for the love of a mother

Alysanne de la maison Fléaufort était une femme singulière. Douée en apparence, elle aimait à organiser des réceptions et recevoir, elle était une hôte exemplaire, toujours souriante et toujours agréable, on la disait juste et droite, jamais dans l’excès. C’était une hôte attentive également. Pourtant très peu pouvait se venter de connaître la reine de la Porte des Dieux. Même dans son entourage proche, elle laissait peu paraître les nombreuses choses que son esprit construisait et préparait. Alarra seule avait accès aux pensées les plus profondes de sa jumelle car elle était sa moitié et elle ne cachait jamais rien à sa sœur. Le contraire était-il vrai ?
Revenue du tournoi, il lui fallait agir désormais. Elle avait vu des choses qui l’inquiétaient, elle avait vu chez ses morts une force et une puissance bien supérieure à la leur. Pas un seigneur n’était parvenu à remporter une épreuve face à eux et seul Lyonne Greyjoy avait semblé leur tenir tête dans les joutes. Elle pensait et repensait tout cela, l’échiquier mental qu’elle se dessinait prenait forme. Elle plaçait à mesure des jours, les pions jusqu’alors inconnus mais ils restaient imprévisibles. Lorsqu’elle plaçait les Crane ou les Morrigen, elle voyait leur liberté de mouvement, elle voyait comment ils pouvaient agir et jusqu’où ils pouvaient se déplacer sur le plateau mais ce n’était pas le cas avec les morts. Particulièrement les dragonniers. Ils pouvaient survoler le plateau ou le renverser si aisément. Tout comme la pièce du dragon dans une partie de cyvosse. Là était son erreur. Elle avait représenté le monde tel un plateau d’échec mais c’était au cyvosse qu’ils jouaient. Il lui fallait tout reprendre au début, réévaluer les mouvements de chacun et l’état même du plateau. Et il fallait l’agrandir pour le faire à l’échelle des Sept Couronnes.

Deux lettres entre ses doigts, traversa le jardin qui entourait la demeure des Fléaufort, passant devant son fils sans même le remarquer. Elle confia les parchemins à l’un des gardes et lui demanda précisément d’aller remettre la première au roi Daven et la seconde au mestre pour qu’il l’envoie par le biais d’un corbeau à Accalmie. Il devenait urgent de former de nouvelles alliances et pour cela, un mariage serait nécessaire. Un pour lequel elle travaillait durement.
Ce ne fut que lorsqu’il se mit devant elle, qu’il l’arrêta et s’adressa à elle qu’elle notifia le présence d’Osmund et qu’elle tourna la tête dans sa direction. Son fils était au cœur de ses projets et pourtant, elle ne lui en avait pas dit un mot encore. Là se trouvait l’un des plus gros défauts d’Alysanne. Les personnes qui l’entouraient n’étaient que des pions dans un jeu qui les dépassaient. Elle manquait d’une certaine compassion qu’elle savait uniquement feindre et elle les considérait peu comme des êtres humains. Pourtant, elle n’ignorait pas comme le faire puisqu’elle le faisait avec Alarra mais elle voyait les choses en grand, elle voyait le monde tel qu’il était et le sentimentalisme ne la mènerait pas loin. Il fallait qu’elle soit en mesure de prendre des décisions difficiles, certaines décisions que d’autres n’avaient pas le courage et prendre et parfois, comme dans une partie d’échec ou de cyvosse, il fallait sacrifier certains pions pour mieux gagner la partie. Ressentait-on de la peine lorsqu’on sacrifiait un pion de bois ou d’opale ? Il en était de même avec les êtres humains. Elle ne pouvait pas se permettre de ressentir la peine de leur mort.
Pour son fils, il n’était pas différent des autres. Il était un pion, un instrument qu’elle utilisait quand elle en avait besoin. Ce n’était pas qu’elle était incapable d’éprouver de l’amour pour lui mais elle n’était pas faite pour être mère, elle ne l’avait jamais été. Elle l’était devenue par besoin, en pensant à l’avenir et maintenant, elle savait que ce besoin était à nouveau présent, leurs lignées pouvaient trop facilement s’éteindre et il lui fallait avoir un second enfant avant qu’elle ne passe l’âge. Ensuite, elle confierait à Osmund la charge de continuer leur lignée au plus vite, pour les empêcher de s’éteindre.

« — Osmund, j'ai juste... »

Elle réfléchissait, songeait aux Sept Couronnes qu'elle transformait mentalement en un plateau de cyvosse et alors qu'elle songeait, son regard s'arrêta réellement sur son fils, comme si elle le voyait pour la première fois.

« — Il me faut une carte des Sept Couronnes. Apporte-en une dans le grand salon, je pourrais avoir besoin de ton aide. »

Pour la première fois, elle venait inclure son fils dans ses réflexions et ses machinations. Il fallait qu'elle voit s'il avait encore beaucoup à apprendre, il fallait qu'elle s'assure qu'il ait les connaissances nécessaires pour prendre sa suite et celle d'Alarra quand le moment viendrait. Et peut-être qu'il viendrait plus vite que prévu sur une guerre se profilait. Il lui fallait prévoir et se parer à toutes les éventualités.

Il était temps pour la souveraine jumelle de la Porte des Dieux de revoir ses plans, il lui fallait replacer ses pions différemment et sur un plateau plus grand. Elle avait besoin d'y voir plus clair alors que tout était si confus, qu'elle ignorait où placer ces morts parmi les vivants. Puisqu'Osmund était là, puisqu'il voulait savoir ce qui se tramait, Alysanne n'avait pas hésité à lui demander son aide, sous la forme de quelques ordres et elle ne s'attendait pas à une réaction si vive de la part de son fils. À quoi s'attendait-il de sa part ? Elle ne s'était jamais montrée sentimentale avec lui, elle conservait une distance entre eux depuis toujours car il n'était qu'un pion qu'elle se devait de déplacer et elle ne pouvait pas le voir autrement. Il était une progéniture, un héritier qu'elle avait mis au monde pour asseoir son pouvoir politique et s'assurer un héritage mais jamais elle n'avait pris soin de lui comme une mère était supposée le faire avec son enfant, elle en avait été incapable. Même lorsqu'il était bébé, elle s'était toujours montrée indifférente aux cris et aux pleurs de l'enfant.
La tête d'Alysanne se pencha sur le côté alors qu'elle l'écoutait, il s'énervait mais elle restait insensible à son agacement et son haussement de ton. Ses bras se croisèrent sous sa poitrine tandis qu'il lui rappelait qu'il était son fils, pas seulement son sujet. Il était rare qu'elle porte attention à lui mais à cet instant, elle voyait son potentiel, elle constatait combien elle le connaissait peu. Habituellement, il n'osait jamais lui répondre de cette façon et alors, quand il eut fini son discours, elle hocha la tête de haut en bas.

« — As-tu fini ? »

Son sourcil se haussa et elle posa une main sur son épaule.

« — Tu m'as demandé de te parler, tu veux savoir ce qu'il se passe, n'est-ce pas ? Pour cela, il me faut une carte des Sept Couronnes et je te montrerai. »

La ton de la reine est ferme, clair et posé, elle ne se laisse pas perturber par l'agacement dont il fait preuve, elle ne l'a jamais fait avec quiconque à l'exception d'Alarra et cela est une force pour elle. Elle est capable de rester de marbre lorsque cela est nécessaire.

« — Tu es mon héritier et tu as raison, tu as le droit de savoir ce qu'il se passe. Retrouve-moi dans le grand salon avec une carte. »

Sa main relâcha son épaule et sans attendre sa réaction, la reine se dirigea finalement vers la pièce où elle avait juré d'attendre son enfant, la chaire de sa chaire pour laquelle elle éprouvait de l'affection malgré tout. Une affection qu'elle ne montrait pas, qu'elle ne prononçait pas à voix haute et qu'elle éprouvait différemment de toute autre mère mais elle était pourtant réelle.
En arrivant dans le salon, elle tira une chaise autour de la table ronde où elle pourrait montrer ce qu'elle désirait à Osmund et elle rassembla ses longs cheveux de jais sur son épaule droite et prit place sur la chaise. Ses mains se posèrent sur la table, ses yeux se fermèrent et dans son esprit, elle vint remettre en place les pièces d'échec sur un plateau de cyvosse et prévoir les prochains mouvements de leurs alliés tout comme leurs adversaires, particulièrement leurs adversaires. Elle les plaçait, elle les reliait des mêmes fils rouges qu'à son habitude mais la vision ne changeait pas, elle peinait à savoir où placer les dragonniers, à deviner leurs ambitions et leurs prochains mouvements.

Mais avec la carte, Osmund allait l'aider et c'était pour cette raison qu'elle l'attendait impatiemment.