❝ have you ever screamed out in the dark? ❞ ft. Daemon & Rhaenyra

Il y avait longtemps, très longtemps, que Daemon n'avait pass ressenti une telle légèreté. Les miettes volées durant le voyage à Castral Roc paraissaient bien pâles à côté de cet équilibre que Rhaenyra et lui semblaient avoir retrouvé depuis le tournoi. Cela n'effaçait certainement pas ses peurs. Il arrivait encore souvent au prince vaurien de se réveiller au milieu de la nuit, absolument terrifié par les visions que son esprit lui avaient créé, ramenant Rhaenyra contre lui, la serrant aussi fort qu'il le pouvait, sa main trouvant la chaleur de son ventre qui n'avait eu de cesse de s'arrondir encore, ses doigts traçant quelques cercles pour répondre aux mouvements du bébé qu'il pouvait parfois sentir.
Leur enfant... Un enfant qui ne connaîtrait rien du chaos et de la souffrance qu'avait été leur vie précédente, qui naîtrait sur Essos et qui ne connaîtrait pas la guerre qui s'apprêtait à frapper de nouveau Westeros ou celle qui avait un jour tué ses parents, ses frères et ses sœurs.

Daemon était certainement toujours effrayé mais malgré tout, il n'avait pas été capable de continuer à sceller son cœur à l'amour paternel qu'il avait toujours eu pour chacun de ses enfants, même ceux qui n'était pas de sa semence, jusque-là.
Il devinait que le jour de la naissance serait un tout autre combat, une toute autre misère pour lui qu'il se devrait de contrôler cette fois mais pour l'instant, il renouait doucement avec le bonheur que Rhaenyra lui apportait avec leurs enfants.
Ce matin-là, ils avaient décidé d'aller voler avec Vermillon. L'immense créature semblait plutôt bien réagir à la présence de Rhaenyra mais Daemon restait tout de même sur ses gardes, il n'était point aussi docile aux charmes de sa nièce-épouse qu'avait pu l'être Caraxes. Pas encore, du moins.
Comme il aurait aimé partager cela avec Aegon également... Lucerys avait déjà revendiqué son propre dragon de nouveau -non sans amener une inquiétude au creux des entrailles du prince vaurien en songeant à la mort de ce doux garçon- et Baela... Elle avait apparemment passé l'âge de voler avec son père.
Mais Aegon refusait, lui, catégoriquement de s'approcher de la bête. Daemon n'avait jamais insisté. Il comprenait, sans réellement le pouvoir, que son fils était traumatisé. Mais il y avait en lui, ces souvenirs atrocement joyeux, d'avoir partagé des vols joyeux avec son fils durant ses premières années d'existence et il donnerait tant pour pouvoir le faire à nouveau, pour parvenir à ramener cette étincelle dans ses yeux quand il s'agissait des dragons. À la place, il était forcé d'endurer le dégoût, la peur et... La déception ?
Il lui semblait en tout cas que ce soit bien cette dernière émotion qu'il voyait parfois dans les yeux d'Aegon lorsque le sujet des dragons était amené devant lui. Plusieurs fois même, il l'avait surpris à lui jeter quelque bref coup d'œil, comme inquiet.

Si cela le peinait, Daemon ne pourrait jamais être déçu. Il comprenait. Il avait ses propres traumatismes et son fils, en avaient tant aussi pour sa part... Il était cependant terrorisé dans sa chaire de comprendre qu'Aegon puisse craindre une telle chose de sa part.
Mais il n'était point aisé pour lui d'aborder un tel sujet avec son fils. Il le ferait certainement mais il n'était pas certain que le moment soit arrivé.
Ou peut-être était-il seulement lâche encore une fois et retardait le moment où il lui faudrait de nouveau renoncer à la carapace du prince vaurien.
En attendant, il profitait de la présence de sa femme et plus encore, des vols qu'ils partageaient ensemble. Daemon renouait, avec le plaisir de voler simplement pour voler et non pas pour se battre, non pas pour survivre ou tuer mais simplement pour l'euphorie du vent dans son visage et ses cheveux, pour la sensation d'être absolument libre et puissant, pour le partage unique qu'il avait avec Rhaenyra à ce moment-là.

La journée était déjà bien avancée lorsque Daemon et Rhaenyra abandonnent Vermillon pour revenir à pieds à la forteresse. Sa main irrémédiablement nouée à celle de sa femme, Daemon se sent toujours euphorique du vol et un éternel sourire en coin est placé sur son visage alors que le chateau est en vue de nouveau.
Daemon remarque à peine la silhouette qui les attend, ne se serait-il pas rapproché qu'il lui aurait à peine accordé un regard. Mais Rhaenyra le fait et il ne faut guère longtemps au jeune homme pour se présenter.
Comme un abruti, il reste immobile, fixant ce jeune garçon et la façon dont Rhaenyra l'accueillait. Il pouvait déceler dans son visage, les mêmes traits que l'enfant encore si jeune qu'il avait laissé derrière lui lorsqu'il était parti pour Harrenhal et qu'il n'avait plus jamais revu jusqu'à aujourd'hui.
Viserys. Son adorable Viserys.
Daemon avait aimé tous ses enfants. Tous. Mais Viserys... Viserys était une douce mélodie qui résonnait à ses oreilles si familièrement. Son second fils, un second et cinquième fils. Un dont l'œuf était resté pierre muette. Nommé d'après son frère, le seul être qu'il ait aimé peut-être plus que Rhaenyra et leur famille... Ce n'était pas du favoritisme, ce n'était pas de la préférence, c'était un lien particulier qu'il ne saurait nommer ou expliquer entre un père et son fils.

C'était d'autant plus particulier que Viserys avait à peine trois ans lorsqu'il avait été perdu en mer, séparé de sa famille et gardé captif à Lys. Et lorsqu'il avait été retrouvé et ramené, Daemon et Rhaenyra étaient morts depuis longtemps...
Il était déchirant de faire face à cet homme et de reconnaître en lui l'enfant pour qui il n'avait pas pu être là, qu'il n'avait jamais vu devenir cet homme, de même que pour Aegon mais sans doute plus cruellement encore, du moins pour Daemon qui avait été séparé de ses enfants presque l'entièreté de la guerre.
Très franchement, le prince vaurien serait sans doute resté en retrait, immobile et paralysé si Rhaenyra n'avait pas réagi pour lui, attrapant son poignet pour l'inciter à venir prendre sa place dans cette étreinte lui aussi.

Sa main embrasse la joue de son plus jeune fils, il l'observe un instant avant de déposer son front contre sa tempe tandis que sa main le serre contre eux.

« We missed you dearly. »

Il semblait si futile de laisser ces quelques mots s'échapper. Si futile. Pourtant ce n'était que la vérité et Daemon n'était pas capable, à cet instant, de laisser quoi que ce soit d'autre échapper à ses lèvres.

L'espoir n'était pas inexistant. Daemon avait beau se dire à lui-même qu'espérer ne pourrait qu'être douloureux, il était bien incapable de ne pas le faire.
Après tout, Lucerys, Aegon et Baela leur avaient déjà été rendus... Sans mentionner ses parents et sa grand-mère, leurs ancêtres ou leurs descendants, alors pourquoi cela serait-il si fou d'espérer que le reste de leurs enfants finissent par leur revenir ? Et même pourquoi pas, son frère ?
Cependant, lorsqu'il songeait à ses enfants, Daemon songeaient à eux comme les enfants qu'il avait laissé derrière lui en mourant justement. Pour lui, Viserys était encore un bambin de trois ans et pourtant, ce n'était pas le cas.
Viserys avait eu le temps de devenir un homme, de devenir père lui-même, grand-père même avant de trouver la mort et c'était cet homme qui leur faisait face à cet instant, non plus l'enfant perdu en mer.
Daemon se sentait faiblir face aux flots d'émotions qu'il sentait monter en lui, tandis qu'il tenait Rhaenyra et leur fils dans ses bras. Cette faiblesse persistante l'agaçait fortement mais il devinait qu'il n'allait avoir d'autre choix que de s'y habituer. Car il avait beau être le prince vaurien, Daemon Targaryen n'en restait pas moins un père.

Lorsque Viserys finit d'ailleurs par se reculer, il serait presque tenté de l'en empêcher, de le garder encore contre eux. Comme il n'en fait rien toutefois, il se contente d'observer le visage du dernier de ses fils.
Ses traits sont un mélange parfait entre Rhaenyra et lui et indéniablement, il ressemble également à Aegon. De quelconques paroles se meurent avant même de passer ses lèvres, Daemon ne sait quoi dire en vérité. Que dit-on à un fils que l'on a si peu connu mais tant aimé ? Viserys le fait pour lui et Rhaenyra parle pour eux deux, il le sait.
Sans nul doute, sa nièce-épouse est aussi troublée et émue que lui mais Rhaenyra a souvent eu une faculté à s'adapter plus large que lui. À n'en point douter, cela était une des raisons pour lesquelles elle aurait fait une bonne souveraine.

Son regard rivé sur les mains nouées de son fils et de son épouse, Daemon ne remarque pas immédiatement que Viserys l'observe. Il ne relève les yeux qu'en entendant le son mélodieux du haut valyrien prononcé par Viserys.
Le sourire qui se creuse au coin des lèvres du prince est autant pour cette langue qu'il parle parfaitement et la fierté qui en découle que pour l'anecdote qu'il lui donne.
À vrai dire, Daemon s'était demandé si son petit-fils avait été nommé ainsi pour lui, il devait l'admettre. En avoir la confirmation réchauffait son cœur et faisait naître une fierté en lui presque honteuse.
Sa propre main, il vient la déposer sur la joue de son fils brièvement.

« I'll admit... I wondered. »

Aegon leur avait laissé entendre qu'il avait souvent parlé d'eux et de leur famille à son frère, mais comment savoir si Viserys avait véritablement quelques souvenirs, s'il avait toujours de l'amour pour ses parents après avoir été un otage, loin d'eux, pendant si longtemps avant de revenir pour les découvrir morts ?

« Kirimvose. » ("Thank you.")

Daemon laisse retomber un peu sa main, non sans effleurer une dernière fois sa joue.

« It seemed to be a fine name for him. I'll take that... Naerys iksin syt aōha muña ? » ("Naerys was for your mother ?")

Daemon ne pouvait qu'imaginer ce que Viserys avait pu vivre et ressentir, lui qui était si jeune quand ils l'avaient perdu, quand la mer le leur avait enlevé. S'il avait su que son fils respirait encore, qu'il se trouvait otage dans les Cités Libres, Daemon aurait réduit en cendres chacune d'entre elles jusqu'à ce qu'il retrouve son enfant.
Mais il n'avait pas su. Personne n'avait su et lorsque Viserys avait fini par être ramené chez lui, sa famille lui avait été arrachée, presque tous avaient péri. Et si Aegon et ses sœurs n'avaient pas été là, il aurait pu ne pas savoir grand chose d'eux, si ce n'était ce que les livres racontaient...
Il réprima l'idée que Viserys aurait pu être ramené chez lui pour affronter une mort certaine si ni Aegon, ni ses filles n'avaient survécu, si l'Usurpateur n'avait pas été tué lui aussi... Il n'osait même pas imaginé ce que les Verts auraient pu faire à son fils s'ils avaient gagné la guerre...
Mais est-ce que la vie de son second fils avait été plus joyeuse pour autant ?
De tout ce que Daemon avait lu, de tout ce qu'il savait, il savait bien que non... Et malgré cette joie qui semblait définir leur fils de les retrouver à cet instant, Daemon pouvait le voir sur les traits de son visage, comme il semblait porter un poids, une tristesse inébranlable.
C'était les traits de sa mère qu'il portait en grande partie, mais cette expression hantée le faisait tant lui ressembler au fond aussi.

Lorsqu'il confirme qu'il a nommé sa fille d'après sa mère, Daemon laisse son visage s'assombrir un peu, car il sait. Rhaenyra sait aussi. Lorsque leurs fils étaient devenus père, le royaume était encore trop divisé, il saignait encore trop de la guerre pour permettre que les noms de leurs enfants rendent hommage à leurs morts.
Aegon le leur avait dit, il leur avait confié durant cette première nuit après son retour qu'il avait tant voulu nommer son fils Jacaerys et que Viserys l'en avait dissuadé.

« We know... »

Daemon chuchote, avant que Rhaenyra ne l'encourage à retourner à l'intérieur avec eux, à s'y installer confortablement pour qu'ils puissent y parler ensemble et ils s'y dirigent donc, Daemon fermant la marche.
Son esprit semblait lourd de ces retrouvailles, mais si heureux à la fois. Il peinait à croire que quelques lunes auparavant, Rhaenyra et lui pleuraient encore l'absence de leurs enfants quand la garce verte les avait tous retrouvé, qu'ils se déchiraient dans leur colère et leurs désaccords.
Il n'osait toujours y croire totalement, à un futur, au retour du reste de leurs enfants mais le retour de Viserys repoussait encore un peu la peur, luttait contre cette dernière.

Perdu dans ses pensées, il mit quelques instants à relever les yeux vers Viserys lorsque ce dernier l'interroge finalement, et un léger sourire s'installe sur le coin de ses lèvres à ce souvenir.

« Yes. I took both of you. But Aegon seemed more comfortable on Syrax than you were on Caraxes. »

Daemon regrette à cet instant l'absence d'une épée à sa taille -comme il regrette régulièrement l'absence de Noire-Sœur de toute façon- car il ne sait où mettre ses mains, il ne sait pas quoi en faire tandis qu'il se sent scruté par son propre fils, un inconnu en vérité. Et au fond de lui, il pleure cette terrible vérité. Son fils, qui tenait autrefois dans le creux de ses bras, qui gazouillait de contentement dès qu'il l'emmenait voler avec lui, était aujourd'hui un homme accompli et il ne connaissait rien de sa vie, si ce n'était ce qu'il avait lu dans les livres. Trop peu à son goût...

« I used to think you'd be a delighted dragonrider. »

Son œuf n'avait jamais éclos mais Daemon avait toujours pensé que Viserys n'aurait aucun mal à en revendiquer un. Malheureusement, il n'en avait jamais eu l'occasion...

« Have you been back for a long time ? »

Il préfère l'interroger en retour plutôt que de se baigner dans le silence. Pourtant, Daemon l'aurait volontiers fait. L'envie de fuir n'était jamais loin. Elle était si forte et s'il y résistait, c'était seulement parce qu'il y avait cette part de lui qui au fond, n'avait aucune envie d'être séparé de nouveau de l'enfant dont il avait eu tant de mal à faire le deuil autrefois, comme pour tout ses frères, comme pour sa sœur. Comme pour son propre frère, finalement...