「Sounds a lot like hell」(ft. Zemvalds Harloi)

“Jette-là. Non, attends. Donne-moi cette lettre. Donne-moi cette putain de lettre.”

Il était rare que le donjon sanglant de Pyk soit aussi bruyant en plein milieu de la nuit. A cette heure, seules les vagues s’écrasant sur les rochers résonnaient comme une mélodie, sauvegardant un peu de repos pour ses habitants. La maîtresse de ses lieux, aurait dû être ses quartiers. Elle aurait pu être au lit, une pinte à la main, la seconde reposant sur son ventre tandis qu’elle se perdait dans ses propres pensées rêveuses. A la place, Thena était réveillée, loin de somnoler, et ses doigts pâles serraient une lettre tandis qu’elle tremblait d’une rage certaine en s’adressant à un de ses intendants. Cela arrivait souvent ses derniers temps, plus que la rousse ne voulait l’admettre. La première fois était arrivée quand Lyonne était partie, l’abandonnant à son sort, lui préférant la houle et les mouettes et Elissa aussi, pas que la Suzeraine eût une dent contre son amie. Le problème était Lyonne Greyjoy et ce que sa sœur pensait être un manque de loyauté envers elle-même et leur peuple tout entier.

Après tout, elle avait guerroyé, prenant la mer elle-même aussi souvent que possible pour abattre la menace que représentait les Velaryon et chaque jour, chaque seconde, elle priait pour ne pas tomber sur sa chère Daelina ou sur Maegon. La rousse s’endormait ensuite le soir dans ses vêtements humides et ils hantaient leurs nuits tandis qu’il lui semblait qu’elle avait leur sang sur ses mains jusqu’à ce que le soleil ne se lève à nouveau. Et le cycle recommençait encore et encore sans jamais se rendre. Quand elle revint enfin chez elle, la Suzeraine trouva des lettres à n’en plus finir et parmi elles, une proposition de mariage. Habituellement, Thena s’en contentait, elle qui aimait tant rire. Cette fois, cependant, cette lettre venait des Îles de Fer, de l’île non loin de Pyk et la simple idée de marier le rejeton d’un de ses bannerets la rendait hors d’elle.

“Envoie quelqu’un à Dix-Tour dans deux jours. Quelqu’un avec une épée vive, qu’il me fracasse le bon à rien qui a écrit ce torchon.”

N’existait-il donc pas un consensus entre les gens de ce maudit archipel ? N’avait-ce donc pas évident ? Elle refusait de se marier et de s’enfermer dans le carcan de la moindre relation. Pourquoi faire ? Sa mère s’était mariée et en retour, ses enfants avaient grandi sans père. Thena observa le visage du petit homme se tenant devant elle pendant un long moment, restant silencieuse. Ses yeux repassaient sur les mots soigneusement écrit et sa crinière rousse et emmêlée s’agita autour de son visage lentement alors que sa tête se secouait lentement d’un certain dégoût. Peu importait qui pouvait être l’héritier de la maison Harloi car en vérité, Thena ne le connaissait pas. Elle ne l’avait jamais vu durant ses dernières visites et la très libre Lady Ravage de Pyk refusait de subir quelque gamin insubordonné que ce soit. L’aînée des Greyjoy se leva alors du trône de grès, remettant son tricorne en place

“Dis à Ellya que je pars. J’ai besoin de boire et d’oublier. Je ne vais pas me marier. Pas aujourd’hui, pas demain, jamais.”

Sa belle-sœur devait sûrement veiller sur les enfants, ceux que Lyonne avait menacé de retirer de sa garde si elle se comportait comme une garce et pourtant, voilà qu’il n’était jamais revenu ici, chez eux, comme il l’aurait dû. Thena jeta alors la lettre dans le feu de cheminé qui menaçait si fréquemment de s’éteindre et sur ses bonnes paroles, le portail principal de la forteresse des Greyjoy se claqua dans un grand fracas étouffé par l’agitation de la mer et le tonnerre. Cela sentait la pluie, comme toujours, et cette odeur la réconforta un peu. La rousse pensa que cet endroit lui appartenait encore tout entièrement et rapidement, sa main gantée se saisit des rênes de sa jument, fuyant les mots qui brûlaient dans la cheminée de sa demeure familiale.

La Suzeraine des Milles Îles chevaucha jusqu’à Lordsport à toute vitesse. Elle aimait cela, la rapidité et le vent dans sa chevelure couverte de coquillage et toujours humide à cause du temps orageux qui régnait sur Pyk. Et lorsqu’elle aperçue enfin la cité de la maison Botley, Thena sauta de sa monture, se glissant dans les ruelles quelle connaissait par cœur, gardant sa main sur le pommeau de son arme. A cette heure, elle ne connaissait qu’une taverne assez animée pour occupée son esprit taraudé par l’impertinence de son propre vassal. Elle ? Mariée ? Et puis quoi encore. Peut-être aurait-elle pu épouser Victarion. Son cousin serait resté loin d’elle, là-bas, dans la citée des Targaryen et elle… Et bien Then serait restée ici, à Pyk. La rousse poussa la porte et retira son chapeau en tirant une révérence gauche à quelques habitués.

“Un pichet de ta brune la plus forte et une tournée pour tout le monde. Il est l’heure d’oublier que ce monde marche sur la tête,”  prononça-t-elle assez fort pour être entendue par le tenancier avant qu’elle ne fronçât ses sourcils en s’approchant d’un homme qu’elle n’avait jamais vu ici auparavant. “Excuse-moi, mon joli. J’ai peur que ce siège ne soit à moi.”

Et peut-être Thena n’eût elle pas conscience qu’elle venait de rencontrer sa destinée tout entière, étirant un sourire sur ses lèvres en serrant sa paume pâle autour de sa dague. Il fallait ne pas être d’ici pour ne point savoir les règles et l’ignorance était un prix qui se payait cher. Alors, elle se pencha sur l’inconnu, le fixant avec une curiosité qui lui était si propre. Que ferait-il ? Que dirait-il, au juste ?

Pendant un instant, le silence flotta dans la taverne. Très peu de personnes s’adressaient ainsi à Thena Greyjoy, ni ses bannerets, qu’ils furent Bonfrère, Botley, Harloi, Orquebois, Tawney, Timbal, Valleuse ou Vendeloyn, ni le petit peuple, quoiqu’il semblât que la frontière entre tout ces gens soit bien faible. Ils avaient fait de la rousse leur Dame Suzeraine, ils avaient écouté le prêtre prononcer les mots et la noyer sous les eaux et quand ses yeux bleus s’étaient ouverts à nouveau, la fille de Reya Greyjoy avait porté la couronne de bois flottée. Seul Lyonne, son frère, semblait encore se permettre de s’adresser à elle comme il lui plaisait avant qu’il ne retrouve la mer, disparaissant à l’ouest de l’ouest.

“Mon prénom...? Je-”

Le visage de Thena se figea un instant dans une expression de surprise et quand l’inconnu se leva, ses paupières se mirent à papillonner comme si elle chassait un rêve qui assombrissait son esprit. Jamais elle n’avait été confrontée à une telle situation, principalement parce que personne ne faisait une telle taille et quand elle observa la situation, la rousse devina qu’elle ne gagnerait pas face à cet homme. Son silence fut ensuite remplacé par un rire sincèrement amusé, un de ceux qu’elle offrait volontiers lorsqu’on lui racontait une plaisanterie qui savait chatouiller son sens de l’humour facile. L’aînée des Greyjoy déposa alors son pichet de bière et sa pinte avant de faire un signe pour que le géant ne s’assied, souriant malicieusement.

“Assieds-toi. Partage donc ce pichet avec moi et puis on verra si tu peux me payer une tournée.”

Et sur ses bonnes paroles, elle s’installa, retirant son chapeau pour dévoiler davantage son visage parsemé de tache de rousseur sur sa partie droite. Il y avait une simplicité sur ses traits, une de celle qui intimait à ceux qui la connaissait à s’adresser à elle sans soucis et sans crainte. Thena soupira d’aise comme si elle était un peu chez-elle ici, entourée de marins, de pêcheurs et de quelques soulards. Elle prit alors le temps de se servir, de boire, de remplir encore sa pinte avant de s’appuyer sur ses mains.

“Bien, qui t’envoies ? Les Hightower, les Lannister ou les Targaryen ? Le clown de mari de Daelina, peut-être ? Mh ? Est-ce que je devrais essayer de deviner ? Ça pourrait être amusant. Dans tous les cas, la réponse est la même : non.”

Ses yeux se plissèrent un instant, ses doigts caressant son menton et la cicatrice qu’elle portait à cet endroit. Cet homme n’était définitivement pas du Continent. Il n’était pas assez joli pour venir du Bief, lord Tyrion lui aurait envoyé une missive s’il avait envoyé quelqu’un, quoique la situation semblait floue à l’Est, chez les Lannister et cet inconnu ne portait pas les yeux violet ou les cheveux pâles d’ors et d’argents des dragonniers de Visenya.

“Mhh… A moins que tu ne sois d’ici. Pas du coin, j’ai l’œil pour reconnaître les hommes grands et effrayant. Mais de Grand Wyk ? Tu sembles trop peu apprêté pour venir du continent vert.”

Rapidement, pourtant, ce jeu sembla manquer de divertissement et Thena secoua sa main en guise d’abandon. Après tout, elle était venue ici pour boire et oublier, célébrant le calme qu’ils avaient obtenu pour se reposer au prix de quelques morts et de pertes. La rousse elle-même avait perdu le Fôl Brûme et sa superbe proue à l’image de Nagga. Depuis, elle commandait un des navires que Lyonne avait laissé derrière lui, celui qu’ils avaient baptisé le Drunken God. Et ce fut avec plaisir qu’elle proposa de resservir cet invité mystère.

“M’enfin, bienvenue à Pyk, territoire de la pluie, du vent et de la très bonne bière. J’espère que tu aimes boire car aujourd’hui marque la quinzaine de trêve face à Visenya la Terrible.”

Sa pinte se leva alors, invitant l’homme à trinquer tandis que sur ses lèvres s’étaient doucement en un sourire plein d’une chaleur qu’elle arborait naturellement.

Il y avait quelque chose de particulier chez cet homme immense que Thena ne connaissait pas chez les hommes qui habitaient de ce côté de son île. Pyk était minuscule et il n’était pas beaucoup de femme aux cheveux de feu comme elle. Avant elle, sa grand-mère avait été connu pour être rousse aussi, quoique l’aînée des Greyjoy se souvenait de Trista comme d’une vieille femme ridée et à la chevelure grisonnante dans laquelle elle accrochait du bois flotté et des cristaux de mers.

Ici, tous connaissaient assez leur Suzeraine pour se plier en quatre pour la satisfaire et non n’était pas une réponse acceptable pour une femme de sa trempe. Pour autant, il y avait un côté presque insolent chez cet inconnu et Thena devait avouer que cela lui plaisait. Cela lui plaisait davantage encore que l’espièglerie et le charme ravageur de Maegon Velaryon, plus que Daelina, plus encore que Elissa et sa beauté évidente.

“Voilà quelqu’un qui sait comment me parler.”

Et sur ces mots, la jeune femme continua à boire comme elle savait si bien le faire. Leur conversation prit alors, un instant, une allure d’interrogatoire qui intriguait Thena. Elle était de ces fer-nés qui ne quittaient que rarement leur archipel. De ses îles, la rousse en connaissait chaque contour, chaque port, chaque forteresse. Elle connaissait aussi ces seigneurs, leur nom, leur regard désapprobateurs quand elle avait dit que Lyonne était reparti pour on ne sait où quand on avait le plus besoin de lui. La Suzeraine avait tout de même refusé le mariage, préférant le chemin périlleux de la guerre sans qu’aucun héritier ne soit clairement nommé pour la remplacer. Maintenant qu’ils repoussaient leurs adversaires, peut-être que ces derniers souhaitaient parlementer.

“Qui sait. Je n’ai rencontré que les Lannister dans le lot et dieu sait qu’il existe des hommes charmants d’ici à Asshaï.” Commenta-t-elle alors tout d’abord, sirotant sa pinte avant d’émettre un soupir amusé, souriant en coin à son tour. “Ah, le mystère s’épaissi.”

Ce début de soirée intimait à la rousse qu’elle passerait un bon moment, finalement. Aux paroles presque charmeuses, elle se permit de rire, chassant les mots de l’inconnu d’une main avant que ses traits ne perdent tout sourire. Son corps se redressa alors comme un i, soudainement, comme si une mouche l’avait piqué alors qu’elle entendit le nom de son interlocuteur.

“Oh. Oh non, oh. Oh que quelqu’un m’assomme et donne ma carcasse à Shagga. Non.”

Thena semblait prête à faire un scandale, à appeler chaque consommateur aux armes afin de la débarrasser de Harloi avec lequel elle partageait cette table à présent. Il était vrai, pendant un instant, qu’elle l’avait trouvé fort attractif – après tout, elle était une femme et ses besoins se devaient d’être satisfait d’une façon ou d’une autre – pour autant, il lui semblait que cette rencontre était un piège et la Suzeraine frappa la table de ses deux mains avec force.

“Si tu es ici pour honorer la lettre que ton père ou ton… Peu importe qui, m’a envoyé, tu peux aller te faire cuire un œuf, mon grand. Je ne doute pas que tu sais qui je suis, mh ? Je ne vais pas me marier aujourd’hui ou demain ou…”

Le silence lui revint un instant et à la place, elle sembla réfléchir. Thena attrapa alors sa pinte, la vida d’une traite avant de la remplir à nouveau, frottant visage ensuite de sa main libre. L’Ecarlate. Voilà un nom qu’elle avait déjà entendu et pour lequel elle serait capable de calmer un peu sa fureur. Après tout, la fer-née aimait les histoires de marins et de contrées éloignées qu’elle n’avait jamais visité. Plus encore, elle avait entendu que son capitaine était un pilleur et qu’il vivait comme le prédiquait certain passage de l’Ancienne Voie, un détail qui avait toute son importance pour la rousse.

“Attends une seconde, tu as dit de l’Ecarlate ? Lyonne m’a déjà parlé de l’Ecarlate et du loup des Mers. Dis m’en plus.”