Alors qu'il est encore dans les cieux, sur le dos de sa dragonne, Aegon peut déjà poser les yeux sur la vie resplendissante de Meereen.
Il peut se souvenir très nettement du jour de leur départ de la Baie des Dragons, de son chagrin, de son inquiétude... À ce moment-là, il était encore inquiet et réfractaire à l'idée de conquérir Volantis, s'était même disputé avec sa mère lorsqu'elle avait annoncé à toute la famille le projet qu'elle nourrissait avec son père. Il avait pensé qu'il ne parviendrait pas à s'attacher autant à Volantis qu'il avait pu affectionner Meereen.
Après tout, c'était dans la grande pyramide de Meereen, là où la Tala de la cité les avait accueilli qu'ils avaient commencé à se reconstruire en tant que famille, qu'ils avaient recherché la douceur d'une vie qui leur avait été arraché tant de siècles plus tôt. C'était dans les murs de cette pyramide que progressivement, Aegon avait réussi à retrouver un certain goût pour la vie, quelques intérêts et qu'il avait commencé à se rouvrir au monde. Il avait été persuadé au fond que Volantis manquerait toujours d'un réel sentiment de sécurité qu'il avait trouvé entre les murs de la pyramide meerienne.

Aegon avait eu tort. Il le reconnaissait. Il y avait toujours de l'inquiétude en lui, les familles royales tombaient plus facilement qu'on ne le pensait, même les dragons étaient loin d'être invincibles. Ce jour-là, dans les cieux, lorsqu'il avait observé sa famille sur le dos de leurs dragons, ses parents, ses frères et ses sœurs, ses neveux même, la bile lui aurait monté à la gorge quand il se rappelait la façon dont ils avaient perdus la vie...
Ils avaient dégagé une telle impression de puissance et pourtant, Aegon n'avait pas pu respirer convenablement pendant longtemps. Même la prise de la ville n'avait pas réussi à le rassurer totalement, il lui avait fallu plusieurs jours.
Mais au fond, il y avait une chaleur à Volantis qu'il reconnaissait. Une leur de familiarité qu'il ne saurait concrètement expliquer. Peut-être parce qu'effectivement, ils y étaient plus libres...
Pourtant, les circonstances le ramenaient à Meereen aujourd'hui.

Quelques temps plus tôt, son grand-père, le souverain Viserys le Paisible était revenu lui aussi. Aegon l'avait rencontré lorsqu'il avait rejoint ses parents à Peyredragon après avoir passé quelques jours dans les Eyriés en compagnie de son amie Aerea et sa jumelle Rhaella.
Son aïeul -et oncle- lui était sympathique. Ses parents avaient l'air mitigés, entre leur ressentiment et leur joie, mais Aegon ne doutait pas qu'ils étaient sincèrement contents de le retrouver. Sa mère semblait plus sereine d'une certaine façon et son père, Aegon était certain de le voir sourire plus souvent quand Viserys se trouvait non loin.
Après leur retour à Volantis, son grand-père avait laissé entendre son projet de se rendre à Meeree et d'y aller trouver Alicent Hightower, lui annoncer son retour et discuter avec elle. Aegon s'était proposé pour l'accompagner. Il l'avait exprimé au cours d'un dîner, et il avait remarqué sans faille le doute dans le regard que lui avait lancé son père, il en avait presque rougi mais il ne pouvait pas le blâmer pour ses doutes. Aegon n'était pas un combattant, loin de là. Les entraînements de son père étaient fougueux, peut-être même violents et plus d'une fois, Daemon Targaryen avait fini par s'énerver contre son fils. Il s'était maîtrisé, Aegon l'avait bien remarqué, mais il n'avait pas pu dissimuler cette flamme de colère dans ses yeux, à plus d'une occasion.
En tant que dragonnier, il était loin d'être l'idéal également, lui qui avait refusé d'approcher les dragons dès son retour, qui en avait gardé une peur et une haine vorace jusqu'à ce que Dallax ne parvienne à l'adopter et à le faire craquer. D'ailleurs, sa dragonne était comme lui, brisée, accablée de blessures en tout genre, ses écailles abîmées et son feu inexistant.
Oui, son père et sa mère avaient eu des raisons d'être inquiets de le voir accompagner son grand-père pourtant, ils ne l'en avaient pas empêché.

Le matin du départ, son père était tout de même venu le voir alors qu'il préparait Dallax, et Aegon avait cru un instant qu'il allait le dissuader de partir. À la place, son père avait terminé de préparer sa dragonne pour le voyage avec lui. Le silence les définissait souvent tous les deux, pudeur ou crainte ? Il ne saurait le dire. Il y avait tant de choses qu'il voulait dire à son père, qu'il voulait lui demander mais Aegon avait peur de le faire.

« You sure it'd be alright ? »

La voix de Daemon avait résonné pourtant, tandis qu'il terminait de fixer une sangle, la dernière. Aegon avait relevé les yeux vers lui et avait hésité, avant de répondre.

« I'll be fine. »

Les yeux de son père l'avaient sondé pendant quelques secondes, avant qu'il ne caresse sa joue, n'ébouriffe ses cheveux en lui souriant faiblement.

« Fly safe, Aeg.
— Yes kepa. »

Non loin, alors que Daemon s'éloignait, il était presque certain d'avoir gratifié son grand-père d'un "Don't fall, old man" et il avait souri un peu avant que les dragonnes ne prennent leur envol.
C'était ce souvenir qu'Aegon avait ressassé pendant tout le vol, la flamme d'une douceur et d'une fierté qui illuminait le violet des yeux de son père.
Voler le terrifiait encore souvent, mais il s'y habituait de plus en plus. Il se forçait à se concentrer sur le lien avec Dallax, sur l'esprit qu'ils partageaient à présent comme son père, sa mère, ses frères et ses sœurs le lui avaient maintes fois conseillé, sur des souvenirs légers et heureux.

Il était content de voir Meereen, d'avoir supporté ce vol avez légèreté. Toutefois, l'ancien monarque brisé n'était pas mécontent de retrouver la terre ferme.
Une fois à terre, il gratifie Dallax de douces caresses, sur ses écailles blessées, appuie un instant son front contre.

« Kirimvose riña... » ("Thanks girl...")

Quand il relève la tête, Aegon croise le regard de son grand-père, son petit sourire et il le lui rend tout en se rapprochant de lui, accueillant son étreinte et les tapes sur son épaule malgré une légère grimace. Le contact le laissait encore dubitatif. Bien qu'il l'accueille plus facilement avec sa famille, Viserys était un membre de cette famille qu'il ne connaissait pas tant que ça.

Malgré tout, il tente de n'en rien montrer, ou si peu, avant de répondre à ce dernier, se concentrant sur autre chose tandis que leurs dragonnes prenaient leur envol.

« I do. We lived here for a few moons before we took Volantis. Little Visenya is born in the pyramid. The Tala Zefeera welcomed us warmly. »

Son sourire est sincère sur son visage tandis qu'il se remémore cette parenthèse de leur vie ici.

« Once, Jace and Joff climbed the pyramid. Muña was furious. Jace has been punished by accompanying and taking Vis' along all the Free Cities. And Joff got away 'cause he's clever. But they were lucky kepa wasn't around. He would have let them hang by the foot at the top of the pyramid for this. »

Aegon laisse un bref petit rire lui échapper, peu sonore mais bien réel tandis qu'il marche aux côtés de Viserys dans les rues de Meereen, les laissant rejoindre le centre ville.
Lorsqu'il entend l'idée de son grand-père, il tourne la tête vers lui pour voir son sourcil arqué et il peut dire qu'il est soulagé de le voir plaisanter.

« I think muña would not be happy. »

Une brève grimace prend place sur son visage mais Aegon sourit faiblement tout de même, continuant de fouler le sol de Meereen.

« There's one not so far, I believe. »

Et effectivement, en continuant de marcher sous le soleil de la cité, grand-père et petit-fils finirent par parvenir à une auberge à laquelle il s'était parfois rendu quand Joffrey voulait aller faire un tour en ville et qu'il le poussait à l'accompagner.

Le lieu est calme à cette heure, presque vide. Aegon s'approche du comptoir pour donner quelques pièces à la tenancière qui lui donne deux grandes choppes du vin meerien et il s'installe à une table avec Viserys, buvant une brève gorgée de la choppe avant de la reposer devant lui.

« You're really anxious... About Queen Alicent, right ? »

Aegon avait généralement du soucis à s'ouvrir aux autres, du moins quand ce n'était pas sa famille.
Mais avec son grand-père, il semblait que cela lui vienne assez facilement, Viserys étant d'une trempe douce et malléable, sensible, un peu comme lui.
À ses côtés, à peine arrivés à Meereen, Aegon se remémorait les temps de leur vie dans la cité avec sa famille, en souriant doucement. Un léger rire lui échappe même au commentaire de son grand-père sur Joffrey.

« He's discreet but quite sneaky. »

Et tandis qu'ils commençaient à se déplacer dans les rues de Meereen, le sourire du jeune prince semble ne pas vouloir le quitter, alors qu'il converse paisiblement avec son grand-père, que ce dernier lui offre une légère plaisanterie.
Un nouveau petit rire échappe même à Aegon face à l'idée de voir sa mère faire suivre Viserys par un garde toute la journée.

« I don't worry. »

Même s'il savait que le règne de son grand-père avait été la source de tout ce qui s'était passé ensuite, de toutes les souffrances qui avaient frappé sa famille et qui l'avait autant brisé, Viserys le Paisible était un homme qu'il appréciait et avec qui il faisait bon de passer du temps. Et il voyait en lui une vraie bonté, Aegon était persuadé qu'il avait vraiment l'intention de faire ce qui était bien, de se racheter.

Un air serein sur son visage à l'air encore chérubin, il guide Viserys jusqu'à cette taverne dans la ville, la seule qu'il connaisse et où il soit déjà venu. Ils s'installent confortablement à l'intérieur, sont servis en vin et Aegon se décide à entretenir la conversation.
Mais ce n'est pas vraiment son fort, il faut l'admettre, il a toujours été plus enclin à se muer dans son mutisme, dans sa solitude, ayant longtemps souhaité avoir perdu la vie en même temps que sa mère, que le reste de sa famille... Alors peut-être qu'il n'avait pas interrogé son grand-père avec la plus grande des délicatesses sur Alicent et sur son ressenti avant qu'il n'aille lui parler.
Mais même si c'était le cas, ce dernier ne sembla pas s'en formaliser.

Tout en l'écoutant lui confier ses ressentis, ses craintes, Aegon s'était mis à jouer avec sa choppe de vin, sans goûter au liquide plus que la simple gorgée du début.
Lui aussi, avait été un piètre roi et un piètre père, il n'avait pas été en reste en tant qu'époux non plus. Jaehaera restait l'un de ses plus grands regrets. Sa cousine avait été aussi brisée que lui et il avait été incapable de lui offrir du réconfort. Aegon n'était pas sourd ou aveugle, il savait ce que l'on avait chuchoté sur lui, sur sa possible participation dans la mort de Jaehaera. Et s'il n'avait pas voulu sa mort, s'il n'y était pour rien, il y avait peut-être une part de vérité dans le mépris et la froideur qu'on lui avait prêté envers la petite reine.
Mais comment parvenir à développer un quelconque sentiment pour une cousine dont le père avait brûlé sa mère sous ses yeux, dont la famille entière lui avait arraché la sienne, sans raison légitime.
Et Daenaera... Si sa seconde épouse, la mère de ses enfants, avait parfois réussi à apaiser son cœur, si elle l'avait parfois fait sourire même, il n'avait jamais été capable de réellement lui ouvrir son cœur, de s'attacher, de l'aimer.
Et ses enfants... Ce n'était pas qu'il ne les avait pas aimé, parce que c'était faux. Aegon avait aimé chacun de ses enfants, ses fils et ses filles. Ils étaient un vrai petit miracle. Malheureusement, être père avait été de l'ordre de l'impossible car même s'il les avait aimé, il n'avait pas su comment le faire proprement, comment le leur montrer, comment être un père.
Il ne parlerait même pas de Baela et Rhaena, dont les années l'avait écarté et surtout finalement, de Viserys. Son frère après son retour avait porté sur ses épaules des fardeaux terribles. Il avait pris soin du royaume et de lui, de sa propre famille et Aegon n'était pas stupide, cela avait été terriblement difficile pour lui. À l'époque, il avait été incapable de faire quoi que ce soit, aujourd'hui, il s'en sentait peut-être un peu coupable.

Il devinait qu'il avait énormément en commun avec son grand-père et quand il songeait à ses propres échecs dans la vie, Aegon se sentait petit. Il vint alors porter sa chope à ses lèvres, testant le liquide meerien bien différent des vins de La Treille que l'on trouvait fréquemment à Westeros. Du moins, c'était ce que son père, sa mère et certain membres de sa fratrie tendaient à penser et à dire.
Mais lorsque Viserys l'interroge finalement sur ce qu'il pense d'Alicent Hightower, le jeune prince brisé avale sa gorgée tout rond, laissant une petite moue apparaître sur son visage.

« I'm not sure I'm a good man. I'm not sure anyone is. »

Il commence en secouant doucement la tête avant de se reprendre, de réfléchir à Alicent. La Reine Verte. Alors, un fin soupire le quitte, comme il ose retrouver le regard de son aïeul.

« I don't think her evil. I know my father doesn't like her at all. He thinks she is responsible for your death, though he never quite admit it... Except once, to my mother when he got angry. But... While I do think she is responsible of many things that made my mother's life and my brother's miserable while they were living in King's Landing with ser Laenor... I think she's just... Terribly sad now. »

Aegon baisse un peu les yeux à cette admission. C'était sans doute surprenant qu'il ne déteste pas cette femme. Elle avait pourtant tenu un rôle crucial dans la guerre qui avait vu sa famille se faire massacrer, et Aegon savait aussi qu'elle avait souffrir sa mère, que ses frères s'étaient toujours senti insultés et rabaissés par sa faute...
Peut-être aurait-il un ressenti différent s'il n'avait pas été aussi jeune durant cette guerre, s'il avait lui-même combattu, s'il avait été capable de faire plus que de rester en arrière, que de voir sa famille mourir un à un... Mais le seul des Verts à qui il vouait une haine féroce, c'était Aegon II, l'Usurpateur. Son oncle. Le meurtrier de sa mère et le bourreau d'une grande partie des traumatismes qui hantaient son être et son âme...
Et à présent, ce dernier était mort, de nouveau. La nouvelle avait ravi le jeune prince, il ne pouvait pas mentir.

« I know I should hate her. But, I simply can't. I mean... My uncle, Aegon, I do. I hate him. If I could, I would murder him again and again for what he've done but... Queen Alicent... I think she paid more than enough. And... If we all came back, maybe it is for more than killing each others again for the very same reasons that the first time. »

Le chaos. C'était là une nature qui collait à la peau de tous les Targaryens, même les plus dociles, même les plus doux... Elle les appelait tous, d'une façon ou d'une autre.
Et d'une certaine façon, Aegon avait tendance à croire que ce n'était pas bien différent pour le reste du monde, pour le reste de l'humanité. Il y aurait toujours des raisons pour créer un conflit, pour chercher la mort à autrui, pour réduire en cendres un monde qui pourrait peut-être être meilleur si tant est que la nature humaine ne soit pas si égoïste et auto-destructrice, et pourtant...
Pourtant, Aegon voulait croire que tout espoir n'était pas totalement perdu, lui qui avait vécu si longtemps sans jamais parvenir à trouver cette lueur d'optimisme même dans les plus belles choses que la vie avait à offrir, il se trouvait aujourd'hui à y croire. Croire en l'espoir que cette seconde chance leur offrait tout ce qu'ils n'avaient pu avoir ou être auparavant...

« I think you should talk with your heart. No matter what the past has been... No matter if an "I'm sorry" cannot fix anything... This life is still ahead all of us. I think she can understand this. »

Soudainement, Aegon baisse les yeux de nouveau et boit encore un peu de la choppe qu'il triturait, ayant l'impression d'avoir un peu trop parlé. Sans doute était-ce le cas, et encore une fois, il n'avait jamais été très doué.

Parfois, il se posait la question, il se demandait s'il aurait été différent sans la guerre.
Une part de lui voulait croire que oui, qu'il aurait été plus à l'aise dans le monde, plus souriant, plus optimiste, qu'il aurait été un peu plus comme ses frères ou comme son père. Mais la vérité était que même enfant, Aegon avait toujours été doté d'une sensibilité plus prononcée que le reste de sa fratrie. Alors, peut-être les traumatismes de la guerre lui auraient-ils été épargnés, mais en vérité, au fond de lui, il savait bien qu'il serait certainement resté une âme troublée, sensible et douce.
Parfois, quand son père le regardait, Aegon se demandait s'il lui rappelait la faiblesse qu'il semblait imputé à son propre frère, il craignait que son père ne le voit comme une déception.

Certainement, il y avait bien des raisons pour lui d'en être une. Être le fils de Daemon Targaryen et posséder une telle sensibilité, détester les dragons et en être terrifié, être un piètre combattant et préférer bien souvent la paix... Et surtout, surtout, Aegon songeait à sa vie après la guerre, il songeait aux sentiments noirs qui l'avaient traversé et à cette envie qu'il avait eu... Cette envie de vouloir être mort avec le reste de sa famille ; il aurait préféré qu'Aegon le tue lui aussi.
Mais il avait survécu et on avait apposé sur sa tête cette stupide couronne, on l'avait appelé roi, ces mêmes personnes qui avaient traité sa mère de putain, qui lui avait claqué la porte au visage lorsqu'ils étaient en fuite, ceux qui avaient appelé ses frères bâtards et qui auraient voulu le voir mort lui aussi. Ces hypocrites, oh, il les avait haï. Il avait haï ce royaume et s'il avait pu, il aurait balancé cette fichue couronne au fin fond de la Néra, il aurait détruit de ses mains le Donjon Rouge, pierre par pierre, jusqu'à ce qu'il n'en reste plus rien et envoyé se faire voir chaque seigneur qui existait...
Et même ça, il n'avait pas pu car s'il l'avait fait, s'il avait rejeté cet héritage, sa mère était morte pour rien, ses frères aussi, son père également -bien que le sort de Daemon Targaryen lui soit resté inconnu pendant des années après la fin de la guerre, avant qu'ils ne retrouvent finalement les carcasses de Vaghar et Caraxes près de l'Œildieu. Et Noire-Sœur.
Il avait dû subir sa vie, et il était sûr que si son père savait ce qu'il aurait voulu, s'il savait comme il aurait voulu mourir et renier leur héritage familial, il verrait la déception danser dans le violet de ses yeux, celui-là même qu'il avait donné à son propre fils.
Ils n'en parlaient jamais. Ils parlaient peu, tous les deux à vrai dire. Parfois, il lui semblait le voir ouvrir la bouche, être sur le point de lui parler mais jamais rien ne venait et Aegon se figurait qu'il rêvait, qu'il prenait ses rêves pour des réalités, voilà tout...

Tout cela... Non, ça ne pouvait pas faire de lui un homme bien. Et puis, il y avait ses enfants... Il y avait sa famille, il y avait son frère et ses neveux et nièce... Viserys avait sacrifié sa vie pour le garder en vie, pour l'épauler et le soutenir, pour gouverner le royaume en son nom et Aegon savait qu'il en avait souffert. Jamais il ne pourrait montrer assez de reconnaissance envers son petit-frère pour cela.
Il avait été incapable de vivre, de laisser entrer dans son cœur meurtri et brisé ceux qui lui restaient, et au fond, malgré cette sensibilité qui était sienne, Aegon restait un Targaryen. Il y avait en lui le sang du dragon, il y avait en lui le sang de Rhaenyra et Daemon Targaryen et indéniablement, une noirceur vivait en lui. Une qu'il ne laissait pas ressortir mais qui était là, quelque part, et qui parfois, lui avait murmuré toute la haine que Westeros lui inspirait.
Il la ressentait encore aujourd'hui, il l'avait ressenti à chaque instant passé à Peyredragon, il l'avait parfois senti de nouveau plus récemment lorsqu'il se trouvait dans le Val en compagnie d'Aerea et de sa sœur jumelle.
Comment pouvait-on être un homme bien ainsi ?

Son grand-père, pourtant, semblait le croire. Il y avait de la sincérité dans le regard si bon qu'il lui renvoyait et un instant, à le regarder, il fut sûr de voir quelques traits similaires à ceux de sa mère quand elle souriait sur le visage de Viserys le Paisible.

« This is your opinion, I cannot change it. »

Aegon répond simplement, un frêle haussement d'épaule le saisissant avant que son grand-père ne l'interroge sur Alicent et que le jeune prince ne lui réponde honnêtement.

« Maybe... Maybe you can start with this then, when you'll see her. »

Après un nouveau haussement d'épaules, Aegon porte sa chope à ses lèvres, avale une maigre gorgée. Il n'est pas habitué à l'alcool et cette pauvre gorgée brûle déjà sa trachée. Il n'en est pas particulièrement friand.
S'il s'ouvre de nouveau à la vie depuis son retour, il y a encore énormément de choses qu'il redécouvre et qui le laisse souvent indifférent. La nourriture et la boisson en font partie. Il pourrait oublier de manger, comme à son habitude, si on ne le lui rappelait pas.
Il faisait des efforts cependant, récemment, il avait redécouvert un espèce d'intérêt pour quelques délices au citron, ceux-là même que sa mère préférait aussi, il se souvenait. Il lui semblait se souvenir aussi qu'avant la guerre, il en avait souvent partagé avec elle, sur ses genoux tandis qu'elle lui faisait la lecture. Dans certains de ces fragments de sa mémoire, il lui semblait parfois que son père était là aussi, et parfois, Jace ou Luke. Joffrey et Viserys étaient plus fous en général...

Sa chope de nouveau posée sur la table, le jeune prince occupe ses mains en la faisant tourner entre, mais il s'arrête quand son grand-père finit par lui parler d'Aegon, par lui avouer son incapacité à le pardonner.
S'il devait être honnête, Aegon dirait qu'il n'y a rien qui puisse être pardonné concernant son oncle. Il n'était qu'un Usurpateur, un salopard de la pire espèce et il souhaitait de toutes ses forces que cette mort-ci lui soit encore plus atroce et douloureuse que la précédente, si c'était seulement possible. Qu'il pourrisse jusque dans les tréfonds des Sept Enfers et de l'agonie imputée aux Quatorze Flammes quand l'oubli frappait une âme.

« You won't get any judgment from me, grandfather. »

Une moue décore son visage morne tandis qu'il baisse les yeux, recommençant à s'amuser avec la choppe. Comment annoncer la nouvelle à Alicent ? Comment annoncer à une mère que son enfant mourrait ?
S'il haïssait Aegon II de tout son être, il avait de la compassion pour Alicent Hightower. Il avait de la compassion et de la sympathie pour son cœur de mère, il ne se souvenait que trop bien du propre chagrin fulgurant de sa mère à chaque fois qu'on lui annonçait la mort d'un enfant.
Luke, c'était flou. Il se souvenait de son visage renfermé et triste quand elle était avec eux, quand elle leur tenait compagnie ; Jace et Viserys... Il se souvenait que son visage était devenu plus renfermé encore mais surtout, ses traits colériques...
Et puis, il y avait eu Joffrey... Joffrey, il ne pouvait que s'en souvenir terriblement bien, lui qui avait vu son frère s'éclipser mais qui n'avait rien dit... Puis, Joffrey était tombé et le souvenir de sa mère, détruite face à la vision du corps disloqué de son dernier fils Velaryon, hurlant pour qu'on le lui ramène, hurlant pour sa vie brisée et arrachée -encore une- pleurant si peu, parce qu'elle n'avait même pas le temps de le pleurer, de le veiller parce qu'ils perdaient la ville, parce qu'il leur fallait fuir, il leur fallait se sauver dans la nuit noire, dans l'inconnu et la misère... Et marcher à la mort.

Le deuil d'une mère était la pire chose qu'il puisse être donné à voir en ce monde et Aegon ne le souhaitait à personne. Particulièrement, Alicent avait eut à expérimenter cette peine aussi auparavant et elle allait devoir l'affronter de nouveau à présent, alors qu'elle méritait la paix tout autant qu'eux à présent.
Toutes ces morts, ces souffrances... À quoi bon ? Dans quel but ? Parfois, il haïssait les Dieux aussi, il haïssait leurs desseins cruels et leur cruauté tout court. Il les maudissait et en général, il s'enfermait pendant des heures, broyait du noir dans sa chambre renfermée... Ce qu'il ne pouvait pas faire à cet instant.

« I guess... It must have been terribly painful, when you were married to my grandmother. To lose so many children. If you think about your pain back then... Maybe you can find it in yourself to talk to her as you would have wanted someone to talk to you about it back then... ? »