you're on your own, kid (ft. Osmund)

Nerveusement, elle mordillait sa lèvre pour s'en arracher la peau. Alysanne était affairée à préparer une potentielle guerre contre Visenya Targaryen, et pendant ce temps, Alarra continuait à faire ce qu'elle faisait de mieux : écouter le peuple, proposer des solutions et espérer que cela fut suffisant pour le bien-être des port-réalais. La salle d'audience contenait encore quelques personnes qui venaient présenter leurs doléances, auxquelles elle accordait toujours une grande importance, que ce fut une histoire de vol ou une simple barrière qui allait sur le territoire d'un autre habitant. Il y avait des priorités, mais il n'était jamais question de faire penser qu'elle était moins touchée par un souci qu'un autre. Elle était la couronne, et de ce fait, elle devait donner une bonne image de celle-ci. En tout cas, elle était une partie de la couronne, rang qu'elle partageait fièrement avec sa jumelle.

Depuis le tournoi à Roches-aux-Runes, les choses s'étaient accélérées. Il y avait eu les fêtes de la nouvelle année, les prétentions de Visenya Targaryen, des morts qui ne cessaient de revenir à la vie, sans pour autant voir l'objectif à cette folie d'une religion. Bien sûr, ces retours commençaient à déranger les habitants, qui se plaignaient du manque d'espace et du manque de vivres. Suite aux différentes allégeances des souverains, le commerce était une matière délicate, et ils devaient utiliser de maintes stratagèmes pour pouvoir s'approvisionner en matériaux et denrées. C'était une doléance récurrente, aujourd'hui particulièrement. Enfin, elle congédia le dernier homme à venir se présenter et Alarra passa distraitement une main sur son visage, l'esprit déjà bien occupé à savoir comment elle pourrait remédier à ça. Elle pourrait demander à Daven Morrigen ; faire un échange équitable de fournitures, matériaux, vivres. Et elle pourrait aussi demander aux Royce, si la cargaison arrivait jusqu'à bon port. Elle ferma les yeux un moment pour au moins calmer ses pensées, et quand elle les rouvrit, c'était une silhouette bien connue qui s'avançait dans la salle. Alarra se leva de sa chaise et un sourire apparut sur son visage tandis qu'elle faisait quelques pas vers son neveu, heureuse de le voir, comme toujours.

-Avez-vous une doléance à présenter, mon prince ? J'étais prête à quitter les lieux, mais j'imagine que je peux faire un effort pour la royauté, blagua-t-elle avec un regard pétillant ─ ses yeux ne l'étaient que rarement, comme si elle avait trop vu la mort pour reconnaître que la vie pouvait être étincelante.

Si Alysanne était froide avec l'entièreté du monde, excepté elle, Alarra avait un cœur bien trop grand pour son corps. Elle aimait profondément, et il ne fallait pas douter du fait qu'elle avait aimé de tout son être son neveu dès qu'elle l'avait vu. Elle avait toujours aimé s'occuper de lui, et quand il grandit, passer du temps avec lui, que ce fut pour l'éduquer ou simplement jouer avec lui, le distraire lorsque certains évènements étaient beaucoup trop longs pour lui. De bien des manières, ils étaient plus proches qu'ils ne le seraient jamais avec Alysanne, et cela la peinait, mais elle connaissait sa sœur. Le monde était un plateau de jeu d'échecs, tout le monde était un pion, et elle était la maîtresse du jeu, sauf pour sa jumelle qui partageait une partie de son âme. Presque par automatisme, elle l'étreignit quand il fut à sa hauteur.

-Comment vas-tu ? Tu as besoin d'aide pour quelque chose ?

S'il était aisé de les confondre, il était pourtant compliqué de confondre les jumelles lorsqu'on se rapprochait d'elle. Et même sans s'en rapprocher. Côte à côte, on voyait aisément que Alysanne était plus à l'aise et qu'elle avait un sourire qui appelait à se méfier, tout en ayant peu envie de savoir ce qui arriverait, si vous veniez à essayer de la berner. Alarra avait un sourire plus sincère et avenant, mais ses yeux étaient toujours plus distants. Elle se tenait toujours à distance des autres, évitait les contacts et portait avec soin des gants, comme si un simple toucher pouvait la briser. C'était presque le cas : elle pouvait presque se sentir se briser quand elle voyait certaines morts. Elle était trop empathique malgré son pouvoir, trop portée vers les autres alors qu'elle était liée à la fin d'une existence. A son plus grand plaisir, elle ne voyait jamais ce qui concernait sa jumelle et son neveu. Oh, la peine que ça aurait été, de savoir comment ça se finirait ! Elle préférait cette ignorance. Elle préférait voir toujours son neveu pour qui il était, et pas le mort qu'il serait. Même si de temps en temps, il avait l'impression que Osmund ne vivait pas réellement, qu'il subissait plus qu'autre chose qui il était.

Visiblement, encore une fois, il subissait les décisions d'Alysanne. Elle secoua légèrement sa tête. De temps en temps, Alarra en voulait à sa jumelle pour la façon dont elle percevait son fils, son mari. Elle ne comprenait pas comment l'aimer elle était naturelle, mais pas la chair de sa chair. Ou si elle l'aimait, c'était d'une façon tordue qui ne lui faisait pas du bien.

-Il est inutile de penser à ce qui pourrait être pour l'instant. La situation est encore trouble et les Targaryen n'ont plus autant de soutien que lorsqu'ils siégeaient sur le trône de fer.

Bien sûr, elle évitait la question. La brune n'était pas la personne la plus dérangée à l'idée de perdre le pouvoir. Elle pouvait vivre une vie de fugitive aux côtés de sa famille, si cela leur permettait de rester ensemble. En vérité, l'idée de se retrouver seule la paralysait. Elle était née accompagnée, et vivre sans sa jumelle était impensable. Elle aimait tout aussi tendrement Osmund - mais elle se demanda si elle irait contre l'avis de sa moitié pour le protéger. Elle s'installa à côté de son neveu et saisit ses mains, les enserrant délicatement dans les siennes, tandis qu'elle cherchait après son regard/

-S'il y a bien une personne en qui je fais confiance pour protéger notre famille, c'est ta mère. Je sais qu'elle n'a pas toujours l'air... L'air de tenir à nous. Mais elle tient vraiment à nous, et elle ne laisserait aucun de nous entre les flammes des dragons. Même si on venait à perdre notre pouvoir, elle trouverait un moyen de nous mettre en sécurité. Tu ne dois pas douter d'elle, même si ça peut être compliqué, expliqua-t-elle tendrement, en espérant que ce fut suffisant ; mais Alarra pourra-t-elle jamais combler tout l'amour qu'un fils n'avait jamais reçu de la part de ses parents ?

La vie octroyait rarement les rôles dont chacun avait envie. Si ça n'avait tenu qu'à Alarra, elle serait restée éternellement dans l'ombre, n'aurait jamais eu des pouvoirs, ne porterait pas des gants la majorité du temps. Elle serait restée l'enfant rêveuse, celle qui regardait le passé avec curiosité pour savoir quoi faire pour l'avenir. Le problème c'était que ces derniers temps, les deux se mélangeait dans un contexte peu favorable à ceux qui étaient de ce qu'elle appellerait le présent ─ bien qu'elle était la première à savoir que le présent tournait vite en passé, le temps pourchassé par la mort. Peu importe le dieu associé à celle-ci, que ce fut l'Etranger, Morghul ou le Dieu Multiface, elle n'en restait pas moins une figure inébranlable. Personne n'échappait à la mort... pourtant, des fidèles de Trios avaient contourné celle-ci. Alarra l'avait senti, et avait vu des bribes du passé qui l'avaient étouffée pendant une semaine entière lors du tournoi. Elle savait que récolter des informations leur permettrait d'en savoir plus pour identifier les morts, mais elles en étaient venues à la plus simple des conclusions : des figures mythiques revenaient, et les légendes surpassaient l'histoire. Les légendes transcendaient le temps, que l'on parla d'Aegon le Conquérant qui unifia les Sept Couronnes, ou Nymeria des Rhoynar qui voyagea avec mille bateaux, sans oublier Arya Stark qui mit fin à la Longue Nuit, les mots les concernant étaient plus que généreux et flatteurs. Qu'était la réalité des Fléaufort, si elles se tenaient à côté de personnes qui dépassaient toutes les attentes ?

Révéler ça serait perdre espoir. Pourtant, la brune était une personne profondément tournée vers l'espoir. Elle ne pouvait croire que ça signerait la fin de leur famille, mais ceci mettrait très certainement fin à leur règne et à la vie... presque facile qu'ils menaient. C'était vrai qu'elle avait souvent voulu d'une vie plus simple, mais que ferait-elle dans ce genre de vie ? Elle ne pouvait imaginer Alysanne mener une existence paisible alors qu'elle avait pris part aux jeux politiques. Quant à Osmund, trop de questions la pré-occupaient à son sujet.

-Bien sûr que nous survivrons. Nous sommes plus difficiles que ça à anéantir. Tu te rappelles pourquoi nos ancêtres ont choisi la porte des Dieux, n'est-ce pas ? C'était parce qu'un d'eux avait été jusqu'à Essos, où il entendit ces mots : il n'y a qu'un seul dieu, et son nom est la Mort. Et que dit-on à la mort ? Pas aujourd'hui. Je ne doute pas du fait que nous pouvons repousser la mort pour nous, Osmund. Tu dois le croire aussi, souffla-t-elle en lui offrant un sourire tendre.

Pourtant, elle sentait une boule d'angoisse se former dans le creux de son ventre. Que feraient-ils des personnes qu'ils laisseraient derrière ? Elle était reine, elle devait protéger son peuple. C'était ce qu'elle préférait, d'ailleurs. Mais tous les sauver, les aider à ne pas rencontre la mort trop tôt ? Elle ignorait comment faire dans l'immédiat, sans que cela ne passa par ployer le genou face à Visenya Targaryen. On racontait que la bête qu'elle chevauchait cachait les astres tellement elle était grande. Qu'est-ce que le feu d'une telle dragonne pouvait faire à une vie déjà en ruine comme Port-Réal ? Il ne resterait plus rien. Alysanne ne voyait pas les choses de la même façon, et Alarra ne savait pas comment lui parler de ça sans venir mettre de la pitié là où ne devait régner que le caractère impitoyable de la politique.

-Tu n'as pas besoin de cette confiance, car moi je l'ai. Le soleil brillera sur nous, peu importe que nous soyons ici ou ailleurs, je te l'assure. Est-ce que j'ai déjà trahi une promesse ?

La réponse était rapide : non. Elle aimait son neveu et s'assurait toujours de tenir ses mots auprès de lui. Elle ne lui promettait pas des choses dont elle était incapable, or, garder sa famille en vie était une chose dont Alarra était capable, malgré son don qui la rapprochait plus de la mort. Au moins, ne pouvait-elle rien voir pour ce qui était de son sang, ce qui lui évitait bien des souffrances. Pour une fois, l'ignorance était une bonne chose. De toute façon, ce qu'elle voyait restait des possibilités, bien qu'elle pouvait plus ou moins voir les circonstances qui menaient à la mort des personnes qu'elle touchait. Cependant, elle n'avait nullement senti les morts revenir à la vie, alors quant à la sûreté de ce qu'elle voyait... Encore une fois, elle était plongée dans le flou.

-J'ai un devoir à te confier, d'ailleurs. Tu devras assister à la prochaine matinée de doléances, en ma compagnie. Tu dois voir qui nous devons aider, et surtout, pourquoi nous devons le faire. On ne te voit pas assez, cela sera mauvais pour ton image. Ainsi, je pourrais t'apprendre quelques choses dont tu auras besoin quand ça sera à ton tour de siéger sur notre trône.

-Il faut bien quelqu'un pour y croire, non ? demanda-t-elle rhétoriquement, un doux sourire sur les lèvres.

Et que pouvait-elle d'autre partager que sa foi envers sa jumelle, envers leur famille et le fait que la nuit ne pouvait pas être éternelle ? Alarra ne fermait pas les yeux sur la situation dans laquelle ils se trouvaient, mais elle ne voulait pas se concentrer sur tout le mal de la situation. Ou, en tout cas, pas face à son neveu qui n'avait jamais été vraiment comme elles. Si Osmund ressemblait plus à Alarra qu'à Alysanne, chacun ne restait pas moins différent et ils n'avaient pas tous les mêmes cartes pour affronter ce qui leur attendait. Elle avait appréhendé son rôle toute sa vie, et avait même espéré ne jamais porter le titre de reine. Pas parce que sa mère l'en pensait incapable et qu'elle s'était pliée à son avis, mais bien parce qu'elle savait que ce rôle était ingrat et ne conviendrait jamais à l'idéaliste qu'elle était. Pourtant, elle faisait de son mieux, et elle gardait cette couronne parce qu'elle savait que si elle, elle ne faisait pas mieux, quelqu'un ferait pire. Tendrement, elle passa une main sur l'épaule d'Osmund, répéta le geste jusqu'à ce qu'il fut réconfortant, un sentiment familier qui montrait qu'elle ne le lâchait pas.

-Nous n'embrasons pas tous de la même façon son destin, mais je suis sûre d'une chose : d'une manière ou d'une autre, ça finit toujours par nous coller à la peau. Ce qu'on porte finit toujours par nous coller, même si ça met du temps.

Alysanne avait toujours été parfaite pour le rôle de reine, et Alarra beaucoup moins, ça n'en restait pas moins une certitude qu'elle avait trouvé une partie de sa voie ainsi, malgré les restrictions que ça apportait. Peut-être que si son neveu voyait ça d'un autre point de vue, il verrait ce qui on attendait de lui, autre chose que ce que Alysanne disait. D'un geste, elle lui indiqua de se lever et lui tendre le bras.

-Viens, allons nous promener dehors. Tu verras que les choses sont différentes, quand on prend le temps de voir ce que voit notre peuple. Nous allons prendre des capes pour ne pas être trop flagrants. Allez, on se dépêche, jeune homme !

Elle le pressa avec un sourire tandis qu'elle demanda à un garde de leur apporte des capes en vitesse. Une fois les capes enfilées, le duo se dirigea dehors, où le peuple de Port-Réal menait péniblement sa vie. Les taxes étaient fortes et les denrées plus rares de jour en jour. L'alliance avec les Royce faciliterait ça, pour un temps, avant qu'un autre seigneur ne trouva une nouvelle idée pour bloquer les ressources des Fléaufort.

-Qu'est-ce que tu vois, Osmund ?

-Ta mère est une personne déterminée qui parvient à ses fins. Je brise peut-être sa solitude et je lui permets, sans doute, de garder en esprit ce qui lui semble futile. Nous sommes nées ensemble pour une bonne raison, tout autant que je pense que tu es né pour une bonne raison aussi. Tu ne l'as juste pas encore découverte, tenta-t-elle avec un sourire.

Mais son neveu semblait difficilement consolable quant à ce qui l'attendait pour son avenir. Elle savait qu'elle ne pouvait pas faciliter la vie d'Osmund plus que cela, elle ne pouvait pas non plus prendre le rôle d'Alysanne. Si elle avait pu lui épargner le mariage et l'enfantement, elle qui ne voyait que le monde comme un vaste plateau de jeux, elle l'aurait fait. Mais la mort l'accompagnait, et puisqu'elle devait la garder en sa compagnie, elle avait laissé ces devoirs à sa sœur, en sachant qu'elle n'apprécierait nullement son sort. Alarra aurait porté plus facilement le rôle de mère, mais en attendant, elle n'était qu'une tante qui ne pouvait remplacer une mère, malgré les traits qu'elle partageait avec elle, malgré leur ressemblance frappante. L'apparence et le sang ne suffisaient pas, il y avait des liens qui se tissaient dans les fibres de la vie, d'une façon imperceptible mais très intrusive, lorsqu'on réalisait cela.

Dehors, elle passa son bras entre celui de son neveu afin de marcher ensemble, progressant dans la capitale. Ses gants la protégeaient de nombreux touchers, et elle se cramponnait à Osmund afin de ne rien voir ; cela faisait longtemps qu'elle saviat qu'elle ne saurait jamais rien sur le décès de ses proches, et ainsi, moins de personnes avaient un contact trop direct avec elle. C'était une visite diurne qu'elle pouvait se permettre uniquement accompagnée, non seulement pour sa sécurité mais aussi ce qui se déroulait dans sa tête, lorsqu'elle voyait l'Etranger.

-J'entends ce que tu dis, et je suis du même avis. Je préférerais éviter cette guerre, et l'alliance avec les Royce aidera bientôt notre peuple. Nous nous préparons au pire, on s'efforce aussi de réfléchir à ce qu'on pourrait faire de meilleur. Maintenant, je voudrais que tu regardes autrement... Tourne la tête. Regarde les détails.

D'un geste de la tête, elle désigna un groupe d'enfants qui courait dans la foule en riant à gorge déployée. Plus loin, il y avait un couple de marchands qui discutait avec des clients, et la conversation semblait prenante. Un homme marchait avec un chat perché sur ses épaules, et des personnes se tournaient avec émerveillement vers lui. Il y avait des éclats de rire quelque part, et des sourires sur les visages de gens qui jouaient à un jeu de cartes ensemble.

-Mais même lorsque les choses semblent aller très mal... Il y a de la vie. Tellement de vie. Nous allons la préserver, cette vie qui grouille toutes ces villes et ces régions. Je te promets que nos efforts ne seront pas vain, que tous ces gens pourront profiter encore après, et qu'on améliorera tant que possible leurs conditions.