「I never learned to lose a fight」(ft. Visenya Targaryen)

Les vents du crépuscule balayaient les parois de pierre noires de Peyredragon lorsque Maegor Targaryen revint après la guerre d'Harrenhal. Son nouveau dragon, Fyrewrath, planait à loisir sur les quelques rafales qui les poussaient vers le château, tandis que son dragonnier avait gardé une de ses mains sur la cuisse d'Alys en plongeant vers le sol, s'assurant que la rousse, mais aussi Tyanna soient suffisamment en sécurité. Le confort n'était, après tout, pas ce qu'il cherchait, même pour la pentoshie qui avait définitivement plus souffert qu'il ne l'aurait voulu pendant leur temps au loin. La forteresse qui se dressait face à eux quand ils arrivèrent, autrefois fière et imposante, portait encore les cicatrices du temps, mais son ombre menaçante n'était rien comparée à la tempête qui grondait dans le cœur du prince. Il était heureux d'être rentré et pourtant, il espérait déjà que sa mère l'eut envoyer au combat, un véritable combat dont ils ressortiraient vainqueurs pour eux, pour Visenya et sa propre grandeur. Plus encore, il ne voulait pas se trouver ici si Aegon, son père, l'était également.

Le sol résonnait du pas de la petite suite qui rentrait à pieds, remontant les longs escaliers que la fatigue ne dispensait pas de monter. Bien sûr, Maegor aurait pu les faire atterrir plus proche, mais Fyrewrath n'étiat pas coutumier de l'île et il lui semblait périeux de l'introduire de la sorte. Il venait des Conflans, après tout, et sa visciosité le rendait dangereux pour les hommes autant que les autres dragons. Maegor, vêtu de son armure maculée de boue et de sang, marchait en tête, sa main tenant fermement celle de sa lady. Son regard, d'ordinaire impénétrable, portait les marques de la fatigue et de la préoccupation. Comment allait sa mère? Que faisait-elle à l'heure actuelle? Il pensa alors aux paroles qu'ils avaient échangé moins de six lunes auparavant, quand la souveraine lui avait demandé de ne rien faire de stupide. Elle avait dit avoir besoin de lui à ses côtés, un besoin que l'homme avait ressenti quand il avait lui même monté le trône et coiffé une couronne trop lourde, même pour lui. Et sans surprise, malgré les promesses, Maegor Targaryen avait failli.

Peyredragon, l'île austère, semblait se dresser comme un spectre des temps anciens. Les remparts grisâtres encerclaient la cour intérieure, et le portail principal grinçait en s'ouvrant devant le prince et ses compagnons. La forteresse était calme, mais une tension palpable flottait dans l'air. Qu'allait donc dire le prince quand il serait face au fait accompli? Face à la possible colère de Visenya... Par le passé, quand les premières rebellions avaient éclaté dans le Val, Maegor aurait dit qu'il ne faisait que son devoir, que son Roi avait eu besoin de lui et de Balerion, qu'il refusait de rester passif et cloîtrer entre les murs de leur forteresse ancestrale. Aujourd'hui, sa Reine ne lui avait rien demandé, elle n'avait pas ordonné que son fils se rende sur un champs de bataille qui n'était pas sa guerre et les conséquences en seraient terribles car il n'était pas aussi idiot qu'il n'y paraissait. Il n'y avait point de doute qu'il avait dû forcer le destin de quelque chose pour laquelle ils n'étaient pas prêts.

Quand les lourdes portes s'ouvrirent, le prince de Peyredragon ne prêta guère attention aux regards curieux des serviteurs et des gardes. Il déposa un baiser sur le front de Tyanna, un second sur la joue d'Alys, leur intimant de se reposer et qu'il saurait les retrouver bien assez tôt. Son esprit était hanté par une seule pensée pourtant, un seul nom : Visenya. Il chercha sa mère, la guerrière redoutable, la femme qui avait tant œuvré à faire un homme de lui, un de ceux dont le nom finirait dans les livres de la grande Histoire et que le monde apprendrait à craindre. Plus encore, Visenya avait été la plus féroce des mères, la plus douce aussi, père et mère à tour de rôle pour le garçon qui n'avait qu'elle comme figure parentale. Et pour cela, son enfant en serait toujours reconnaissant, peut-être était-ce pour cela d'ailleurs que la honte s'imprégna si vite dans son cœur. Qu'adviendrait-il de lui? Car victoire ou défaite n'importait peu. Une bataille ne résumait pas la guerre, elle pouvait pourtant en changer le court du mieux pour le pire et si Maegor avait été croyant, il aurait prié tous ses dieux pour que sa Reine n'en voit pas le pire.

Les couloirs de Peyredragon résonnaient de ses pas décidés, ses bottes lourdes ébranlant les vieilles pierres. La quête de Visenya était une priorité absolue, un besoin primal qui dévorait l'esprit de Maegor tant il essayait de prouver qu'il n'avait pas perdu la main sur les seules qualités qu'il possédait. Personne ne lui avait rien demandé et pourtant, le Targaryen se faisait un devoir de démontrer que sa réputation passée n'était pas un mythe des livres des rats enfermés dans leurs tours, au loin. S'ils voulaient faire de lui un ennemi, alors le prince serait une véritable menace, puisque c'était tout ce que le monde souhaitait se souvenir de lui. Les serviteurs s'écartaient de son passage, captant l'intensité de son regard, la flamme dangereuse qui pourrait éclater à chaque seconde comme le plus fou des Dragons.

Il atteignit enfin la Tour Tambour où le vent soufflait si fort en écho. Il passa par la salle de la table peinte, lentement, presque à reculons, comme s'il était à nouveau le gamin qui avait défiguré un serviteur, conscient de sa propre bêtise. Mais là où il espérait trouver sa mère, il ne trouva que le silence. "Mère?" La salle était vide, son écho résonnant contre les murs dénudés. Peyredragon s'éveillait à la lueur des torches, et les ombres dansaient sur les murs de la forteresse millénaire. Les yeux de Maegor, d'un violet profond, scrutaient l'obscurité à la recherche d'une silhouette familière, d'une présence maternelle. Il avait combattu avec ferveur pour préserver l'héritage de sa maison, mais son esprit était hanté par l'absence de sa mère, Visenya Targaryen.

Il gravit les escaliers avec détermination, chaque marche semblant un rappel de l'ascension et de la chute qu'avait connues sa maison. Arrivé à la chambre de sa mère, il frappa à la porte, mais seul le silence répondit. L'inquiétude s'insinua dans son cœur, mêlée à une impatience grandissante.

"Mère !" appela-t-il d'une voix forte, emplie d'une autorité naturelle et pourtant, qui l'eut connu assez aurait su que sa voix tremblait légèrement d'une peur qui aurait pu le jeter au sol. La même peur qu'il avait ressenti quand on avait annoncé devoir lui parler de toute urgence, sans pour autant dire ce quoi il s'agissait.

Lorsqu'aucune réponse ne vint, il fit le tour du château, questionnant serviteurs et gardes. Chacun secouait la tête, ignorant le lieu où la reine dragon avait choisi de se retirer. Les rumeurs de ses propres démons murmuraient à l'oreille de Maegor, mais aucune n'était assez claire pour apaiser son esprit tourmenté. Finalement, il atteignit la sombre chapelle de Peyredragon, là où les Targaryen avaient prié et trouvé réconfort depuis des générations, un endroit que le prince n'aimait pas, dans laquelle il ne se rendait jamais. La lueur vacillante des bougies éclairait à peine l'endroit, mais au centre de la pièce, agenouillée devant l'autel, se tenait une silhouette familière.

"Mère, votre Grâce... Je suis rentré."

Et quand il s'agenouilla de toute sa hauteur, Maegor baissa sa tête, honteux.

Dans l'esprit de Maegor, bien des tourments dansaient dans son esprit. Il n'avait parlé à personne de l'enfant que portait Tyanna, en dehors de la princesse Rhaenyra, de son époux et du jeune Aegon II. Alys avait su, naturellement, puisqu'elle avait vu la pentoshie changer au fil du temps. Mais le prince n'avait pas voulu en parler tout de suite à sa mère, de peur de se porter l'œil et que les Quatorze Flammes ne lui arrache à nouveau un fils qu'il ne connaîtrait jamais. L'enfant n'avait pas été sien mais l'amour qu'il avait ressenti en l'imaginant naître n'avait pas été moins fort pour autant. Peu importe de qui était le gamin, le Targaryen avait appris que l'histoire ne retenait pas rien d'autre que le nom et personne n'aurait exactement osé remettre sa parole en doute devant lui sans risquer de perdre la vie. Pourtant, l'enfant était mort et la peine l'avait empêché de rentrer immédiatement. Il lui avait fallu faire le deuil, restant silencieux pendant plusieurs jours, à fixer l'Œildieu.

Il ne dirait rien à nouveau, incapable d'avouer ce qu'il avait exactement sur le cœur. Ce n'était pas l'heure ni le moment. Peut-être que sa mère n'aurait eu à faire de quelque bâtard né en dehors des liens du mariage. Plus encore, Maegor n'était pas certain de savoir mettre des mots sur ce qu'il avait ressenti avant Harrenhal, toute la peur de devenir enfin un père, l'inquiétude de ne pas être assez bon et surtout, de briser cet être si précieux. Visenya l'aurait cru faible, selon le prince de Peyredragon et il avait eu peur d'être davantage écarté des plans que faisait la souveraine. Alors en s'inclinant, le prince avait gardé sa bouche fermée, fixant un point invisible. La minute fut longue et pendant une seconde, l'homme fut inquiet qu'elle ne l'ignore totalement et définitivement ou pire encore, que quelque chose soit arrivé à cette dernière. Il s'apprêta alors à reprendre la parole, à se relever même, pourtant, la valyrienne se releva et son soupire intima à son fils qu'il en prendrait pour son grade.

Savoir la déception de sa mère était plus dur à encaisser que tout ce que Visenya aurait pu dire à cet instant et pour la première fois de sa vie, Maegor eut l'impression qu'il avait réellement échoué. Sa mâchoire se contracta alors et il baissa davantage encore sa tête. Sa punition serait sans doute plus grande que toute celle qu'il avait pu recevoir dans sa jeunesse, et tous les Dieux savaient qu'elles se comptaient sur les doigts d'une main. Seule sa mère n'avait eu aucune peur de le châtier, Aenys avait préféré l'envoyer au loin pour ne pas avoir à essuyer une tempête de rage destructrice qui aurait éclaté s'il avait pris la moindre mesure contre son frère. L'homme, cependant, tiqua aux paroles de Visenya, son regard mauve qu'il avait hérité d'elle se redressant dans une expression sombre.

Comment-ça, dans le Val? Le prince de Peyredragon, titre qu'il avait obtenu de la princesse Rhaenyra, serra ses poings avec une force et une colère sourde qu'il n'avait plus ressenti depuis des années. Sa mère le chassait-il? Lui? Car il n'était pas idiot, plus que la mission qu'elle lui confiait, Maegor voyait là un moyen pour la Reine légitime des Sept Couronnes de l'éloigner et de l'enfermer dans une tour au milieu de nul part comme on enfermait un trouble-fête. Oh, il avait été trop loin, certes, mais plus d'une fois, Maegor n'en avait fait qu'à sa tête. L'humiliation fut profonde mais il tint bon, les flammes dansant dans ses yeux.

"Je..."

Les mots avaient du mal à se former dans sa gorge mais il lui faudrait tenir bon et ne pas se démonter. Il accepterait car, jusqu'à preuve du contraire, cela n'était pas une demande mais un ordre, mais cela ne voulait pas dire que Maegor ne bougonnerait pas, qu'il ne ferait point de vague. Visenya le connaissait, elle devait se douter que cela n'irait pas à son fils unique.

"Vous avez dit que vous aviez besoin de moi à vos côtés, pas à des centaines de lieues."

Le ton de Maegor avait été sec volontairement alors qu'il essayait de cacher le tremblement de sa voix qui indiquerait qu'en effet, le prince était blessé par cette décision. Il l'avait vu venir et pourtant, rien n'était plus désagréable que de l'entendre pour de vrai, de la bouche de sa mère qui, comparé à bien des êtres sur cette terre, comptait pour lui. Il l'avait déçu, cela était mérité. Protester pour la forme ne changerait pas le cours des choses.

"J'irais, cependant, votre Grâce. Vous avez le dernier mot et si tel est votre désir, il deviendra réalité."

Par le passé, le prince aurait sûrement tout détruit sur son passage, laissant libre cours à ses pires pulsions jusqu'à ce que Visenya ne cède. Jamais elle ne l'avait rabaissé à une telle impression d'infériorité, et si cela avait été le cas, peut-être l'aurait-il tué par mégarde. Ce n'était pas la sagesse qui retenait à quai sa violence, mais l'amour et la peur de perdre à nouveau la seule personne qui le gardait un peu sain d'esprit. Car quand sa mère avait quitté ce monde, les Sept ou quelques dieux que ce soit n'avaient pas suffit à protéger quiconque en ce royaume de la furie de cet homme colérique. Ils riraient, ces ennemis du passé, de le voir dans une telle posture, les yeux fuyants et la queue entre les jambes à ravaler sa fierté.

Où avait-il été la lune passée? Quand sa reine posa cette question, Maegor serra ses poings avec une violence telle que la jointure de ses doigts s'était mise à blanchir. Pendant un instant, le prince repensa à la débâcle qu'avait été la conquête d'Harrenhal aux côtés de ce qui avait semblé être une bande d'amateur trop faibles pour attaquer et prendre des décisions fermes. Peut-être aurait-il dû y penser en entendant le nom de la lady des Jumeaux. Au-delà de se prénommer comme son ancienne épouse, Ceryse était une Hightower, tout comme Otto Hightower et Daeron Targaryen l'étaient eux-mêmes. Tout ceci avait été voué à devenir compliquer dès que ses soi-disant alliés s'étaient fait sentimentaux du sort d'une descendante qu'ils ne connaissaient même pas. Ils n'avaient pas la trempe qu'il fallait pour mâter des révoltes ou conquérir des territoires entiers car il fallait savoir se accepter la haine pour devenir une légende et inspirer la peur pour faire tenir un règne.

Les traits du valyrien s'agitaient d'une colère qu'il contenait avec peine. Ce monde le faisait enrager tout entier et bien peu de chose le retenait de le faire brûler à loisir, à nouveau, comme un leitmotiv que le prince de Peyredragon avait connu presque toute sa vie. La haine, parfois, était fatigante et lourde à porter sur ses épaules, mais elle était ce qu'il y avait aussi de plus constant dans sa vie, une haine qui engourdissait sa tête et qui renforçait ses bras. Alors, quand Visenya lui ordonna de se lever, Maegor le fit avec une vigueur qui en disait long sur ce qui courrait dans son esprit. Son regard se planta alors dans celui de sa mère, incapable de deviner ce qui parcourait la tête de cette dernière.

"J'honorais une promesse que j'ai fait pendant que vous m'ignoriez."

Il voulut demander si elle l'aimait pendant un instant. Avait-il été un enfant désiré de ses parents, un présage joyeux dans la vie du premier roi des Sept Couronnes et de sa première épouse, celle que les bouquins prédisposait à être l'épouse par devoir, comme s'il était impossible d'aimer une femme comme Visenya. Cette question brûlait les lèvres de Maegor et pourtant, l'homme ne la posa pas. Il ne voulait pas paraître plus faible qu'il ne l'était et la réponse risquait de le faire sombrer dans des pensées sombres que l'ancien lord protecteur du royaume avait nourri durant les dernières années de son règne. Maegor voulut croire qu'il restait un peu de cette tendresse filiale qu'ils avaient entretenu quand il avait été un garçon à peine assez haut pour soulever Noire Sœur et que sa mère était tout son monde entier, celui qui s'arrêtait à la bordure du quai d'où il avait observer Aegon Ie du Nom repartir au loin en les laissant derrière. Ses yeux mauves fixèrent le visage de la femme qu'il devait regarder en baissant le regard, l'écoutant avec une attention toute particulière avant de rire avec une amertume familière teintée d'agacement.

"Que ferez vous si les Baratheon décident que vous n'êtes plus assez de votre sang et qu'ils rallient ceux qui ne veulent pas plier? Non, attendez, ne me dites rien, ce n'est pas mon affaire, pas vrai?" Non, son affaire était le Val d'Arryn et soudainement, toute la colère éclata d'une violence sourde et froide. Maegor criait souvent sur Tyanna, mais il était plus vicieux dans sa colère avec Alys. Il savait ce qui blessait les gens et puisqu'il devait prouver, alors il le ferait. Son ton devant bas, plein d'un amusement vicié par la blessure que lui infligeait cet exil. "Puisque vous m'envoyez au loin comme si j'étais un vulgaire étranger. J'ai assez prouvé ma valeur pendant trente-six années. J'ai obéit aveuglément, j'ai maté des foutues rebellions, j'ai tué mes neveux pour que ce royaume ne tombe pas entre les mains de deux chiffes-molles à peine meilleures qu'Aenys. Ce ne sont pas des preuves que vous voulez, votre Grâce."

Alors c'était ainsi que finissait cette route? Dans la déception et la colère? Soit, l'homme s'en accommoderait. Il était sûrement né pour être envoyé au loin par ceux qu'il aimait ou du moins, par ceux qu'il appelait sa famille, lui qui s'était toujours montré si loyal. Maegor ferait son devoir comme le docile soldat qu'il était, se tenant droit et fier parce qu'il n'y avait rien de plus grand que d'être un Targaryen. Et puis, quand Visenya siégerait sur ce trône qu'elle désirait tant et qu'elle le rappellerait à elle comme un vulgaire chien, le prince prendrait congé sans se retourner. Il lui offrirait son dos et le silence le plus total puisque sa mère le voulait loin d'elle.

"J'ai entendu, oui. Mais ne vous faites point de soucis, je serais parti d'ici la fin de la journée. Je n'ai pas de question et si la moindre me vient à l'esprit, je ferais parvenir un corbeau ou peu importe à un intendant ou... Peu importe."

Maegor tournait à présent en rond comme s'il était enfermé à nouveau entre les murs étroits de quelques prisons qu'on lui imposait. Il allait exploser un jour et quoiqu'il fasse, il n'y aurait plus de marche-arrière à cela.

"Puis-je prendre congé? Il me faut avertir Alys et Tyanna de ne pas défaire leurs affaires."

Peut-être était-il déçu aussi. Maintenant qu'il y pensait, Maegor se demanda depuis combien de temps est-ce que sa mère pensait à l'écarter de toute affaire en lien direct avec le combat. La paranoïa faisait à présent son travail sans que le valyrien n'eut quoique ce soit à faire. Le Val était une mauvaise distraction, elle ne mettait pas les talents de l'homme en valeur, ceux que Visenya connaissait puisqu'elle les avait aiguisé elle-même en mettant son épée en acier valyrien entre les mains de son enfant. Le Targaryen était un piètre homme d'affaire, il ne savait exalté que les personnes comme lui, celles qui avaient soif de sang ou qui étaient peut-être plus bête qu'il ne l'était. Cette histoire ne faisait pas de sens et le prince se doutait que ce n'était pas pour lui apprendre quelques talents que l'homme aurait pu développer. Non, c'était un geste calculé et prémédité depuis longtemps.

"Sepār sīr ao gīmigon, nyke bē iksin iā kepa arlī."  Ces mots, le valyrien les prononce avec peine, comme s'ils étaient plus tranchant que l'épée qui avait apporté sa mort. Il fallut que Maegor se détourne et lentement, ses doigts retracèrent le contour d'un siège. "Sȳrī gierion sia paktot se iksā pradagon naejot ūndegon ziry tolī. Gaomagon daor zūger, aōha hōzalbor tresy iksis henujagon."
(Juste pour que vous le sachiez, j'ai manqué de devenir père à nouveau. Peut-être que les autres ont raison et peut-être que vous commencez à le voir aussi. Mais ne vous inquiétez pas, mère, votre fils monstrueux s'en va.)

Avait-il était impétueux de cette façon par le passé? Le prince de Peyredragon n'en était pas sûr, mais l'humiliation était trop grande et dans son esprit, les critiques pernicieuses et les injures à son endroit avaient commencé à faire leur ouvrage à nouveau. Maegor le Cruel n'avait pas toujours été cela, cruel. Il avait été un fils, un amant, un époux, un frère et s'il s'emportait aisément, blessé plus d'une fois dans son égo, il avait su être une personne plaisante et agréable. Pourtant, l'histoire ne retenait que les noms et le récit des vainqueurs, Visenya aussi semblait-il.

"Dites bonjour à l'ordure qui me sert de père pour moi quand vous le verrez. Mh?"

Il flottait une lourde atmosphère au-dessus de Peyredragon que Maegor savourait à peine. Le prince aimait le conflit et les grondements ténébreux qui annonçait l’arrivée prochaine de quelques combats. Tout cela était enraciné en lui profondément et sa colère ne connaissait pas de limite. Peut-être était-ce la raison pour laquelle tout le monde le connaissait comme le Cruel. Ceux qui ne côtoyait pas la fureur qui rugissait au creux du ventre ne pouvait pas comprendre, il leur était impossible de saisir, exactement, tout ce que le Targaryen était prêt à faire pour assouvir ce besoin de destruction et de chaos qui l’habitait constamment.

Aujourd’hui, pourtant, cette colère était d’une amertume que le prince de Peyredragon n’avait jamais connue auparavant. Il s’agissait d’une rage dirigée vers une personne que le très colérique Targaryen aimait et cet amour ne connaissait pas de limite. Maegor aimait ses épouses, mais il était aisé de les remplacer quand la mort frappait. Visenya Targaryen, sa mère, était si précieuse à ces yeux que le fils du Conquérant s’était senti mourir à petit feu quand elle avait quitté ce monde la première fois. Personne n’était décemment capable de remplacer la valyrienne, sûrement parce qu’il l’avait connu toute sa vie et qu’elle avait été sa seule famille. Non, elle était sa seule famille, cela était toujours vrai aujourd’hui.

“Bien sûr, si c’est ainsi que vous désirez voir les choses, je vous en prie. Mais dites-moi donc, où donc est passé votre feu ?” moqua-t-il brièvement, retrouvant bien vite cette expression fâchée qu’il arborait jusque-là.

Il y avait une haine dans le regard du valyrien. Il ne savait pas envers qui, envers quoi, mais il la ressentait, prête à le prendre tout entier pour l’engloutir. Son regard cherchant des réponses à des questions que Maegor ne posait pas. Il lui semblait qu’ils se parlaient sans réellement le faire, l’un et l’autre tournant autour d’un sujet qui brûlait les lèvres du fils concernant l’amour que cette femme lui portait et que la mère n’abordait jamais. Elle mettait la colère et l’entêtement de son enfant sur son comportement et lui, mettait l’insensibilité de la reine Targaryenne sur les mots qu’elle prononçait. L’un dans l’autre, la situation était douloureuse et le prince de Peyredragon y répondait avec toute la violence qu’il pouvait puiser au fond de lui.

“Je ne veux pas apprendre la moindre leçon, le temps pour apprendre est passé depuis plusieurs siècles, Mère. Nous sommes le sang du dragon, nous prenons ce qui nous revient de droit. C’est ce que vous m’avez toujours appris. Faire marche arrière aujourd’hui n’aurait aucun sens.”

De quoi avait-elle donc peur, la grande Visenya ? Dans ses souvenirs, Maegor la voyait si clairement, aussi parfaite qu’elle l’avait toujours été. Il n’y avait pas une fois où sa mère avait eu tort, lors de leur vie précédente. Elle avait été la meilleure des mères, la meilleure des conseillère et aux yeux de son fils, c’était elle qui aurait dû seoir le trône et coiffer la couronne. N’était-elle pas la dernière des Conquérantes ? Le monde aurait tremblé sous le poids et les mesures de cette femme plus formidable encore que l’avait été Aegon Ie Targaryen. Mais l’Histoire n’avait retenu que ce qu’elle avait souhaité et il semblait aujourd’hui au prince de Peyredragon que pire encore, sa mère était devenue comme Aenys. Cette pensée, Maegor la fit taire immédiatement. Il n’y avait pas pire insulte, à son sens, et il désirait encore croire en Visenya.

“Pourquoi me changeriez-vous ? Ne suis-je pas précisément la personne que vous désiriez produire ? Peut-être aurait-il été bon d’y penser bien avant.” L’aigreur de ces mots jaillit alors de ses lèvres sans honte et sans détour. “J’aurais préféré que ces foutus fidèles de Trios me laisse au fin fond des enfers. J’ai vécu et je suis mort en colère et il semble que cette vie ne soit pas différente.”

Et sur ces paroles pleine de rage, Maegor tourna les talons. Ses poings étaient fermement serrés, une habitude qu’il avait développé dès son plus jeune âge. Il lui semblait, pourtant, que cela n’était plus arrivé depuis longtemps. Seuls les mots de sa mère l’arrêtèrent dans sa marche furieuse et voilà que le prince de Peyredragon faisait déjà demi-tour pour faire face à cette femme. Elle portait les traits de sa mère et la même voix qu’elle et l’espace d’un instant, la colère s’évanouit pour laisser place à une tendresse douloureuse au creux de la poitrine du valyrien. Le regret s’insinua dans chaque recoin de son corps, le glaçant presque. Pourtant, il n’était pas question de reculer maintenant car l’hésitation et l’incertitude était une faiblesse immense aux yeux de cet homme.

“Pourquoi ne pas m’expliquer cette chose maintenant ? Qui sait, peut-être ne serais-je pas là quand vous m’appellerez à nouveau.”

Le prince Targaryen mordit sa lèvre en abordant finalement la question de son avenir à voix haute. Ils en étaient venus à la conclusion que Westeros n’avait plus été leur maison après l’exil auquel Maegor et Alys avaient été soumis. Pentos était devenu un foyer chaleureux auquel était attaché des souvenirs heureux, souvenirs qu’aucun d’eux n’avaient oublié. Un jour proche – dès que les Sept Couronnes seraient unifiés sous le règne de Visenya, à vrai dire – ils partiraient et l’homme n’était pas certain que sa route le mènerait à nouveau de ce côté du Détroit. Pourquoi reviendrait-il en des terres qui les haïssait si profondément ?

“Je n’ai pas besoin de cinq jours et nous serons bien plus soulagé, vous comme moi, loin l’un de l’autre.” Maegor soupira ensuite tout bas, son regard violacé détaillant l’irrégularité familière des pierres au sol pour en cacher l’humidité grandissante. “C’est une chance que l’île aux Faces eut caché un dragon, dans ce cas.”

Et alors, Maegor ploya à nouveau le genoux, soupirant longuement. Il lui semblait que le temps le changeait lentement, l’empoisonnant si vivement que le Targaryen peinait à se reconnaître parfois. Avait-il souvent pleuré dans sa vie précédente ? Il ne se souvenait que d’une seule fois et plus que quelques larmes, elles avaient été un torrent rageur et désespéré. La mort avait pris Visenya avec une brutalité qui avait laissé son fils à nu et seul au monde. Désirait-il vivre cela à nouveau ?

“Pardonnez-moi, la colère a eu raison de mon jugement. Je viendrais au moindre de vos appels, furent-ils pour annoncer la victoire ou une défaite ou réclamer ma tête.” Le prince de Peyredragon se redressa alors, déglutissant longuement. “Bonne chance, ma Reine. Puisse votre épée être franche.”

Il y avait des colère saines et d’autres qu’il valait mieux éviter pour ne pas tout ruiner. Maegor Targaryen avait toujours été incapable de les différencier. Les colères finissaient toujours par être les mêmes, celles qui brûlaient ses veines et faisaient battre son cœur dans ses tempes et le prince se perdait alors dans un labyrinthe, coincé avec lui-même. Il arrivait parfois qu’il oublia ses exactions, leur préférant une suffisance que le monde appelait un défaut. Le Targaryen se pavanait alors, le métal de son épée brillant au soleil et le rouge sanglant du dragon tricéphale sur sa poitrine rappelant qu’il était un être à part. Il était, après tout, le seul enfant de la reine Visenya, celle qui se tenait dos à lui.

De toutes les personnes dans ce monde, personne n’avait la grâce et la prestance de Visenya Targaryen, fille aînée d’Aerion et Valaena, dragonnière d’exception et combattante hors-pair. Il y avait toujours eu une forme de grandeur en elle, une de celle qui avait toujours questionné Maegor lors de leur vie précédente. Par tous les droits, sa mère aurait pu monter le trône et se saisir des Sept Couronnes, elle aurait dû, et le monde se serait souvenu d’elle pour bien plus que sa prouesse de mettre au monde un fils monstrueux. De cela, le prince de Peyredragon en est persuadé. Peut-il seulement encore porter ce titre s’il est chassé de la forteresse ? Chaque question viendra quand il le faudra. Pour l’heure, la rage et la colère étaient tout ce qui importait.

Pourtant, son feu s’épuisa petit à petit et face à la Conquérante, Maegor redevint aussi docile qu’il pouvait l’être. Peut-être était-ce les mots qu’elle employait ou l’orage de sa voix qui semblait trembler, mais le prince sentit qu’il perdait cette bataille et il se résigna totalement, se laissant aller à ce sentiment désagréable qu’il ne pouvait pas continuer à lutter, pas avec sa mère. Dans un autre moment, dans une autre vie peut-être, le valyrien l’aurait serré dans ses bras et il aurait répété que tout irait bien. Maegor promettrait qu’il se rachèterait parce qu’il n’était pas correct de s’en prendre à sa seule famille, plus encore à Visenya qui l’avait toujours tant soutenu et aimé, et son fils l’aimait en retour. Cela, personne ne pourrait lui retirer. Maegor Targaryen n’avait d’amour que pour peu de gens. Il se méfiait de tout, de la moindre respiration ou d’un regard étrange, mais jamais ses doutes ne s’étalaient en longueur quand il s’agissait de sa mère.

Et quand il n’y eut rien à rajouter, le prince de Peyredragon se releva, faisant route vers la sortie. La seule chose qui l’arrêta réellement fut les mots de la Conquérante et Maegor se retourna brusquement. Son regard violacé, si similaire à celui de Visenya se planta sur elle et il y avait un air plein de mélancolie sur ses traits. Le Targaryen aurait tant donné pour revenir en arrière, au temps où il suivait la reine des Sept Couronnes partout où elle se rendait, un temps d’insouciance qu’il n’avait jamais assez chérit à son humble avis.

“Je…” commença-t-il, incapable de prononcer ces mots en retour. A la place, ses lèvres s’étirèrent en un sourire qui aurait pu paraître étrange pour ceux qui ne connaissait que sa légende. “Nous nous reverrons vite, Mère, cela sera comme cligner des yeux.”

Quand il quitta la chapelle de pierres noires, Maegor ignorait qu’il s’agissait des derniers instants qu’il lui restait avec sa mère et comme dans leur vie précédente, il viendrait à souffrir de son propre aveuglement, de sa propre colère qui l’eût privé de la chaleur qu’il désirait tant et qu’il fuyait également.