"Little sister & big brother" Ft. Alys Risley

L'air du Val lui faisait le plus grand bien. Trystan n'avait pas quitté le Bief depuis qu'il y était retourné pour prendre ses fonctions de suzerain à la mort de Donnel et cela faisait quelques lunes à présent.
Ce mariage était l'occasion rêvé pour lui d'oublier momentanément les problèmes qui secouaient sa région. L'on pouvait bien dire que les guerres s'étaient apaisées, mais certaines tragédies arrivaient encore de-ci de là. Sans parler de l'état d'esprit et financier du Bief. Ou de son propre esprit qui était accaparé par une certaine jumelle.

Le Val ferait peut-être du bien à Aliénor également et leur permettrait peut-être de profiter également des festivités. En trois ans de mariage, Trystan n'avait jamais réussi à ressentir un amour passionnel pour son épouse mais elle avait toute son affection.
Pourtant, il sentait un gouffre entre eux depuis le moment où ils avaient prononcé leurs vœux et il craignait d'en être partiellement responsable.
Aussi, Aliénor ne manifestait pas le moindre début de grossesse et si Trystan ne comptait pas forcément la presser, il connaissait le devoir qui reposait sur ses épaules et par conséquent, celui de son épouse : produire un héritier, plusieurs même. Ses conseillers restaient encore silencieux sur le sujet et il se demandait si sa mère n'avait pas empêché certain d'avoir la langue trop pendue. Quoi qu'il en soit, il savait que cela finirait par revenir. Il savait aussi que les craintes étaient légitimes. Il était le dernier fils de ses parents, ses deux frères n'avaient laissé ni enfant légitime ou batards derrière eux. Si lui-même trouvait la mort avant d'avoir donné à Villevieille un héritier, le Bief se trouverait encore un peu plus empêtré dans les ennuis car les deux seules personnes susceptibles d'héritier du rôle de suzerain seraient ses sœurs. L'un était déjà mariée à un Frey et Alys... Alys était si jeune. Trystan savait que le Massacre de l'Hydromel l'avait ébranlée, et avec raison. Donnel pouvait être mort, Trystan lui en voulait toujours avec ardeur.

D'ailleurs alors que le tournoi venait de débuter, les mêlées tout juste terminées, c'était de sa petite-sœur que Trystan était à la recherche.
Il la trouva non loin de la sortie des gradins et en la voyant, il laissa un faible sourire illuminer son visage.

« Est-ce que ça va ? »

Il pose une main sur l'épaule de sa sœur, sincèrement inquiet. Malheureusement, il se rendait compte que toute cette violence pouvait lui faire penser à ses propres noces qui non seulement avaient été souillées par son frère et s'était soldées par la mort de son propre époux, un gosse en définitive, qui n'avait eu pour faute que d'avoir une croyance différente que celle des Sept. Et qu'Alys avait adoré.

« Allez viens, petite sœur. On devrait bien trouver de quoi se restaurer près des stands là-bas. »

Trystan était toujours ravi de partager son temps avec sa petite-sœur. Ils étaient les enfants de leurs parents qui avaient passé le plus de temps ensemble, ce qui expliquait sans doute pourquoi ils étaient si proches quand il n'avait jamais ressenti ça pour Ceryse et ses défunts frères. Peut-être la maîtresse de leur père avait-elle aidé à ce gouffre également...
Ils étaient encore jeunes, Alys et lui, quand Dyanne avait pu profiter de leur temps, plus jeunes que leurs trois frères et sœurs qui n'avaient jamais véritablement connus qu'une autre présence maternelle. Pourtant, si Trystan avait conscience des sacrifices de leur mère et de ce qu'elle avait du endurer, il semblait que les crimes de Donnel se soient répercutés sur elle en ce qui concernait Alys. Il le déplorait mais il savait qu'il ne pouvait rien y faire. Il importait peu que sa mère n'ait pas été au courant des stratagèmes de son frère en ce qui concernait le Massacre de l'Hydromel... Pour le reste du monde, elle était coupable au même titre que lui, si elle n'en était pas même l'instigatrice...


Sa mère, Trystan serait toujours là pour elle si elle en avait besoin, malgré son sale caractère et leurs chamailleries. Il reconnaissait son talent de politicienne de plus. Et c'est ainsi qu'il se rendait compte qu'elle n'avait pas besoin de lui pour porter les crimes dont on l'accusait.
Il en allait différemment pour sa petite-sœur cependant. Ainsi, le jeune suzerain se souciait des émotions présentes d'Alys durant ce tournoi, il se hâtait de l'éloigner de ces lieux où le sang et les affrontements entre hommes accaparés par leur égo et leur fierté prédominaient.
Un sourire naît sur le visage du jeune homme comme elle lui répond et joint sa main à la sienne, posée sur son épaule.

« Mère est occupée ailleurs, ne t'en fais point. Allez viens, chère petite-sœur. »

Alys le laisse l'entraîner avec lui, son bras élégamment et solidement noué au sien tandis qu'ils fuyaient tous les deux les gradins. Même si leur mère venait à s'inquiéter, elle serait sans doute accaparé par la vue des joutes et la présence d'Aliénor, Trystan ne se faisait point de soucis à ce sujet.

Il se contenta plutôt de marcher aux côtés de sa sœur, et de se faire du soucis quand à la question qu'elle lui posait. S'il était honnête, il y aurait bien des choses à dire concernant l'état de son cœur.
À vrai dire, il préférait ne point y songer la grande majorité du temps... Comment ne pas devenir fou quand on semblait s'éprendre d'une obsession folle pour la jumelle de son épouse, à qui on avait de surcroît pris la vertu lors d'un passage à Dorne et lorsqu'on ne savait point encore qu'elle s'apprêtait à devenir sa belle-sœur ?

Ce n'était pas qu'Aliénor était profondément ennuyante, cruelle, stupide, laide ou désagréable. Au contraire, Trystan se trouvait à adorer son épouse. Même s'il avait souvent l'impression qu'il y avait des ombres au-dessus d'eux, qu'il y avait trop de retenue entre eux malgré les trois années de mariage qu'ils connaissaient à présent... Il ne lui voulait aucun mal, il ne lui voulait aucun déshonneur comme son père avait pu le faire avec sa mère... Mais il était un homme, et les hommes semblaient prompts à la faiblesse...
Il n'aimait point Aliénor, même s'il l'adorait. Bien sûr, l'amour n'était pas une condition dans un mariage, il le savait bien et il aurait certainement pu vivre avec... S'il n'était pas épris de la propre sœur jumelle de la dite-épouse... S'il s'était simplement agi de désir, avec une autre surtout... Mais plus leur correspondance illégale perdurait et plus Trystan était forcé de faire l'aveugle et le sourd à ce qui s'éveillait dans son âme, à chaque fois qu'il parcourait ses mots interdits... Il pourrait bien être en train de tomber amoureux d'Antoinette Corbray...

Cela aurait peut-être été plus simple s'il ne l'avait jamais connu, s'il n'avait posé ses yeux sur elle que lors de son mariage. Ou alors était-ce parce qu'elle dégageait quelques chose qu'il ne trouvait pas chez Aliénor, si douce et parfaite ?
À quoi cela l'avancerait-il d'en obtenir une réponse, quoi qu'il en soit ? Cela ne l'aiderait point à se sortir de sa misère sentimentale...
À l'instant, Antoinette était encore loin mais il savait qu'Aliénor nourrissait le projet de la faire revenir auprès d'elle, comme dame de compagnie, à Villevieille même. Comment pourrait-il jamais survivre à sa proximité ? La perspective l'effrayait terriblement.

Néanmoins, rien de tout cela ne pouvait être partagé. Pas même avec sa tendre Alys. Trystan avait conscience qu'il jouait avec le feu. Mieux valait que le reste du monde ignore tout de ses troubles. De plus, il se faisait suffisamment de soucis pour sa sœur, il n'y avait nul besoin de l'accabler plus encore avec ses propres problèmes, même s'il avait eu pour projet de les lui confier.
Ainsi, un fin soupire échappe au jeune suzerain, qui se met à mentir.

« Très bien. Aliénor a l'air ravie de profiter de l'air du Val de nouveau. Peut-être cela aurait-il des effets de bonne augure. Mère l'espère en tout cas. »

Il fallait dire qu'en trois ans, Aliénor ne lui avait toujours pas donné d'enfants. Bien que ce temps ne lui semble pas outrageant, il savait bien que les seigneurs étaient prompts aux commérages et aux inquiétudes, surtout lorsque cela touchait à l'héritage. Et quel héritage... Il fallait dire que la succession du Bief reposait sur ses épaules...
Trystan n'était cependant pas pressé d'en discuter avec ses conseillers, ni avec Aliénor et encore moins d'envisager un futur rôle de père. Son rôle d'époux lui causer suffisamment de mal.
De nouveau, son sourire s'étire sur ses lèvres comme il penche la tête vers sa sœur, continuant de marcher avec elle vers les stands où ils pourraient consommer de la nourriture.

« Et toi ? Tu n'es pas pressée de devenir une tante impossible ? »

Il était étrange de garder un secret pour Alys. Elle était sa sœur la plus proche, sans doute parce qu'ils avaient grandi plus ensembles tous les deux qu'avec le reste de leur fratrie.
Mais Trystan avait appris à conserver au fond de lui ce qui l'unissait à Antoinette, tout comme il avait appris à garder ses inquiétudes sur son mariage avec Aliénor pour lui. Cela ne semblait pas juste de les infliger à Alys, qui plus est, il s'inquiétait probablement pour rien. Quand à Antoinette... Il se sentait déjà suffisamment coupable de ce qu'il cachait depuis son retour de Dorne juste avant son mariage et des lettres échangées avec la jumelle de son épouse, il n'avait pas envie de confier ça à qui que ce soit, même à Alys.

Volontairement, Trystan choisissait de se focaliser sur un autre sujet, de mentir à Alys mais il ne le faisait pas en songeant à mal, au contraire.
Il rit avec elle quand elle parle d'être une tante présente, et ses doigts pressent un peu les siens tandis qu'il marche à ses côtés, le soleil au-dessus du Val faisant flamboyer ses boucles dorées.

« J'imagine que nous n'avons pas vraiment d'autre choix que de l'être. Surtout après Axell et Donnel... »

La sollicitude d'Alys était touchante, elle lui collait à la peau, elle ne l'étonnait pas et le jeune suzerain sourit de plus belle à sa petite-sœur quand elle lui assure son soutien.

« Et je suis content de pouvoir compter sur toi. Mais tu sais, quoi qu'il arrive, je sais qu'Aliénor sera une mère formidable. »

Ce n'était pas parce que son cœur semblait toujours obsédé par la jumelle de cette dernière qu'il ne reconnaissait pas les qualités de son épouse, qu'il ne l'appréciait pas.
Trystan avait beau ne pas pouvoir sortir Antoinette de ses pensées, il ne pouvait pas lutter contre le fait que sa famille, il devrait la bâtir avec Aliénor. Que c'était elle son épouse, et qu'il ne pouvait rien y changer.

Voir sa sœur sourire et rire lui faisait du bien, le rassurait pour elle. Après le Massacre de l'Hydromel, elle méritait cette légèreté. Malgré tout, les traumatismes de ce mariage maudit ne semblaient jamais être loin, et Trystan ne fut pas vraiment surpris de son interrogation, même si elle semble se reprendre, si elle semble tenter de changer de sujet.

« Tu as parfaitement le droit de ressentir ça, Alys. Et mère le comprends. Évidemment, tu as encore toute une liste de prétendants mais elle ne m'en a pas parlé et tu as le droit de faire ton deuil de tout ça comme tu l'entends. La famille peut garder son opinion. »

Trystan lui offre un doux sourire finalement, lui rendant le sien tandis qu'il se met à observer les alentours, à la recherche d'une activité qu'ils puissent entreprendre.

« J'ai entendu dire qu'ils faisaient jouer diverses petites pièces de théâtre de rue, si le cœur t'en dit ? »