in this world, it's just us (ft. Sansa)

Talia tenait bon en cette semaine de tournoi. Elle n'était toujours pas à l'aise avec la violence gratuite, et trouvait ce genre d'événement inutile si ce n'était pour vanter l'égo de la majorité des hommes présents, mais au moins la compagnie était bonne. Très bonne. Quand elle avait l'occasion de rejoindre Lucerys dans les gradins, elle se plaçait avec plaisir à ses côtés. Le reste du temps, elle le passait majoritairement avec son amie Sansa, qu'elle était contente de retrouver, sincèrement ; même si elle sentait l'injustice de ne pas avoir sa famille. Elle était de nouveau en vie pour une raison qui la dépassait, qu'elle ne comprenait pas. Pourquoi elle quand elle s'était contentée de servir presque toute sa vie ? Elle avait servi Ramsay - contre son gré, certes, mais elle l'avait servi. Elle avait eu un peu de temps libre à Mont-de-Fer, mais leur demeure avait été ravagée par la guerre contre les Whitehill. Elle avait mis toute son énergie pour rebâtir quelque chose pour sa famille, avant que la Bataille de Winterfell ne se produise, avant que Rodrik ne finisse par marier Sansa Stark et devenir son roi consort. Égoïstement, au retour de Mira et en sachant Ryon assez mature pour prendre des décisions, elle les avait laissés pour servir quelqu'un d'autre. Elle n'avait aucun regret à avoir été la dame de compagnie de Sansa, loin de là. Elle avait réellement été inspirée par cette puissance de la nature qui se tenait encore debout malgré ce que les autres lui avaient infligée, et se sentait liée à elle par leurs expériences avec Ramsay. Cependant, elle n'avait jamais pris de grande décision, n'avait jamais guidé une armée, n'avait jamais dirigé un quelconque endroit. Tous ces mérites revenaient au restant de sa fratrie, pas elle. Mais c'était elle qui était en vie, et pas eux.

Même si elle n'en parlait pas, cette vérité la pesait. Elle se demandait constamment ce qu'elle devait faire, qui elle devait être, et ses questions ne s'évaporaient de son esprit que quand elle était aux côtés du Verlaryon. Aux côtés de Sansa, celles-ci réapparaissaient, bien que son amie fut la personne la plus avenante et gentille avec elle. Elle tentait de la ménager le plus possible en connaissant son certain malaise pour les tournois et compagnie, et Talia appréciait chacun de ses gestes. Et elle notait aussi tout ce que son amie faisait, notamment  concernant les hommes. Oh, elle savait bien que son mariage avec Rodrik n'était pas un mariage d'amour ; ils se respectaient, s'appréciaient, mais ne s'aimaient pas comme un mariage le demandait. Elle n'était pas offusquée que Sansa zyeuta sur quelqu'un d'autre, elle était même ravie pour son amie.

Et ne raterait pas l'occasion pour la taquiner à ce sujet, d'ailleurs. Elle attendait juste le même opportun, et elle ne tenait pas à le faire dans les gradins où il y avait trop de monde qui pourrait tendre l'oreille. A la place, elle attendit la fin de la journée, qu'elles se trouvèrent toutes les deux au divertissement de la soirée. Il s'agissait d'une pièce de théâtre qui retraçait la Bataille de Winterfell, à laquelle Talia n'avait pas participé. Elle était restée à Mont-de-Fer, seule dans ses souvenirs. Rodrik était un guerrier alors il s'était rendu à Winterfell, et Ryon n'était pas à ses côtés. Elle avait porté une épée pour se donner du courage, mais elle leur siège avait été épargné, à sa plus grande satisfaction. Elle n'avait entendu que les récits des survivants et face à la pièce de théâtre, elle était un peu déroutée. Cela ne ressemblait pas tellement à ce que son frère ressassait. La fausse brune avait toujours cru aux paroles de Rodrik, la personne en qui elle avait fait le plus confiance tout au long de sa vie. Assise à côté de l'ancienne reine, un sourire en coin apparut sur son visage à l'idée de la discussion qu'elle allait lancer entre elles. Elle se pencha alors un peu vers la rousse, le regard un peu plus brillant qu'il ne l'avait été depuis son retour.

-Alors, tu donnes tes faveurs à un Targaryen, maintenant ? J'ignorais que tu changerais si soudainement de camp, la taquina-t-elle, un sourire plus affirmé sur son visage.

Si elle n'était pas une grande fan des tournois, en prime de n'avoir pas vraiment de proche à soutenir si ce n'était les quelques Stark présents pour certains épreuves, elle refusait de laisser Sansa seule. Certainement qu'elle se raccrochait à la seule personne qu'elle connaissait réellement en pensant que ça serait suffisant pour cette seconde vie. Pourtant, est-ce que Sansa accepterait encore une fois de l'avoir en dame de compagnie, de toujours la voir marcher dans son ombre, dans le Nord ? Ne rêverait-elle pas plutôt d'une toute autre vie, sans Talia, sans la neige de Winterfell, sans le rappel de ce qu'elles avaient toutes les deux vécu ? Elle imaginait que cette option serait plus sage. De s'éloigner de ce qui rappelait des mauvais souvenirs. Mais jusqu'à maintenant, la jeune femme avait eu du mal à imaginer sa vie ailleurs qu'aux côtés de son amie. Elle vivait à Mont-de-Fer, certes, mais l'endroit n'était plus réellement sa maison depuis que Ramsay avait torturé et tué Arthur Glenmore devant ses yeux. Elle était toujours hantée par ce souvenir qui l'empêchait de dormir la nuit, la faisait toujours retourner dans les bois ; et avec ça se mélangeait toutes les autres personnes qu'elle avait vu périr sous les tortures de Ramsay. Parce qu'une fois qu'il avait commencé à lui montrer, il n'avait jamais arrêté. Toujours à la traîner jusque là où il torturait sa cible du moment, il ne s'arrêtait jamais, même lorsqu'elle était en pleurs, à genoux, en train de le supplier d'arrêter. Mais la plupart du temps, il les tuait. Et avec chaque mort, il achevait un peu plus Talia.

Mais ce genre d'histoire, il n'y aurait jamais aucune pièce de théâtre pour la raconter. Aucune ne parlerait de ceux qui avaient survécu à Ramsay, et personne ne parlerait jamais du nombre de femmes qui se sont battues pour ne pas subir leur destin. Talia avait échappé au mariage et l'enfantement, mais elle n'avait pas non plus vécu librement. Elle regarda la pièce avec un petit sentiment d'injustice, bien qu'il était minime face au soulagement qu'elle sentait en voyant que la rousse, elle, semblait bien s'amuser et ne pas s'offusquer des nombreuses libertés prises par rapport à la réalité des faits. Elle emprunterait bien un peu de sa légèreté à Sansa, mais cela serait égoïste après tout ce qu'elle aussi avait vécu. La Forestier était assez grande et assez forte pour porter ses propres fardeaux. Mais quelque chose en elle se détendit assez pour qu'elle trouva le courage de questionner Sansa à propos du Targaryen qui avait demandé ses faveurs, et à qui, surtout, elle avait dit oui. Ce potin sembla bien plus intéressant que la pièce de théâtre, qui n'était clairement pas aux goûts de la fausse brune.

A la réponse de la rousse, elle arqua un sourcil et fit un petit "Hmm" tandis qu'un sourire moqueur apparut sur son visage. Peut-être qu'une personne qui ne la connaissait pas aurait pu croire à ce qu'elle racontait, qu'elle n'appréciait nullement celui à la chevelure argenté et qu'elle allait très certainement lui faire payer ce geste plus tard, parce que Sansa maîtrisait les codes des nobles et de la cour comme peu de personnes savaient le faire. Mais Talia ne crut nullement à ce qu'elle lui dit et un plus grand sourire encore s'afficha sur son visage.

-C'est sûr qu'il a l'air insupportable, tellement que tu as gardé la fleur qu'il t'a donnée et tu te pavanes depuis que tu l'as. Mais prétendons qu'il t'insupporte, nous savons toutes deux que tu as assez de caractère pour dire non, malgré ta politesse. Je ne crois absolument pas tes derniers mots, termina-t-elle, un brin espiègle.

Mais bien sûr, celle qui fût reine du Nord n'allait certainement pas laisser la plus jeune sœur Forestier s'en sortir. Avant tout, elle murmura un petit "Désolée" pour le spectateur qu'elles avaient visiblement dérangé en parlant et espéra que ce fut une distraction suffisante pour Sansa, mais non. Elle l'attaquait en plein dans la timidité de Talia, qui devint rouge encore une fois. Décidément, à ce stade, ils pourraient bientôt la planter dans un jardin et elle donnerait un tas de tomate, vu qu'elle semblait en devenir une dès qu'on énonçait le Velaryon. Elle prétendit donc plutôt se concentrer sur la pièce de théâtre qui semblait prendre encore plus de libertés, et bientôt, ce fut trop insupportable pour prétendre qu'elle préférait cela à plutôt parler.

-Tu connais tous mes amis, tu es ma seule amie ! Luke ─ Lucerys, pardon, n'est pas mon ami. Enfin, pas vraiment. Je l'ai juste aidé quand il est arrivé à Mont-de-Fer. C'était mon devoir de m'assurer qu'il puisse repartir, en bonne santé, jusque sa destination finale, qu'elle balbutia mais clairement, elle n'était pas confiante sur ce qu'elle disait. De toute façon, il est retourné auprès de sa famille à Peyredragon et il est fort probable que nous ne nous recroisions jamais après ce tournoi, il est donc inutile que je m'applique à me lier d'amitié avec lui, qu'elle termina avec un air plus sévère.

Elle connaissait Sansa comme elle connaissait Rodrik. Elle avait passé plus d'années avec la rousse qu'avec la plupart de sa famille, d'ailleurs. Son lien avec elle avait réussi à combler certains manques, à faire oublier le fait qu'il lui manquait sa moitié depuis la mort de son jumeau. Il y avait eu de nombreux jours compliqués entre elles, lorsque la maladie était apparue, lorsque les décès s'enchaînaient au point que faire son deuil était impossible. Les complications de la politique du Nord rendirent parfois les conversations tendues. Cependant, Talia ne pouvait qu'admirer et être fidèle à Sansa Stark, pour tout ce qu'elle était ─ et surtout, tout ce qu'elle n'était pas. Au début, elles avaient du mal à savoir comment se comporter toutes les deux. Chacune avait vécu des choses horribles de la main de Ramsay, et il n'était pas aisé de le savoir, de toujours se rappeler de ce fantôme sanguinaire qui avait longuement continué à hanter les cauchemars de Talia. Cependant, elles avaient nourri leur lien d'une façon si sincère que la blonde n'avait pu que succomber à Sansa à son tour, et le reste était venu naturellement. Il y avait peu de choses qu'elle ignorait sur les années passées à Winterfell lorsque son frère était en vie et marié à la reine du Nord. Le devoir avait primé sur tout le reste pour eux, et elle avait trouvé cela légitime à leur époque.

Mais elles n'étaient plus à leur époque. L'ancien devoir de Sansa n'était plus nécessaire, ni le sien. Mais c'était quelque chose d'autre que le devoir qui empêchait Talia de s'imaginer ailleurs que dans le Nord, à attendre désespérément un miracle. C'était la peur.

-Tu ne dois rien à ma famille, et encore moins à moi. Rodrik avait conscience de la nature de votre mariage, et de toute façon, il n'est pas là pour donner son avis, murmura-t-elle finalement en jouant nerveusement avec ses doigts. L'avenir du Nord ne repose plus sur toi, tu pourrais aller ailleurs et rencontrer d'autres personnes. Vous autres, Stark, êtes durs à séparer pour la vie.

La blonde était persuadée que si les Stark s'étaient retrouvés une fois, ils se retrouveraient encore et encore. Les années les avait chacun obligés à faire des choix, ainsi qu'à porter ses propres responsabilités, mais il était courant que lady Arya vienne avec ses enfants, et que Jon envoya des corbeaux afin de donner de ses nouvelles aussi. Dans ces moments, jamais la reine ne semblait si heureuse et sereine. De temps en temps, elle jalousait ce lien. Mira et Ryon n'étaient pas à Winterfell, et si elle éprouvait beaucoup d'amour pour Rodrik, ce frère aîné qui l'avait toujours protégée, elle n'avait jamais pu oublier la perte d'Ethan. En vérité, elle ne pouvait oublier aucune mort qu'elle avait vu durant la période où elle avait été la servante de Ramsay.

-Il l'est. Je ne remets pas en doute qui il est, se rattrapa-t-elle avant de soupirer et baisser la tête, regardant ses pieds. Combien de temps avons-nous passé ensemble, Sansa ? Je t'ai plus connue que la majorité de ma fratrie. Quand je me suis retrouvée seule, j'ai passé des lunes à me demander pourquoi j'étais encore en vie alors que je n'avais plus rien. J'étais juste chanceuse d'avoir encore Theon, et qu'il avait encore besoin de moi. Mais revivre ça une seconde fois ? M'attacher à des personnes pour les voir mourir ? Je ne peux pas le refaire. Je ne le supporterai pas, conclut-elle en reniflant légèrement. Si tu veux bien m'excuser, cette pièce de théâtre est ridicule, incorrecte et les comédiens sont très mauvais en prime, qu'elle lâcha en se levant discrètement pour ne pas gêner les autres spectateurs, en quête d'un coin où elle pourrait ruminer tranquillement, où ça serait moins douloureux de réaliser que son existence ne se résumait à rien du tout, si ce n'était par l'existence des autres qui avaient eu besoin d'elle à cause des circonstances.