Il était certain que la forêt enneigée lui manquerait. Elle avait grandi entre les arbres de la forêt qui entourait Mont-de-Fer, s'était amusée à les escalader un nombre incroyable de fois, en compagnie d'Ethan. Ils essayaient de savoir qui irait le plus haut, mais Talia, si bien qu'elle fut aventureuse, se retrouvait plus vite peureuse aussi. Elle se découvrait une certaine peur du vide à partir d'une certaine hauteur, mais elle trouvait toujours le courage de sauter ou d'escalader quand son jumeau lui rappelait qu'ils étaient faits de la même chose ; s'il pouvait y arriver, elle aussi. Elle avait toujours cru à ça, jusqu'à ce qu'il fut tué. Le souvenir ne la quittait pas, même si les années s'étaient écoulées. Le reste pouvait devenir flou, mais jamais le sang d'Ethan qui s'éparpillait dans la neige, le mince espoir de le sauver, de pouvoir faire quelque chose... avant de ne sentir que le froid. Et le froid avait gagné Talia aussi. C'était un froid dont elle n'avait jamais espéré se défaire, parce qu'elle pensait que c'était tout ce qui restait de ce que Ethan avait été. Elle avait aimé penser qu'elle était juste à l'image de la forêt dans laquelle elle avait grandi.

Sauf qu'elle allait partir. Maintenant qu'elle s'était enfin décidée et qu'elle en avait parlé à Lucerys, elle ne ferait pas marche en arrière. Elle avait vécu à Winterfell lors de sa précédente vie car elle avait suivi Rodrik qui l'avait protégée pendant les horreurs infligées par Ramsay Bolton, mais elle s'était rendue à l'évidence qu'aucun de ces lieux ne lui apporterait la paix. Et elle ne pouvait décemment pas vivre dans la forêt. Si elle avait seulement su que son frère aîné semblait avoir pensé le contraire, elle aurait fouillé entièrement la forêt depuis bien longtemps. Elle avait tendu l'oreille chaque jour, avait épié chaque endroit de Mont-de-Fer, en se disant qu'elle ne pouvait pas être seule. Que le fidèle de Trios qui avait accompli ça était bête ─ elle n'était pas taillée pour vivre seule une seconde vie. Elle n'y aurait jamais survécu. Mais elle imaginait que depuis qu'elle avait rencontré Luke, elle n'était plus seule, et qu'elle avait juste voulu prendre ça comme excuse par peur de voir ses sentiments blessés.

La neige était moins dense mais ses pas laissaient toujours une trace sur le sol, tandis qu'elle s'enfonçait un peu plus parmi la sylve, emmitouflée dans une peau de loup qui lui évitait de perdre ses membres à cause du froid. Elle ne fit pas tellement attention à ce qui était devant elle, surtout lorsque la personne savait visiblement se cacher, mais un cri perça le calme de la forêt lorsqu'elle faillit être... transpercée par une flèche. Abasourdie, elle mit du temps avant de réaliser ce qui venait de se passer, et le fait que cette voix résonnait en elle. Puis ses yeux se posèrent sur lui. Il ressemblait plus à une créature sauvage qu'à un homme, mais elle ne douterait jamais de sa mémoire. Elle ne doutait pas un seul instant qu'il s'agissait de Rodrik. Pendant un instant, elle fut soulagée, et l'instant d'après... Folle de rage. Avec des grands pas précipités, elle se dirigea vers lui.

-TU TE FICHES DE MOI, RODRIK ?! cria-t-elle en venant le pousser. T'ES TOUT PRES DE CHEZ NOUS ET TOI, TU... TU CHASSES ?! ET TU VIENS DE MANQUER DE ME TUER, EN PLUS ! TU ME DOIS PLUS QUE DES EXCUSES ! qu'elle s'emporta, la blonde, en tapant Rodrik avec la force de mouche qu'elle avait ─ c'était sûr qu'il ne sentait rien, mais au moins le geste était là.

Elle devait halluciner, ça ne pouvait pas être possible que son frère fut un tel idiot. Avec les années passées, elle avait aimé Rodrik plus que le reste de sa fratrie, parce qu'ils avaient affronté la prise de Mont-de-Fer ainsi que les atrocités de Ramsay Bolton ensemble. Ce n'était pas pour rien qu'elle avait décidé de le suivre lorsqu'il s'était marié à Sansa Stark. Mais en cet instant, elle méprisa son idiot de frère qui ne voyait pas plus loin que le bout de son nez. Ça faisait des lunes qu'elle était chez eux, qu'elle attendait impatiemment juste un signe pour lui dire que sa présence n'était pas vaine. Qu'elle pourrait revoir des membres de sa fratrie, être un peu plus heureuse, mais rien n'était apparu. Puis il y avait Rodrik, qui venait de manquer de la tuer, à quelques jours de son départ pour Essos. Elle ne savait pas si elle avait envie de continuer à le frapper ou si elle était prête à s'écrouler en plein milieu des bois, en pleurant toute l'eau qu'il y avait dans son corps. A la place, elle resta plantée là, à regarder son frère se bouger comme si tout était norma, ramassant sa flèche et enlevant un piège dans lequel elle avait presque marché. Elle l'observait, incrédule, comme s'il était juste une enveloppe charnelle qui ne réfléchissait pas, ne partageait aucun de ses souvenirs.

-Si tu m'avais heurtée ? répéta-t-elle, une moue de plus en plus triste sur le visage. Tu me dois des excuses parce que c'est ce que tu es en train de faire, BOUGRE D'IMBECILE ! tonna-t-elle avant de commencer à pleurer, bien que sa colère ne diminua pas. Tu agis comme si je n'étais même pas réelle ! Par les Anciens Dieux, Rodrik, regarde moi ! Je t'attends depuis des lunes, et tu apparais presque sous mes yeux, si proche de Mont-de-Fer, alors que je dois partir ?! Dis moi que ce n'était pas voulu de ta part, que tu m'as pas ignorée sciemment... S'il te plaît, fais un effort, murmura-t-elle enfin, rattrapée par les larmes.

Secouée par des sanglots, Talia passa son temps à essuyer les larmes qui ne cessaient de couler sur ses joues, détestant ce qu'elle était en train de vivre. Elle avait réussi à faire un pas en avant, tout ça pour se faire ramener en arrière par... par quoi, au fait ? Les Dieux ? Les Fidèles de Trios ? La vie ? Elle ne savait pas qui blâmer d'autre que son frère qui n'agissait pas comme elle l'avait espéré. Elle aurait dû avoir l'habitude, pourtant ; à chaque fois qu'elle frôlait la paix, le chaos revenait et recommençait à la faire douter de qui elle était, ce qu'elle avait fait et ce qu'il lui restait encore à faire.

Elle ne savait plus si elle voulait hurler de colère ou juste s'écrouler et pleurer, parce qu'elle était fatiguée. Elle avait passé ces dernières lunes à chercher après sa famille, à les attendre, cloitrée à Mont-de-Fer, dans l'espoir de voir n'importe qui. Evidemment, elle était plus proche de Rodrik parce qu'ils avaient connu les pires temps ensemble, et que Talia avait mainte et mainte fois prête à confier sa vie entre les mains de son aîné, et elle savait qu'il avait fait pareil. Ils avaient compté l'un sur l'autre plus qu'ils n'avaient compté sur le reste de la fratrie, parce qu'elle avait pris le temps de panser les plaies de Rodrik, et lui avait pris le temps d'écouter ses silences. De comprendre pourquoi le chant ne franchissait plus ses lèvres, pourquoi est-ce que rencontrer d'autres personnes n'avait plus été une option pour elle.

Et là, elle songeait à presque le frapper pour le faire ramener à la vérité. Lui dire qu'elle allait partir, et loin, très loin ; qu'elle aimait éperdument un jeune homme depuis le moment où elle avait posé ses yeux dessus, qu'elle avait mis du temps à s'ouvrir à lui mais qu'elle avait été enfin prête. Et c'était avec lui qu'elle voulait poursuivre sa vie, même si c'était loin.

Mais... Il se pensait fou ou elle rêvait ? Elle commençait à croire que c'était elle qui était folle. Talia passa une main sur son visage en essayant de se ressaisir, ce qui était un peu compliqué aussi dans sa situation. Elle se tortilla sur place, cherchait un moyen de faire prendre conscience à Rodrik sans venir à le pousser dans la boue, et au début elle répondit juste en râlant "Oui j'ai déjà entendu", puis continua à maugréer, avant d'enfin comprendre ce qu'il lui disait. Enfin, elle entendait les paroles de son frère. Une vérité qu'elle savait déjà mais qui l'adoucissait toujours. Elle eut soudainement l'impression de respirer à nouveau, d'être légitime à vivre. Elle n'était plus seule.

Sans le prévenir, elle le prit dans ses bras, ou plutôt elle se faufila dans ses bras à lui, fondit presque dans son étreinte alors qu'elle se mettait à pleurer de tristesse, de joie. De joie parce qu'il était là et de tristesse parce qu'elle le quittait déjà et qu'elle ne savait pas comment le lui dire, alors elle se contenta de pleurer contre lui.

-T'es qu'un idiot mais tu m'as manquée bon sang ! Ça fait des lunes que j'attends de voir si tu reviens, je... je pensais que j'allais devoir partir sans te revoir. Mais je t'aurais laissé un mot, enfin, j'aurais dit à Sansa de t'accueillir et te parler d'où je suis ! Mais je préfère te voir maintenant, soupira-t-elle de soulagement.

Après les différents conflits et guerres, Talia s'était beaucoup renfermée sur elle-même. Les multiples morts de sa famille l'avaient emportée aussi au fur et à mesure, rendant la fillette plus silencieuse, faisant disparaître tout chant de sa bouche et de sa mémoire pour ne laisser que des mots factuels et quelques réconforts. Perdre Ethan, son jumeau, avait été une douleur affreuse dont elle ne s'était jamais remise. Quelque chose lui avait été enlevé et elle savait que c'était un vide qu'elle ne pourrait jamais totalement combler, mais maintenant qu'elle l'avait dit à Lucerys, qu'elle allait partir... Bien sûr, elle n'était pas totalement en paix avec l'idée de vivre entourée de Targaryen. Elle n'avait pas une bonne vision de la famille étant donné l'histoire de celle-ci, et venir du Nord n'aidait pas non plus. L'atmosphère était tellement froide que cela impactait les gens, qui considéraient dès lors que toute personne issue du Sud ou ailleurs était mauvaise, ou en tout cas, peu digne de leur confiance. Elle avait d'abord pensé ça pour Lucerys. Elle s'était montrée froide et distante, en restant dans quelques pièces de la demeure de Mont-de-Fer. Elle ne savait pas très bien comment le brun avait réussi à faire baisser sa garde, comment il était arrivé à trouver des fissures dans cette armure de silence qu'elle avait construit, mais elle était très contente que Lucerys fut têtu. Rien que pour cela, sa famille, et la manière dont il en parlait, méritaient que Talia vit les choses différemment.

Maintenant que la blonde serrait son frère dans ses bras, il était certain que cette décision avait un goût un peu plus amer et qu'elle sentait qu'elle se sacrifiait. Cependant, elle avait toujours su que le jour où elle se marierait, elle dirait au revoir à sa précédente vie ; elle irait vivre chez son mari et se plierait à ses mœurs, elle ne serait plus une Forestier. Mais c'était quelque chose d'autre de partir à Essos alors qu'on lui offrait une seconde chance et qu'il en était de même pour Rodrik... Les larmes continuèrent à couler sur ses joues alors qu'elle retrouvait toute la chaleur d'antan, toute sa force.

-Eh bien, tu mériterais tout ça... mais je vais garder ça pour plus tard, tu veux ? elle rigola doucement en reniflant, puis elle releva la tête pour plonger ses prunelles dans celles de son aîné. Je... Si j'avais su, je n'aurai pas... J'ai... Je vais épouser quelqu'un et je pars le rejoindre loin, très loin... Je pensais que j'étais toujours seule, j'ai tellement attendu que l'un de vous revienne, alors je me suis dit que... que ce départ ne ferait de mal à personne. Je suis désolée, si j'avais su !