles-ci ne coulent pas.
Castral Roc, le château de son enfance et de sa vie, son foyer, lui souhaitait une nouvelle fois la bienvenue.

À peine a-t-elle le temps de reprendre contenance comme son rang lui imposait, un garde des Lannister se présente à la Dame du Roc actuelle. Un visiteur semble-t-il mais Joanna n’écoute que d’une oreille —ce n’est plus elle la dame de ce château après tout mais les mauvaises habitudes ont la peau dure. Le garde semble marcher sur des oeufs alors qu’il hésite dans ses paroles.

« — This man wants to see Lady Joanna. And… sorry ma’am but… I think he is the Great Lion, Tywin Lannister. »

Le monde autour de Joanna tourne si violemment qu’elle croirait défaillir si son corps ne venait pas de se figer à ces mots. C’était beaucoup trop pour une seule journée à vrai dire, rien de tout cela ne pouvait être vrai… Lady Myranda met immédiatement son serviteur en garde à propos d’une éventuelle plaisanterie de mauvais goût mais le concerné est formel.
Telle une tornade, la lionne de Castral Roc quitte la pièce et dévale les escaliers qui mènent tout droit à l’entrée de la Bouche du Lion. Elle manque par plusieurs fois de rater une marche mais elle s’en fiche bien. Elle doit en avoir le coeur net, elle doit le voir de ses propres yeux et achever de briser son coeur s’il s’agit d’une mauvaise farce.

Joanna surgit alors dans la cour où elle aperçoit un étalon immense à la robe grise et près de son flanc un homme, vêtu élégamment aux couleurs de sa maison et à la carrure imposante. Il est de dos et pourtant, la lionne sait au plus profond de ses tripes que c’est lui. À son arrivée quelque peu bruyante, il se retourne et le coeur de Joanna explose furieusement dans sa poitrine. Même avec quelques années en plus, elle le reconnait.

Tywin Lannister, Gouverneur de l’Ouest, Seigneur de Castral Roc, en chair et en os devant elle.
Il est revenu à elle. Il l’a trouvée. Il a traversé tout Westeros pour la retrouver.

D’épaisses larmes dévalent les joues de la blonde tandis qu’elle reste immobile quelques secondes, incapable de bouger. Ils se toisent, aucun d’eux n’ose franchir les menus mètres qui les séparent encore. Son regard austère et sévère mais qui brille de cette lueur qu’il ne réservait que pour elle. Ses cheveux désormais poivre et sel. Cet air dur et implacable.
Joanna fait un pas, puis un second avant de se ruer vers lui. En l’espace d’une toute petite seconde, elle franchit l’espace entre eux et se cogne contre son armure telle une furie ; elle aura des bleus demain mais tant pis. Ses joues pâles striées de larmes, elle arbore néanmoins un sourire ébahi quand elle s’empare du visage de Tywin et le caresse du bout de ses pouces, en trace les contours comme pour s’assurer qu’il était entier, sain et sauf.

« — My mighty lion…, souffle-t-elle sans briser leur contact visuel, ce surnom qu’elle avait l’habitude de lui donner. »

Un immense sourire habille son visage angélique qui semble avoir immédiatement retrouver les couleurs de la vie à l’instant précis où elle l’avait aperçu.

Même après plus de sept cents ans, certaines choses semblaient immuables. Les fondations de Castral Roc étaient si solides et imperturbables qu’elles avaient traversées les siècles sans presque bouger d’un centimètre —Joanna doutait qu’il en soit de même pour le Donjon Rouge. Elle évitait soigneusement de repenser à cette période de sa vie qui avait été troublée par de nombreux voiles noirs. Les approches lourdes et interminables du prince Aerys, ces remarques absolument déplacées une fois qu’il avait été couronné protecteur du Royaume jusqu’à parfois même des touchers irrévérencieux et surtout non consentis… La Lady de Castral Roc en avait souffert, plus qu’elle n’osait l’avouer et bien plus que ce qu’elle avait voulu dire à Tywin.
Elle se rappelle d’une fois notamment, où le Roi Fou l’avait coincée dans un recoin de la Tour de la Main —pendant l’absence de son cher époux, bien entendu— et s’était permis de poser ses sales pattes là où il n’aurait jamais dû. La lionne intrépide avait réussi à s’extirper de sa poigne répugnante en le gratifiant d’un coup de genou assez magistral dans le recoin le plus sensible de son anatomie royale. Les maestres n’en parlent pas dans leurs récits, bien sûr ; ce n’était pas très glorieux pour le souverain concerné.
Suite à cet incident où Joanna n’évoqua pas les détails à son cousin-époux, la blonde rejoignit les Terres de l’Ouest pour ne plus jamais retourner à la capitale. Cette ville ne lui avait rien apporté de bon. Les seuls bons souvenirs qu’elle gardait de cet endroit était la cérémonie de son mariage dans le somptueux septuaire de Baelor, les jardins du Donjon Rouge et les ‘tea-parties’ interminables les soirs de printemps passées en compagnie de sa chère Rhaella.

Aujourd’hui, peut-être qu’elle serait moins réticente à mettre un pied dans Port-Réal mais c’était trop tôt. Le souvenir de la menace d’Aerys Targaryen hante toujours son esprit et une chose est certaine, c’est que Joanna ne voulait plus jamais le recroiser. Ni dans cette vie, ni dans une autre.
Toutefois, il y avait bien une personne ici-bas qu’elle désirait revoir plus que tout, c’était son Lion. Celui qui lui avait donné trois beaux enfants ; oui, trois. Le seul homme dans ce monde qui l’avait toujours considérée comme son égale en toute chose et qui l’avait toujours traitée avec respect —et parfois comme une femme pourrie-gâtée. En public, cela ne se voyait peut-être pas autant que certains couples car Joanna respectait scrupuleusement la pudeur de son époux qui n’était pas un grand fervent des effusions d’affections devant le commun des mortels.
Dans l’intimité, c’était une autre histoire et la jolie lionne s’en contentait largement ; mieux, elle avait appris à aimer cet aspect secret de Tywin qu’il ne réservait qu’à elle seule.

Le voir ainsi, bel et bien vivant, alors qu’elle pensait ne plus jamais revoir les traits de son visage faisait battre son coeur si fort dans sa poitrine que Joanna se demandait si elle n’allait pas tourner de l’oeil dans quelques minutes. Pourtant, elle reste debout et solide sur ses pieds, prête à affronter n’importe quel typhon pour rejoindre l’homme qu’elle avait toujours aimé.
Il a quelques années de plus, évidemment, et malgré cela la blonde trouve que cela ne fait que rajouter un charme certain et une prestance encore plus grande. La plupart des hommes se courbent en vieillissant et perdent quelques centimètres, pas Tywin. Il est toujours aussi immense, elle le reconnaît et sa voix aussi. Alors ce n’est pas une portion de rides qui allaient la dégoûter. Elle l’a aimé avec ses qualités et ses défauts, cela avait toujours été. Pendant que nombres de femmes s’arrêtaient à un joli minois et pas de cervelle, Joanna était irrémédiablement attirée par l’intelligence et le pouvoir. Et c’est tout ce que son époux représentait.

Quand à son tour il s’empare de son visage entre ses grandes mains chaudes et calleuses, la lionne du Roc ne peut retenir l’immense sourire qui naît à la commissure de ses lèvres ; un sourire presque bête tant elle est au comble de la joie.

« — And it’s you…, murmure-t-elle en posant ses menottes sur ses poignets pour en caresser le creux. »

Son sourire se dissipe un peu malgré elle quand elle aperçoit une larme rouler le long de la joue de Tywin. Une seule et unique, et elle était pour elle. Joanna approche son visage du sien et recueille cette petite goutte du bout de ses lèvres au lieu de la chasser directement du doigt.

« — I’m so happy to see you again. It’s been a bloody long time. »

Elle reste toute contre lui et se fiche bien qu’ils offraient certainement un spectacle ahurissant pour l’auditoire présent. Cependant, elle aussi aimerait un peu plus d’intimité pour leurs retrouvailles et sans un mot supplémentaire, elle prend la main de Tywin et le guide jusqu’à leurs anciens appartements qu’elle venait de réinvestir un peu plus tôt avant son arrivée impromptue. Aux deux gardes Lannister plantés devant la porte, Joanna demande poliment qu’ils les laissent seuls jusqu’à nouvel ordre —ce n’est pas comme si elle craignait grand chose et son époux non plus.
Une fois seuls à l’intérieur de ce qui avait été leurs quartiers pendant tant d’années, la lionne se sent encore plus dans un cocon. Si tout ceci n’est qu’un rêve, alors faites qu’elle ne se réveille jamais. Sans demander la permission, elle se précipite de nouveau dans ses bras et l’entoure des siens avec ferveur. Si elle pouvait le garder prisonnier de son étreinte, elle n’aurait aucun regret à le faire. Elle plonge de nouveau son regard verdoyant dans le sien tandis qu’elle déborde littéralement de bonheur.

« — You’ve aged like fine dornish wine, lord-husband., roucoule-t-elle. »

Elle trace de la plante de ses doigts sa barbe de trois jours, clairsemée et soyeuse. Elle le dévore des yeux, ses pupilles encore plus scintillantes qu’une étoile mourante.  

La belle Joanna Lannister avait été rayonnante de joie lorsqu’elle avait rencontré son petit dernier pour la première fois. Certes, des larmes avaient coulé et des excuses à profusion avaient été prononcées mais cette rencontre fut la plus heureuse qu’elle ait connu ; du moins jusqu’à ce qu’elle revoit les orbes métalliques de son époux.
Elle avait espéré le retour des jumeaux aussi, avec un peu plus d’appréhension étant donné ce qu’elle savait de son vivant et de ce qu’elle avait appris récemment dans les livres d’histoire. Mais aucun de ces espoirs tenaces ne l’avait autant été que celui de revoir un jour Tywin. Dans cette vie, sans lui, elle n’aurait été qu’une ombre. Un pâle reflet de son âme, qui aurait erré sinistrement le long des couloirs de Castral Roc, à la recherche de sa semblable. Car Tywin et Joanna étaient les deux faces d’une même pièce, tout le monde le savait et personne n’osait prétendre le contraire ; jamais en présence du vieux lion en tout cas.

Dans son coeur et dans son esprit, il lui semblait que jamais elle n’avait connu un bonheur aussi comparable à celui qu’elle venait de ressentir en revoyant son époux, vêtu de sa magnifique armure et de sa longue cape rouge écarlate. Elle avait rêvé de ce moment, plus qu’elle ne saurait et n’oserait le dire.
Et maintenant qu’il était près d’elle et qu’il la tenait dans ses bras immenses, la Lionne du Roc sait alors qu’elle ne vivait plus parmi des étrangers.

Les gardes rechignent un peu à l’ordre donné par Joanna mais bien vite, tandis qu’ils réalisent de qui venait d’entrer avec elle, ils ne s’éternisent pas et retournent patrouiller où bon leur semblent. Leurs quartiers n’avaient pas vraiment changés, si ce n’est pour le mobilier mais la vue était toujours la même. Leur suite surplombait la mer du Crépuscule, plein ouest et tous les soirs, les rayons du soleil couchant filtraient timidement à travers les fins rideaux de soie rouge. De toute la forteresse, cet endroit était celui que Joanna préférait. Même si elle avait vécu ces deniers instants dans cette chambre, dans ce lit, elle n’y avait que des souvenirs heureux de son ancienne vie —elle ne pouvait pas en dire autant des appartements de la Tour de la Main au Donjon Rouge.

Sans un mot, la blonde regarde son époux se débarrasser habilement d’une partie de son armure après avoir refusé expressément son aide. Joanna l’avait proposé, évidemment ; vieille habitude qu’elle avait lorsqu’ils étaient mariés et vivaient collés l’un à l’autre comme une paire de cerises. Enfin, au bout de quelques secondes qui lui paraissent une éternité, Tywin la prend dans ses bras et la jeune femme se blottit étroitement contre son torse, l’entoure de ses bras et pose sa joue tout contre son coeur. Elle le serre si fort qu’elle en a mal aux bras, ce qui contraste drastiquement avec la douceur et la timidité de l’étreinte de son mari.
Elle finit par relever la tête vers son visage afin de pouvoir le regarder et l’admirer une énième fois. Des petites larmes roulent le long de ses pommettes proéminentes, Joanna les efface tendrement du bout de ses pouces.

« — Thank you, my dearest. I hope I don’t look too young for you tastes, though. »

Elle lui décoche un magnifique sourire bien que sa tirade amusée fut un temps soi peu teintée de timidité. Elle avait l’impression de revenir à leurs débuts, quand ils s’apprivoisaient tout juste ; et pourtant, elle avait également le sentiment qu’ils s’étaient quittés la veille.
Il s’empare de son visage entre ses mains immenses et chaudes et Joanna pousse un soupir de bien-être tout en fermant les yeux quelques secondes pour profiter pleinement de son toucher. Il est si doux, si délicat avec elle, comme si elle était une poupée de porcelaine et dont un seul geste suffirait à la briser. Bien que ce ne fut pas le cas, la lionne doit admettre qu’elle aimait tout particulièrement lorsque son époux la manipulait avec autant de précaution, comme il manipulerait un joyau rarissime.
Joanna le voit sourire et elle jure que c’était l’un des plus beaux que Tywin lui ai jamais offert. Et les paroles qu’il prononce juste après la touchent en plein coeur, lui font monter les larmes aux yeux à son tour. Il lui avait déjà dit qu’il l’aimait, lui avait montré des centaines de fois au cours de leurs années de mariage mais jamais il ne s’était exprimé aussi clairement et aussi passionnément qu’en cet instant.
La lionne n’a guère le temps de répondre qu’il s’empare de ses lèvres avec une dévotion et une candeur qu’elle ne lui connaît pas. Pourtant, cela ne lui déplaît absolument pas et elle répond à son baiser avec douceur et langueur. Elle l’adore, l’idolâtre. Le sait-il seulement ? La sensation de sa bouche contre la sienne est délicieusement familière. Elle retrouve son odeur qu’elle reconnaitrait entre mille, la saveur addictive de sa langue qui ne semblait avoir nullement changé malgré les années. Par dépit, Joanna rompt leur étreinte pour reprendre son souffle et apaiser —en vain— les tambourinements violents de son coeur.

« — And I love you., murmure-t-elle en le regardant droit dans les yeux. Even in death, I still loved you. I was secretly hoping that you’d show up one day. I prayed for you and you heard me. You found me, my handsome lion. And I’m so happy and so proud to be your wife. »

Elle tient à l’affirmer, que malgré leur séparation à cause de son décès, elle se considérait toujours comme son épouse. Rien ne changerait cela, rien. Et comme des siècles auparavant, Tywin avait pris possession de tout son être. Elle l’aime et ne veut plus jamais être séparée de lui. 

La douce et tranquille Joanna Lannister s’était elle aussi toujours accommodée de la solitude. Ses parents n’étaient jamais réellement présents et tout naturellement, elle avait fini par s’attacher à son oncle Tytos, à ses cousins et cousine. En dépit de son comportement pour le moins singulier et clairement pas digne de la maison Lannister, la petite lionne avait toujours ressenti de l’affection pour le maître du Roc. Néanmoins, elle se gardait bien de contrer l’avis très tranché de son cousin, même durant leur jeunesse.
Elle avait toujours su que la maison Lannister avait besoin d’un dirigeant, d’un véritable leader qui aura la poigne de fer et la trempe d’un titan pour redresser la barre ; pour rendre à leur famille leur gloire et leur grandeur d’antan. Tywin avait les épaules pour cela, et la jeune lionne n’en avait jamais douté. Il se l’était promis, elle l’avait lu dans ses yeux métalliques et dans son coeur. Et jamais son cousin ne faisait les choses à moitié.

Le seigneur Tytos disparu, les Reyne décimés, il avait réussi. Car à sa connaissance, Tywin n’avait jamais perdu. Des batailles oui, mais jamais la guerre. Il réussissait dans tout ce qu’il entreprenait et pas une fois, Joanna n’avait douté de lui. Elle l’admirait, du plus profond de son coeur et quand elle l’observait parfois, sans qu’il ne s’en aperçoive, elle le regardait avec de grands yeux émerveillés, débordant de transport pour lui.
Pour toujours, elle s’en fait la promesse, elle se tiendrait auprès de lui.

Même dans la mort.
Même dans une autre vie.

Et les voici tous les deux réunis, enfin. Après ce qui semblait être une éternité pour chacun d’eux. Une éternité sombre, sans astre lumineux pour guider leur pas. Un laps de temps si long que parfois, Joanna se demandait si elle n’avait pas rêvé cette première vie, et si celle-ci n’était pas qu’une simple illusion ; d’un monde idéal où elle reverrait l’homme de sa vie, où elle pourrait de nouveau le serrer dans ses bras et se noyer dans son regard jusqu’à en étouffer.

Les Dieux sont souvent injustes ; pour ne pas dire toujours. Pourtant ils avaient décidé aujourd’hui de la réunir de nouveau à son époux et Joanna peut sans aucun doute dire que ce jour est le plus beau de sa vie —après celui de son mariage.
Son coeur s’emballe furieusement en voyant le sourire qu’affiche Tywin, rien que pour elle, de ceux qu’elle recevait tous les jours dans l’intimité. Puis au bout de quelques secondes, elle le voit se renfermer et les traits de son visage reprennent leur austérité habituelle. Sans un mot, elle l’écoute et son air se peint d’une certaine gravité. Elle sait certaines choses, probablement pas tout ; sûrement suffisamment. Tyrion lui avait avoué à demi-mots qu’il était le responsable de la mort de son père, un acte impardonnable même aux yeux de la douce Joanna. Malgré tout, elle ne parvenait pas à en vouloir à son petit dernier. Alors en vouloir à Tywin, du moins éternellement, la lionne en était positivement incapable.
Son époux se sépare d’elle et Joanna sent son coeur se serrer douloureusement. Elle avait besoin de son contact permanent maintenant qu’elle l’avait retrouvé, qu’elle l’avait tenu contre elle de nouveau, qu’il l’avait embrassé comme si leur vie à tous les deux en dépendait. Elle fait quelques pas vers lui tandis qu’il s’occupe de retirer le reste de son armure, droite et imperturbable. Puis le plus tendrement du monde, elle passe une main dans sa crinière clairsemée.

« — Tywin… You chastise yourself too much. »

Finalement, la traine de sa robe élégamment étalée sur le sol froid, elle s’agenouille devant lui tout en s’emparant de ses immenses mains entre les siennes plus frêles. Le ton de son mari n’appelle aucune contestation mais c’est mal connaître Joanna Lannister de croire qu’elle allait le laisser discourir et se dénigrer ainsi sans contester.

« — We all do mistakes. Even you, Tywin Lannister. Even you. »

Sa voix est douce mais ferme, et les traits délicats de son visage s’adoucissent sensiblement.

« — The Lannister are still a powerful house and you should know that your name and your era have gone down in history. You’re the Great Lion of the Rock, no one ever claimed this title. They kept it only for you. »

Elle porte ses mains à son visage pour déposer un baiser dans le creux de chacune de ses paumes, ses prunelles malachites plongées dans l’or des siennes. En parfaite petite lionne digne de son rang, elle frotte sa joue contre les paumes calleuses de Tywin et se met presque à ronronner ; comme elle faisait au sein de leur cocon conjugal à l’époque.

La blonde aurait voulu se souvenir de ce qu’avait été l’existence de son âme après sa mort. Est-ce qu’elle avait pu regarder de là-haut ce qu’il advenait de sa famille, de ses enfants, de son époux endeuillé même une vingtaine d’années après sa disparition ? Joanna ne saurait le dire, elle ne se souvient de rien ; seulement du dernier jour de sa vie sur terre. De la main de Tywin qui serrait si fort la sienne déjà froide alors qu’elle se trouvait aux portes du lointain. Le coeur fissuré, elle se souvient du regard presque désespéré, perdu, de son seigneur-époux. C’est un regard qu’elle ne veut plus jamais revoir car rien qu’à son souvenir, Joanna sent l’angoisse et le chagrin former une boule douloureuse dans sa gorge.
Aucun souvenir de son voyage de l’autre-côté de ce monde mais un sentiment avait persisté jusqu’à ce jour : le manque. Le manque intolérable, insupportable, d’être séparée de son âme jumelle. De n’avoir aucune ancre à laquelle se raccrocher, ne voir autour de soi que des visages inconnus dans une époque si lointaine de la sienne.
Le manque terrible et dévastateur de chercher à travers une silhouette, une ossature, une démarche, celle de Tywin Lannister que Joanna ne retrouvait nulle part. Un fantôme. Une ombre qui ne la lâchait pas, une présence bien réelle mais qui se dérobait à chaque fois que la lionne tentait de la démasquer. Où est-il ? Est-il seulement vivant ? Allait-elle devoir vivre le restant de ses nouveaux jours dans la souffrance de son absence —comme lui avait dû vivre sans elle auparavant ? Parce qu’il y avait bien une chose que la Lady de Castral Roc savait, c’est que faute d’être justes les dieux pouvaient se montrer particulièrement sadiques.

Solide et forte, Joanna n’était cependant pas certaine de pouvoir avancer dans un monde dans lequel Tywin n’existait pas.

Son esprit avait été longtemps brouillé de cumulus noirs, sans moyen aucun de laisser filtrer les rayons du soleil. Pourtant, à la vision de son époux dans la cour d’honneur du Roc quelques instants plus tôt avait tôt fait dissiper ces vilains nuages et pour la première fois depuis des mois, Joanna Lannister s’était sentie vivante. La bouffée d’oxygène qu’elle attendait était finalement arrivée, portée par les épaules robustes de son époux. Les Fidèles de Trios avaient peut-être ramené son corps mais pas son âme.
Car depuis tout ce temps c’était le Vieux Lion qui la gardait. En mourant, Joanna l’avait laissée entre ses mains. La Mort n’aurait rien d’elle si elle ne pouvait la laisser en paix. Chaque particules, chaque cellule de son être appartenait à Tywin Lannister ; cela en avait toujours été ainsi. Et, alors qu’ils se retrouvaient enfin dans une autre vie, ce fait n’avait jamais été aussi véridique qu’en cet instant. Elle a envie de pleurer, de crier au monde à quel point elle était émue et heureuse de le revoir, mais aucun son ne semble vouloir sortir de sa bouche. Des larmes baignent le bord de ses yeux, humides, mais ne se décider pas à couler. Sait-il seulement à quel point il lui a manqué ? À quel point elle crevait à petit feu chaque jour de son absence ? À quel point elle se languissait de son toucher, de sa présence, de son regard, du timbre grave de sa voix ?

Elle garde ses grandes mains dans les siennes, frotte le bout de son nez contre le creux de ses paumes, contre la peau fine de son poignet ; positivement incapable de le relâcher. Même si elle l’avait voulu, elle ne l’aurait pas fait. Désormais qu’il était à sa portée, la Lionne refusait de laisser partir son Lion.
La première partie de la tirade de son époux fait froncer les sourcils de Joanna, en particulier les trois derniers mots prononcés comme s’ils avaient été une insulte à eux seuls. Depuis sa rencontre avec Tyrion, elle avait tristement appris que la relation père et fils n’avait pas été au beau fixe ; bien qu’elle n’en fût pas spécialement étonnée.
Elle garde les mains de son époux dans les siennes, sans le quitter des yeux.

« — I know. Tyrion told me. »

La lueur auparavant douce de son regard se durcit. Une de ses mains quitte celles de Tywin pour venir se poser tendrement contre sa joue légèrement creusée.

« — And as I told him too, I am the only one to blame. Had I enough strength back then, your fate would have been different for both of you. I should have fought more vividly for my life because I knew what would happen after my death. I asked you to promise me to care for Tyrion, though I knew you could not keep this promise. Because I know you by heart, Tywin. You would never have forgiven the very person responsible of taking my life, even though this person was your own child. »

Joanna marque une pause car elle sent sa voix trembler d’émotion. Elle tente de se reprendre mais c’est difficile. Elle est au bord des sanglots, lutte pour ne pas laisser une seule larme couler.

« — I should hate you for what you did to him but I am incapable of it. Even in death, even through your cruelty, I’m still completely in love with you Tywin Lannister. »

Sa voix se brise enfin sur les derniers mots qu’elle prononce car ils ne sont que pure vérité. Elle ne ressent aucune haine pour lui, rien que de l’amour.
Inévitable.
Indéfectible.
Invaincu.

Un magnifique sourire habille ses lèvres alors que ses yeux sont toujours embués de larmes. Joanna, ô douce et inébranlable Joanna, se redresse et se rapproche du Grand Lion. Ses deux mains viennent cette fois entourer son visage austère, elle prend son temps ; pour lui faire comprendre ce qu’elle s’apprêtait à faire. Son nez frôle d’abord le sien, puis ses lèvres effleurent les siennes, toujours sans le lâcher du regard. Ses billes émeraudes chatoient, crient cet amour déchirant qu’elle ressent pour lui. Enfin et après l’avoir fait languir plus que d’usage, Joanna embrasse Tywin. Le baiser est profond, féroce, urgent. Ses mains viennent fourrager dans sa tignasse poivre et sel, poitrine contre buste, étroitement blottie contre lui pour réclamer ce qui lui appartient.
Ce sont eux deux contre le reste du monde. Maintenant et à jamais.