「How do you think I feel?」(ft. Alys Herpivoie & Tyanna de la Tour)

L'air frais des Conflans accueillait Maegor Targaryen avec un frisson. S'il avait accepté de se rendre aux Jumeaux puis à Harrenhal en contrepartie des informations et de la certitude qu'Aegon II ne cherche pas à mettre la main sur Feunoyr, le prince de Peyredragon n'avait pas anticipé l'impact de ce départ sur son propre cœur et son esprit. Sa patience était fine et s'il avait imaginé que cette prise serait rapide, lui permettant de revenir comme un héro chez lui, retrouvant leur tendre Alys plus rapidement encore que dans un rêve, alors le Targaryen se fourvoyait entièrement.

Voilà une demi-lune qu'ils étaient ici, enfermés dans un château pour une raison qui ne l'intéressait pas, accompagné de plus d'ennemis que d'amis et plus encore, avec son père que le prince ne supportait pas. Alys Herpivoie lui manquait plus terriblement qu'il ne pourrait l'admettre, sûrement parce qu'avant son retour à la vie, la rousse occupait son esprit en deuil, se doutant que jamais plus il ne verrait la beauté de ses yeux et des mots qui flotteraient hors de ses lèvres. Maintenant qu'il avait passé une lune entière à se réveiller à nouveau à ses côtés, se retrouver si loin de la jeune femme créait un vide en lui que rien ne saurait complètement combler, et cela le rendait plus abrasif et colérique qu'habituellement.

Quand il en eut assez et que la violence de ses mots ne suffirent plus à cacher ses soupirs de frustration agacés et sûrement agaçants, le prince quitta la forteresse en plein milieu de la nuit sans prévenir personne d'autre que Tyanna de la Tour, la serrant dans ses bras plus fort qu'il ne l'aurait voulu, sûrement parce que sa peine ne pouvait plus être cachée. La brune lui avait dit, le jour de la Nouvelle Année qu'il était une épave sans Alys Herpivoie et soudainement, Maegor comprit entièrement et nouvellement le sens de ces paroles, sa fierté ne pouvant plus cacher combien la pentoshie avait raison. Plus encore, l'inaction l'empêchait de ne point tourner en rond et de marmonner dans sa barbe comme il avait pu le faire pendant les dernières années de son règne. Tout ceci se terminait aujourd'hui et le prince de Peyredragon décida que partout où il irait, la rousse viendrait obligatoirement, se doutant que partout où irait sa belle alors Tyanna suivrait aussi. Ils étaient condamnés à être tous les trois, partout et tout le temps.

Rapax trépigna un instant quand son dragonnier arriva d'un pas ferme et déterminé, enfourchant son destrier avec une aisance presque naturelle et innée. Il n'était pas difficile d'en oublié que pourtant, Maegor avait été longtemps le Prince Sans-Dragon, cloué à terre comme le plus commun des hommes alors même qu'à ses propres yeux, il dépassait de loin certains des descendants qu'il avait pu apercevoir ici et là. Seuls quelques-uns trouvaient grâce à ses yeux, parmi eux ses amis Rhaenyra et Daemon qu'il pensait plus grands encore qu'il ne l'était, Visenya - sa mère - dont l'immensité n'était plus à démontrer et les petits princes Daeron, mais aussi et contre toute attente, Viserys IIe du Nom, dont les esprits affutés ne témoignaient que de leurs grandeurs à venir.

La dragon se mit à rugir dans la nuit, son cou épais et court pointant vers le ciel comme si une colonne de feu lui échapperait d'une seconde à l'autre. La créature d'envola ensuite après quelques sauts d'élans, une habitude que la dornienne bête avait prise. Habitué à de plus long vol, Rapax se posa sans peine à Peyredragon, laissant le temps à son dragonnier de chercher la femme qu'il désirait tant retrouver ses derniers jours. Maegor se glissa comme une ombre entre les murs, à peine éclairé par quelques torches. Ses pas dans la Venvœur se firent plus pressés et quand il arriva dans ses appartements qu'il n'avait plus vu depuis longtemps, il y trouva sa douce endormie.

"Alys... Wake-up, my love. I'm taking you away from here, I should have known better. Come on."

Il caressa sa belle et quand il fut assuré qu'elle était assez réveillée pour savoir ce qu'il se passait, Maegor l'aida à se vêtir avec une lenteur qui ne lui ressemblait pas. Ses lèvres déposaient ici et là de petits baisers, comme pour s'assurer qu'Alys sache exactement combien elle lui avait manqué. Et sans plus attendre, le prince de Peyredragon la souleva du sol, la ravissant de ce château dans lequel il l'avait enfermé de lui-même sans y réfléchir davantage. Rapax les accueillit avec ses grognements habituels, ceux qu'il émettait autour de ceux envers qui il avait confiance et cela se résumait à très peu de personnes : Maegor, son dragonnier, Alys et Tyanna, que Maegor traînait parfois avec lui, et la reine Visenya, la propriétaire de cette île, personne d'autre. Les autres le rendait fou et sans la présence de son dragonnier, il n'était pas rare de le voir essayer de mordre et déchiqueter tout ce qui lui passait trop prêt de la gueule. Le Targaryen remonta en selle, aidant son amante à le rejoindre.

"Here, cover up with the furs, my darling. Yes? It's a bit windy tonight. Get back to sleep if you want, we shall be in the Riverlands when you wake up."

Et avant de s'envoler à nouveau, le valyrien déposa un tendre baiser sur le front de la jeune femme qui, étonnamment et sans effort, le rendait plus doux que Maegor ne l'avait jamais été jusqu'ici. Le dragon brun s'envola alors, côtoyant à nouveau les nuages gorgés d'une humidité importante. Rapax se posa ensuite à terre et l'herbe mouillée accueillit ses bottes, lui intimant que porter Alys ne serait sûrement pas une mauvaise idée. Il tendit alors ses bras vers elle lentement.

"Come, my love. We shall get to Tyanna now. I'm sure she misses you dearly."

Ainsi, le Targaryen les guida jusqu'à la pièce qu'ils occupaient frappant brièvement à la porte avant d'entrer au plus vite. Maegor referma avec soin derrière Alys, l'invitant à faire comme chez elle, quoiqu'il n'avait même pas demandé l'avis de la propriétaire des lieux, celle qui portait un nom identique à la première femme qu'il avait épousé à grand regret.

"Tyanna, look who's here !"

Fut-elle éveillée ou endormie n'avait point d'importance pour Maegor. Il fallait que Tyanna voit.

Une demi lune. Une quinzaine toute entière. Trop de jours, bien trop, et avec eux, à chaque instant, un pincement au cœur. Peyredragon est un endroit austère. Alys ne l'aime pas. Il y a ici bien trop de souffrances et de ressentiments pour qu'elle soit heureuse. Ses jours se passent toujours de la même façon. Trop de jours, bien trop de jours. Elle se réveille lentement dans un  lit gigantesque et froid. Elle se réveille et ni la chaleur de Maegor, ni les bras de Tyanna ne sont là pour elle, pour lui rappeler qu'ensemble, rien n'est tout à fait impossible. Sans eux, un jour de plus. Ses pieds touchent le sol, elle frissonne. Ses pieds touchent le sol et il lui faut aller jusqu'au bassinet pour faire sa toilette. Dans son dos, aucun rire, aucun mot sur sa beauté ou la délicatesse de sa peau. Dans son dos, le vide. Sans eux, un jour de plus. L'eau froide lave la nuit qu'elle a passé toute seule, réduite au silence de la forteresse et elle glisse sur les boucles de ses cheveux. Il n'y a pas de raisons de les laisser flotter au vent. Personne ne glissera la main dedans, personne ne soulignera que le soleil leur donne une teinte d'automne et une chaleur particulière. L'Herpivoie d'Harrenhal sait qu'il lui faut s'habituer à tout ceci. Sans eux, un jour de plus.

La prière devient un réconfort. Le Père et la Mère l'accompagnent partout où elle va. A son cou, l'étoile à Sept Branches brille comme la témoin de sa ferveur religieuse. Elle est seule pendant quelques minutes, elle répète ses cantiques à table sans que personne n'ait rien à lui reprocher. Elle répète en boucle les mêmes mots. Elle répète encore et encore. Sans eux, un jour de plus.

Bénissez, Ô bienveillante Mère d'en-haut, tous les habitants de cette forteresse.
Bénissez ce repas, ceux qui l'ont préparé pour nous
et nous permettent de tenir un jour de plus dans votre royaume.
Procurez du pain à ceux qui meurent de faim.
Protégez les mères et les enfants.
Protégez mes tendres époux, Maegor et Tyanna.
Ainsi soit-il.

Parfois, lord Brynden se joint à elle quand le silence revient. Il est un ami précieux. Il est un ami protégé par les Anciens Dieux et les Nouveaux de la même manière. A lui elle peut lui dire qu'Harrenhal est une folie. A lui elle peut dire que Maegor fait une grave erreur. Et la Corneille sait lui dire que son prince et sa tendre épouse sont en sécurité. Il sait lui dire qu'Harrenhal est une folie nécessaire en ce monde, un dessein plus grand encore. Un dessein divin.

L'après-midi, Alys la passe à nouveau seule, blottie non loin d'un feu qui réchauffe sa peau. Elle a cessé de se rendre dans les jardins. Parfois, le mestre la rejoint. Il lui demande comment elle se sent, l'observe. Il dit qu'elle est pale, plus que la veille et que la veille encore avant cela. Do you feel sick? demande-t-il. No I'm fine, Maester. répond-t-elle. Le cycle dure et dure et dure. Une demi lune. Une quinzaine toute entière. Trop de jours, bien trop. Rarement, une servante s'installe avec elle. La femme tricote, Alys regarde. Elle tient la pelote de laine plus souvent que non, elle pense alors à sa chère maman partie trop tôt. Elle a eut des cheveux de feu comme elle. Elle a été d'une grande beauté. Elle a été une lady silencieuse et très bien. Personne d'autre qu'elle ne sait son prénom. Douce Jorelle de la maison Saline. Le temps a fait d'elle un fantôme. Un souvenir aux cheveux de feu. Quand la pelote est terminée, la douce sourit et complimente. It's beautiful, are you having a child? demande la riveraine. Not me, my lady. Do you like it? questionne alors la servante. Et l'Herpivoie des Conflans hoche délicatement sa tête. On lui apporte toujours un tisane chaude ensuite et quelques biscuits à la canneberge, un privilège que la jeune femme partage toujours avec celle qui les lui porte. Le partage est une notion importante de la foi des Sept. Alys ne s'en prive pas. Jamais. Pas alors qu'elle est seule. Sans eux, un jour de plus.

Une nuit, elle dort paisiblement. Une demi lune. Une quinzaine toute entière. Trop de jours, bien trop. Elle dort seule, ses bras enroulés autour des oreillers qu'elle presse contre son cœur. Tout lui manque. Tout lui semble incorrect et l'Alys du Trident pleure souvent quand personne ne peut l'entendre. Elle se souvient des livres sur la lady Argella. Elle se souvient que cette dernière a vécut des années seule, loin de son mari. Elle se souvient qu'ils se sont aimés d'un amour que la belle aspire à connaître. Il lui faut être forte comme l'orageoise l'a été. Il le faut. Elle sera seule à nouveau le lendemain. Sans eux, un jour de plus. Pourtant, une main la caresse dans la nuit. Une grande main travaillée par le combat et le maniement des armes. La main se fait douce. Elle se fait charmante, Alys soupire d'aise. La voix qui lui parle, elle la reconnaît. Son aimé possède la même. Elle a toute une richesse mélodieuse que la riveraine connaît. Ce rêve est cruel. Ce rêve la fera pleurer au petit matin. Tant pis. Il lui faut prendre tout les phantasme que ce monde lui offre. Elle papillonne des yeux l'Herpivoie et le spectacle la surprend. Ses lèvres fine forme un O parfait. Maegor. Maegor est là. Maegor. Et la fatigue semble s'estomper pour une seconde, comme si rien d'autre n'avait d'importance.

« Are you a dream, my love? » la question est posée avec une telle douceur qu'Alys peine à croire que Maegor l'ait entendu. « I want to go with you. »

Jamais. Jamais Maegor ne l'a aidé à s'habiller. Il n'en a jamais eu le temps, autant qu'il n'a jamais eu le temps de la déshabiller proprement. Quand l'opulence a été leur train de vie, perdre une robe ou deux a été le cadet des soucis d'Alys. L'Herpivoie a pu compter sur la trésorerie targaryenne. Aujourd'hui aucun d'eux ne cours sur l'or. Son prince veille à être doux. Les baisers qu'il posent sur elle ressemble à des présents. Il n'y a plus rien en ce monde qu'eux. Personne n'a plus d'importance qu'eux. La protection des Sept est une bénédiction que la Lady Herpivoie apprécie. Pourtant, c'est cet homme qu'elle aime davantage encore que la foi. C'est cet homme pour lequel elle prie en silence des heures et des heures durant. C'est cet homme qu'elle espère voir revenir à elle. Lui et sa Tyanna. Sa très précieuse Tyanna. Elle est une femme cruelle, Alys le sait. Alys n'a pas de doute. Pourtant Alys l'aime. Elle l'aime plus encore que quiconque puisse l'imaginer. Elle l'aime. Elle les aime. Ses doigts se saisissent alors de la main de son amant, elle le suit, laissant derrière elle sa mélancolie et sa tristesse. Une demi lune. Une quinzaine toute entière. Trop de jours, bien trop. Envolés, terminés. Rapax les attend déjà. Alys en a un peu peur pourtant le revoir est un soulagement. Elle tend sa main, le flatte, lui intime qu'elle est heureuse de le revoir. Ses mots sont prononcés en langue commune et la riveraine d'Harrenhal ne sait pas si la bête la comprend. Ce n'est pas grave.

Sa main se saisit ensuite de celle de Maegor. La femme monte derrière le prince et ceci lui semble familier et pourtant différent. Balerion a été le plus grand dragon du monde. Rapax, lui, est petit et pourtant, il les portera tout aussi bien. L'Alys des Conflans s'enroule dans les fourrure. Elle sait, elle sait. Elle a eu l'occasion de voler par le passé et le froid l'a toujours saisit d'une façon surprenante. Seule Pentos a été assez chaude pour lui permettre d'échapper aux frissons de l'air sur sa peau. Pentos. Pentos. Pentos. Elle prie pour Pentos à présent. Elle prie pour la chaleur de leur foyer qui lui manque tant. Et en un instant, alors que sa poitrine se presse contre son prince, l'Herpivoie ferme ses yeux. Les rêves lui viennent rapidement. Ils lui viennent si facilement. Une demi lune. Une quinzaine toute entière. Trop de jours, bien trop. Se reposé de toute son inquiétude ne sera pas de trop en revanche. Et juste comme son amour lui annonce, quand elle ouvre à nouveau ses yeux, c'est les Conflans qui l'accueille.

Dieux. Dieux. Dieux. Peyredragon est une terre désolée, une terre privée des Dieux d'en Haut, si bons, si justes. Les Conflans, eux, en son baigné. La nuit ne leur porte pas justice et pourtant, Alys le sait, Alys le sent, ses souvenirs ne sont pas trompeurs. Cette terre est belle. Cette terre lui est précieuse. Maegor lui tend ses bras, l'Herpivoie ne s'y refuse pas et pendant un instant son visage fond contre le cou de son tendre. Il lui est tout aussi précieux que ses terres natales. Plus encore. Bien plus. Ses mots la transcende, ses boucles rousses sursautent presque et le rouge lui monte au joue. Un seul nom est capable de cela.

« Yes, please. I need to see her and to be certain she's alright. Even if she did not miss me, I did. »

Quand elle pose le pied à l'intérieur des Jumeaux, Alys reconnaît sans peine la demeure ancestrale des Frey et avec elle, les souvenirs reviennent. Elle a l'impression de flancher sous le poids de sa mémoire et pourtant, il lui faut garder un masque neutre et droit. La jeune femme incline poliment sa tête ici et là, elle laisse ses yeux vagabonder. Tout lui est différent et pourtant si familier. Elle pense. Elle ne peut s'empêcher de penser à toutes les fois où elle a refusé d'épouser lord Frey, en son temps. Quand elle a refusé plus d'une dizaine de fois car un seul homme a eu le droit de la faire sien. Maegor. Maegor. Sa main serre davantage la main de son ancien époux. Elle le suit et quand enfin ils atteignent la chambre que ce dernier occupe avec Tyanna, la rousse du Trident se fige. Et si? Et si, et si. Et si Tyanna n'est pas heureuse de la voir? Et si Tyanna lui en veut d'être venu? Et si Tyanna est en colère contre elle? La peur se saisit de l'Herpivoie, elle se sent prête à fuir, à retourner à Peyredragon, à s'y enfermer pour toute la vie. La peur forme un nœud dans sa gorge. Elle n'arrive pas à avaler. La peur. Elle a peur. Et pourtant, pourtant, quand la porte s'ouvre, quand Maegor s'adresse à la pentoshie, leur Alys s'élance presque jusqu'à elle. Ses bras se referment sur sa belle, ses doigts se referment sur sa nuque, sa seconde main trouve sa taille. Il n'y a rien que la peur peut faire contre tout l'amour que l'ancienne lady d'Harrenhal ressent pour sa compagne.

« I missed you so much, my love. Are you well? Did Maegor treated you well? »

L'étreinte ne peut durer plus longtemps car Alys se recule. Elle inspecte Tyanna avec une grande minutie pour s'assurer de ne rien laisser hors de sa connaissance. Sa belle est trop précieuse. Et quand l'Herpivoie est certaine, elle s'agenouille et embrasse le ventre de la brune, susurrant quelques paroles à cet enfant qui naîtra un jour. La rousse se sent fortunée. Une demi-lune, une quinzaine sans eux. Trop de jours, bien trop de jours, et pourtant, chacun de ses aimés est en vie et en sécurité.

C'était uniquement pour lui, pour le prince Maegor de la Maison Targaryen, son époux, qu'elle était ici. La pentoshie n'avait aucune affection pour les Conflans, elle n'avait aucune affection pour aucune lieu en ce monde, mais les Jumeaux n'avaient rien d'intéressant, ni de passionnant. Chaque instant qu'elle passait ici n'avait rien d'agréable ou de plaisant. Elle attendait, patientait depuis une quinzaine et rien ne changeait, rien ne se passait et ils tournaient en rond. Elle n'avait rien pour s'occuper, aucun but si ce n'était celui de protéger le prince dans un château qui semblait en apparence sans danger. Et contre des armes, elle ne lui saurait d'aucune véritable aide. C'était contre la mort elle-même qu'elle préservait Maegor et la mort, l'Étranger comme le nommerait Alys, ne semblait pas s'être invitée aux Jumeaux.
Sans qu'elle s'autorise à l'admettre, son ventre rond et lourd participait à son ennui. Chaque mouvement était plus difficile, plus épuisant quand elle portait en permanence ce poids qui l'entravait, le poids d'une chose qu'elle ne désirait pas mais qui s'était accrochée à elle, qui avait pris racine et grandi en son sein. Elle ne s'était jamais trouvée particulièrement attirer par ces créatures irritantes, elle ne leur trouvait qu'un intérêt social, qui lui aurait permis de s'élever plus haut encore alors que le bâtard qu'elle portait n'était rien d'autre qu'un rappel cruel de sa condition. Pas un instant, durant les lunes qui se s'étaient écoulées depuis qu'elle avait appris qu'elle portait un monstre, elle n'avait prononcé de douces paroles à son propos, jamais elle n'avait exprimé une quelconque joie à l'idée de donner la vie. C'était Alys qui se réjouissait pour elle, sa douce et tendre Alys. Son absence rendait Tyanna plus morne qu'à son habitude, plus désagréable avec quiconque n'était pas Maegor et même lui avait droit à sa mauvaise humeur chaque fois qu'il apparaissait devant elle agacé. Chaque fois qu'elle l'entendait soupirer, elle sentait son sang bouillir dans ses veines et cela lui prenait beaucoup de ne pas lui cracher au visage qu'elle ne trouvait pas ce séjour plus plaisant que lui.

Son sommeil était devenu léger. Elle ne l'avait jamais eu véritablement lourd, toujours attentive à ce qui se déroulait autour d'elle mais désormais, cela semblait plus terrible encore. Le moindre bruit venait la réveiller, le moindre mouvement. Et alors, quand Maegor vint la serrer dans ses bras, elle n'émit qu'un grognement de protestation avec la volonté de le chasser pour se rendormir mais elle n'en fit rien. L'humeur du prince le rendait plus prompte encore qu'à son habitude à quelques accès de colère et elle redoutait qu'il ne la laisse pas se rendormir du tout si elle osait l'écarter d'un geste indélicat. La force avec laquelle il la serrait la laissait lire en lui, il lui manquait quelque chose, il lui manquait Alys et elle en aurait roulé des yeux si elle avait osé les ouvrir. La riveraine lui manquait aussi à elle mais était-ce l'heure pour cela ? Ne pouvait-il pas attendre l'aube ?
Par tout les dieux, ceux qui existaient, ceux qui n'existaient pas et surtout ceux dont la sorcière n'avait rien à foutre car elle ne croyait en aucun d'eux, Maegor relâcha son étreinte autour d'elle et quitta le lit. Combien de temps mit-elle avant de s'étendre davantage, de profiter de la place pour s'étirer et trouver une position plus agréable dans son état ? Pas plus de quelques instants mais il lui fallut un moment pour se rendormir. Où se rendait Maegor n'avait pas d'importance, il finirait par revenir et au moins, peut-être pourrait-elle profiter de quelques heures sans l'entendre respirer trop fort dans son sommeil.

Il sembla à la pentoshie que peu d'heures s'écoulèrent avant que le fils de Visenya ne vienne la réveiller de nouveau et il eut pour première réponse un soupire d'agacement.

« — Go fuck yourself, Maegor. I need sleep! »

Il n'était pas un homme qui restait inactif, il était plein de colère et d'énergie qu'il fallait évacuer, il était un homme d'action et aux Jumeaux, il n'y avait aucune action. Mais s'il ne trouvait pas le sommeil par ennui, ce n'était guère le problème de Tyanna de la Tour qui se trouvait plus fatiguée de ne rien faire qu'autre chose.
Ce ne fut que lorsqu'elle sentit une main délicate sur sa peau et des bras frêles pour l'entourer qu'elle comprit et que ses yeux s'ouvrirent avec surprise. La belle Herpivoie l'entourait déjà de ses bras et son visage se retrouva si vite dans sa chevelure de feu. Elle tendit sa main pour effleurer le doux et délicat visage de la belle qui lui avait manqué, elle lui avait tant manqué et elle réalisa à cet instant qu'il était tellement plus aisé de respirer quand Alys était à ses côtés.

« — I was bored but you're here now. »

Sa voix se fit plus douce et mielleuse qu'elle ne l'avait été quand elle s'était adressée avec Maegor. Sa voix était toujours plus tendre avec la riveraine qu'avec le valyrien. Pourtant son regard sombre se releva vers lui et son visage avait un air plus apaisé tandis qu'elle était reconnaissante qu'il ait mené leur amante ici. Cependant, elle ne dirait rien. Tyanna ne disait rien. Elle avait toujours affirmé haut et fort qu'Alys ne lui manquait pas, quand il n'y avait qu'elle et Maegor et pourtant, depuis son retour, son attitude disait tout l'inverse. La manière dont elle restait près d'elle, dont elle venait voler son attention ou dont elle la touchait comme si elle était la chose la plus précieuse qui soit, tout cela parlait pour elle. Elle était fragile, son Alys, elle lui semblait plus facile à briser que leur époux à qui elle offrait sa violence et les pires aspects de sa personne. En contrepartie, elle tuait pour lui, ses mains se tâchaient de sang, commettaient les pires atrocités en prenant des vies pour sauver la sienne, en se plongeant dans des arts sombres pour le servir et c'était sa manière de lui dire qu'elle tenait à lui, qu'il était aussi important sans qu'elle ne prononce jamais les mots.
Sa main s'enfouit dans l'épaisse chevelure rousse alors qu'Alys s'adressait à la créature dans son ventre et Tyanna laissa une grimace se dessiner sur son faciès toujours bien pale.

« — The thing is perfectly fine, my heart. »

Ses doigts osaient à peine toucher son ventre, elle osait à peine le sentir bouger sous sa peau car elle le sentait suffisamment en elle et elle connaissait sa tendance à détruire tout ce qu'elle touchait. Alys et Maegor semblaient tenir au monstre qui viendrait bientôt au monde.

« — What did you do without us? Tell me everything about your days. »

Go fuck yourself Maegor, avait-elle dit. Il y avait toujours eu une violence chez Tyanna, une violence sauvage et libre, l’inverse de leur Alys. Elle avait toujours eu l’insulte facile, le poing serré, le poignard entre ses doigts. Elle l’avait déjà planté une fois, le sourire au lèvre, et le prince Targaryen avait presque glapis, grognant d’une douleur évidente et surprise. Il l’aurait sûrement secouée de colère, cette sorcière, s’il n’y avait eu qu’eux, qu’elle lui avait parlé si mal, écrasant sûrement ses lèvres contre les siennes d’une force rageuse, haineuse même. Alys était là pourtant et par chance, la rousse s’était activée dans des gestes rapides et heureuse d’être là.

“Don’t talk to me like that when I bring you a surprise. You’re spoiling everyone’s fun,” marmonna le valyrien aux longues tresses.

Ce fut en se défaisant de sa cape, de ses bottes et de son pourpoint que Maegor remarqua qu’il souriait. Il s’appuya un instant contre un meuble en bois sombre, ses bras croisés comme il les tenait si souvent, pressés contre sa poitrine. Son regard violacé qu’il avait hérité de sa mère fixait les deux femmes qu’il avait tant aimé un jour, celles qu’il aimait toujours. Pour Alys, son amour était évident, profond, loyal. Il n’était pas toujours doux et mielleux mais le prince s’excusait toujours de mille et unes façons. Tout était toujours plus compliqué autour de Tyanna de la Tour. Elle était une femme spéciale, avait pensé le prince Targaryen la première fois qu’il l’avait vu, ne doutant pas qu’elle avait dû attirer l’attention de la belle riveraine qu’il avait épousé pour une raison particulière. Ce n’était pas de lui que la brune était tombée amoureuse en premier, ce n’était pas pour la jeune femme d’Essos qu’il l’avait accepté dans son entourage. Tout ceci avait été pour cette femme qu’ils aimaient.

Et peut-être était-ce exactement la raison pour laquelle Maegor souriait ainsi, légèrement, derrière la fausseté de son air hautain et presque moqueur. Pour une seule seconde, il lui paraissait qu’une odeur familière et nostalgique le replongeait sur les terres de son exil, loin de Westeros. Cette scène, presque la même, ils l’avaient déjà vécu sans que le Targaryen ne pût exactement s’en souvenir. Les sensations étaient là, le décor aussi, seuls leurs traits lui semblaient flous, incapable de replacer les pièces d’un souvenir qui semblait le troubler plu qu’il ne le devrait.

Alors à la place, cachant son trouble, le Prince de Peyredragon s’étendit sous la chaleur des draps, son regard fixant le dos de Tyanna. Il était impatient d’entendre Alys leur raconter le temps seule avec elle-même. Dans son esprit, la riveraine avait beaucoup prié, beaucoup marché, peut-être avait-elle pleuré un peu aussi. Les états des femmes lui avaient toujours semblé excessifs, ceux de sa tendre épouse davantage encore, mais qu’y pouvait-elle donc ? Tel était le fardeau d’un sexe que l’enfantement rendait faible.

“Do tell, dear love. But come here, the night was cold, and I need you to get all warm and comfortable. This place is so humid, it’s a catastrophe.”

Il y avait presque un geignement dans la voix de l’homme, lui qui se pensait toujours si fort et si supérieur. Peut-être ne l’était-il pas, mais de cela, Maegor s’en prémunissait. Son esprit lui susurrait en permanence les rumeurs de sa propre grandeur, celle qu’il aimait tant clamer dans sa vie précédente comme si la couronne qu’il avait portée n’avait pas été volée, arrachée de la tête encore pâle d’un enfant qu’il avait tué.

“You too Tyanna. Get back to bed, it’s not good for the child.”