❝ the fires find a home in me ❞ ft. Tyrion Lannister

Les sabots de l'étalon blanc claquait contre les allées pavées de Castral Roc jusqu'aux écuries. La jeune fille sur son dos laissa un sourire étirer ses lèvres au moment où elle se glissait à terre puis qu'elle rejetait sa tresse argentée dans son dos. Le maitre des écuries prit les rênes de l'étalon et adressa un signe de la tête à l'adolescente.

« — How was he?
— A real sweetheart today. He'll be ready soon. »

Il lui adressa un sourire avant de s'éloigner avec la monture et la ramener dans son box. Du regard, elle suivit l'étalon qui, sous peu, en viendrait à tirer les carrosses des Lord et Lady Lannister. Puis la jeune fille, qui se faisait simplement appeler Aerea, se dirigea d'un pas léger vers un groupe de jeunes garçons qui travaillaient dans ces écuries et qui l'avaient accueilli plusieurs lunes auparavant.  En la voyant arriver, l'un des garçons lui lança un seau qu'elle attrapa d'un geste vif.

« — They need water over there. »

Sans une parole, elle hocha la tête et s'en alla jusqu'au puit des écuries pour y tirer de l'eau à la force de ses bras. Le geste était, certaines fois, encore difficile car elle n'était pas aussi musclée que les jeunes hommes. Ils avaient grandi en faisant des travaux manuels, pas elle. Elle tira l'eau une première fois, remplit l'abreuvoir du premier box et recommença par deux reprises. Arrivée au troisième box, elle fut interrompue par un jeune palefrenier.

« — People whispers about you, your silver hair and purple eyes. They say you come from the past.
— And?
— Is it true?
— They say your mother was a whore and sold you here for some silver stags. Should I ask you if it is true? »

Ses mots blessèrent le jeune palefrenier qui donna un coup de pied dans le seau qu'elle portait, il se renversa à la fois sur le sol et sur l'adolescente qui jeta le contenant en bois dans la direction du garçon.

« — Really?! »

Il évita son attaque, elle émit un grognement de mécontentement et s'en alla récupérer son seau, à moitié trempée. Elle le ramassa en pestant à voix basse. Elle détestait qu'on l'interroge sur son passé, elle ne voulait plus être la princesse Aerea. Ce temps-là était révolu depuis longtemps. Elle voulait juste être Aerea, palefrenière dans les écuries de Castral Roc. Le temps qu'elle se redresse, la moitié des garçons avaient quitté les lieux et le maitre d'écurie était sorti seller une jument à l'extérieur. Alors quand le petit Lord Lannister arriva, comme elle aimait le surnommer, il n'eut qu'elle pour l'accueillir. D'un geste, elle chassa la poussière de ses vêtements mais rien ne pouvait cacher son pantalon trempé, ses mains et son visage sale et sa tenue négligée.

« — Good morning, li... My Lord. Is there anything I can do for you? »

Il fallait qu'elle perde cette vilaine habitude de surnommer ceux qui l'entourait, pas toujours de manière agréable. Mais cette nouvelle vie de fille d'écurie la rendait plus joyeuse que celle qu'elle avait mené à Peyredragon et elle ressentait moins de colère qu'à cette époque. L'anonymat et la liberté que cela lui offrait été plaisant. Même si ses cheveux et la couleur de ses yeux attiraient l'attention, la plus part des garçons ici étaient illettrés et elle ne le pensait même pas pour être méchante, c'était la stricte vérité. Et même s'ils avaient su lire, sa propre existence remontait à plus de huit cents ans. Personne ne viendrait la chercher ici, même si sa mère venait à se relever d'entre les morts à son tour.

Combien de temps Tyrion avait-il passé à haïr Castral Roc ? Sans doute bien trop.
Pourtant, la fin de sa vie l'avait réconcilié avec le domaine. Il n'y avait pas passé beaucoup de temps, trop pris par ses obligations de Main du Roi, mais il y avait vu naître chacun de ses enfants, les voir grandir et devenir adultes à leur tour, parents même.
Partout où ses yeux se posaient, et malgré les siècles et les divers changements qui avaient pu toucher la demeure ancestrale des Lannister, Tyrion pouvait y voir un souvenir le frapper, les silhouettes lointaines et depuis fantômes de ses enfants et petits-enfants.

Pourtant, c'était des fantômes bien réels qui étaient revenus hanter le nain, dans les personnes de sa mère et de son père. La première avait laissé un grand choc pour Tyrion qui avait porté le poids et le blâme de sa mort toute sa vie durant. Le sentiment n'avait d'ailleurs pas disparu.
La retrouver lui avait donné soif, très soif. Il était vrai, il était allé boire toute une nuit dans une taverne mais les jours qu'il avait ensuite passé loin du château, il les avait passé sobre et ruminant. Malheureusement, lorsqu'il avait dédié son temps à réparer ses erreurs en servant Brandon Stark comme sa Main, Tyrion avait dû mettre au placard un certain nombre de ses anciennes habitudes et elles semblaient moins aisées à faire revivre que ce qu'il l'avait cru au premier abord, les perfides...

Inévitablement, il avait tout de même fini par rejoindre le château et s'était presque enfermé dans les appartements qu'on lui prêtait pour y lire. Tout et n'importe quoi, vraiment, mais tout pour qu'on lui fiche la paix et trouver une excuse de ne pas quitter ses appartements.
Cependant, il ne pouvait pas éviter indéfiniment de sortir. L'envie de se dégourdir les jambes l'avait frappé aujourd'hui et naturellement, il s'était dirigé vers les écuries. Tyrion avait toujours apprécié les chevaux, quand il en montait un, il avait l'impression d'être normal pour de courtes secondes.
Mais plus encore que la compagnie équestre, c'était une personne en particulier qu'il était allé chercher. En effet, il avait entendu des échos depuis quelques temps, sur la présence d'une fille dans les écuries qui avait grandement des airs de Targaryen. Bien sûr, la Maison Targaryen avait péri avec Daenerys Targaryen officiellement, officieusement, elle s'était éteinte avec Jon Snow, et depuis des siècles à présent, Westeros n'en avait jamais plus vu. Mais leur physique si unique ici n'avait pas été oublié à travers les âges.
La curiosité avait donc poussé le petit homme à sortir de sa réclusion dans sa chambre et à prendre l'air, à aller en quête de cette mystérieuse fille.

Il ne lui fallut guère longtemps pour trouver ce qu'il cherchait. Elle se trouvait dans un état pitoyable, pleine de poussière et trempée, apparemment la victime d'une farce peu amusante.
Mais il n'y avait aucun doute pour Tyrion qui avait côtoyé Daenerys pendant trop longtemps pour se laisser abuser. Jusque dans son énonciation, il n'avait aucun doute sur le fait qu'il ne faisait pas face à un simple fille d'écurie qui aurait hérité de caractéristiques valyriennes par le biais d'une mère ou un père venus de Volantis, Lys ou d'une quelconque autre Cité Libre.

« Mmh... Well... Your name would be a start. »

Avec autant de vivacité qu'il en était capable, Tyrion songea à toutes les Targaryennes sur lesquelles il avait lu et qui seraient assez jeunes pour correspondre à la fille face à lui. Il songea à Gael Targaryen un instant mais elle lui paraissait trop habile et fougueuse pour la dernière fille de la Bonne Reine.
Un seul autre nom apparut au plus petit des Lannister : Aerea Targaryen.

« May I suggest an answer, though ? Princess Aerea, is that it ? »

Tyrion l'observa un instant mais son visage n'était pas vraiment sérieux. Sa cicatrice était troublée alors par le léger sourire qui détendait les traits du nain.

« I believe, by the scene I have just witness, you are not eager for it to be known. Am I wrong ? »

Le petit seigneur qui venait d’entrer rappelait à Aerea le bouffon de la cour. Il n’était pas plus grand. Mais ce nain là n’était pas un bouffon, c’était un seigneur. Qui était le plus fou des deux ? Le bouffon ou le lord qui avait décidé de faire de son fils  un seigneur et non un bouffon ? Mais la jeune fille se devait de rester polie et courtoise, elle n’était qu’une simple fille d’écuries, pas la princesse qui pouvait se permettre d’insulter les lords avec l’assurance que sa mère les effrayait trop pour oser protester contre son attitude.
Cependant le petit lord lui demanda son nom et les sourcils de la Targaryenne se froncèrent. Voici qu’il faisait les questions et les réponses. Et qu’il savait qui elle était. Son sourire n’attendrît pas la princesse, au contraire. Que lui voulait-il ? La renvoyer auprès des siens à Peyredragon ? Obtenir une rançon de leur part en la retenant captive ? Elle n’oubliait pas les récits de sa mère qui, tour à tour, avait été bienvenue puis encombrante dans les châteaux des seigneurs. Castral Roc lui avait demandé les œufs de Songefeu et ils ne les avaient jamais eu, personne ne les avait eu car ces ces mêmes œufs avaient été volé par Elissa de la maison Farman.
La pensée pour sa vieille amie vint alourdir son cœur un bref instant mais elle l’oublia rapidement, tout comme Elissa l’avait oublié, pour se concentrer sur le Lannister qui lui faisait face. Et pour toute réponse, elle cracha par terre, juste à ces pieds.

« — There is no princess here, m’lord. I can be of help if it concerns the horses. But if it’s a princess you are looking for you came to the wrong place. »

Sans lui assurer de son identité, elle doutait d’en avoir besoin car il semblait bien sûr de lui sur la question.

« — I heard the capital is full of princes and princesses. May I suggest you to look there? »

Elle recula de quelques pas pour s’éloigner de lui, retourner doucement vers les chevaux. Ils étaient d’une meilleure compagnie que les humains car eux, ne posaient aucune question. Ils étaient fidèles et aucun ne viendrait à l’abandonner de son propre chef.

« — If you’ll excuse me, the horses needs to be fed. But if you ever saw a dragon lord rules again over those lands, come back here and I’ll gladly accept that you call me princess. In the meantime I am just Aerea. »

Elle se détourna de lui, prit le seau abandonné un peu plus tôt et s’en retourna au puit pour le remplir dedans et le remonter  difficilement mais déjà, elle ne portait plus d’attention au petit lion qui se trouvait dans les écuries. Pourtant, elle sentait encore sa présence dans son dos et il ne semblait pas prêt à partir, pour son plus grand ennui.

Au vu de ce que Tyrion avait vu avant qu'il n'engage la conversation avec la fille, il s'était attendu à s'attirer sa colère en mettant en lumière son identité. Cependant, il était vrai aussi qu'il ne s'était pas attendu à pareille réaction.
Il aurait pu s'en offusquer mais il était un nain. Il était habitué au manque de respect et aux plaisanteries peu sympathiques sur sa personne.
Ce crachait n'était qu'un rajout à une liste déjà bien longue et Tyrion se contenta d'en arquer un sourcil tandis qu'elle se faisait insolente et le plantait là pour retourner à son puit et littéralement, lui disait d'aller se faire foutre.

Définitivement quelque chose qu'Aerea Targaryen aurait pu faire d'après tout ce qu'il avait lu à son sujet. Tyrion resta planté où il était pendant quelques instants avant de faire quelques pas pour la rejoindre au puit.

« So not princess, I get it. »

Le petit homme fait une pause, non pas pour chercher quoi dire mais pour l'observer. Elle avait beau être née princesse, elle s'activait aussi bien qu'une fille du commun. Sans doute parce que ce n'était pas la première fois au cours de sa vie qu'elle pratiquait cette activité.

« What I don't get is why you are working here ? You could have gone anywhere in the world but you came back in Casterly Rock. I'm pretty confident about the fact a lot of places are way more interesting. »

Cette fois, le petit homme tenta un sourire à son attention, sa cicatrice se plissant sur son visage.

« I was only curious. I will not betray your secret, if it's one anyway. Your hair and eyes are difficult to hide. And that Targaryen look like. I knew a Queen with that same furious look once. »

Cracher aux pieds d’un seigneur, aussi petit soit-il, n’était pas digne d’une princesse. Et c’était bien la raison pour laquelle Aerea l’avait fait. Elle n’était plus une princesse et ne voulait plus l’être. Cette vie était loin derrière elle et elle n’y reviendrait pas. Elle était fille d’écurie et le resterait.
Au fond, pourtant, tout ce qu’elle désirait était un peu d’attention mais ce besoin maladif d’être remarquée par ses proches — qui était désormais tous morts depuis longtemps — l’avait conduit à sa perte. Lorsqu’elle avait sauté sur le dos de Balerion, elle l’avait fait pour attirer l’attention, pour énerver sa mère en choisissant ce dragon qui avait ôte la vie d’un père mais elle ne pensait pas aux conséquences de son acte ni aux dangers. Elle était si proche des dragons de Peyredragon qu’elle avait cru la tâche plus aisée même si elle était dangereuse. Elle ne pensait pas qu’elle serait incapable de plier l’immense créature à sa volonté d’enfant.
Reprenant sa tâche, Aerea se concentra sur les chevaux pour oublier le passé qu’elle détestait, qui la hantait si souvent dans ses rêves. Mais le petit homme la suivit, continua de lui parler et elle n’avait qu’une envie : le noyer dans le puit.

« — You may have a family living there, m’lord but mine is dead. A girl has to work to win her money. »

Elle n’avait pas l’intention de rester ici indéfiniment mais voyager coûter de l’argent qu’elle n’avait pas. Elle n’avait rien. Car à moins de voyager à pieds, et là encore il lui faudrait payer des auberges et des repas pour survivre, elle n’avait pas de cheval qui lui appartienne pour quitter ce lieu.

« — You may know your history and have a fancy education but not everyone has your chance. The people here don’t know how to read and Targaryen are gone for centuries. Do you think they know what they look like? »

Elle tourna la tête vers lui, arquant un sourcil tandis qu’elle tirait le seau hors du puit puis elle s’éloigna à nouveau pour aller remplir l’abreuvoir des chevaux. Ce Lord, comme beaucoup, semblait avoir peu d’idées de la manière dont les choses fonctionnaient ici. Ou avait-il décidé de les ignorer volontairement ?

« — I don’t know anything about the queen you knew but keep your stories for others. »

Elle versa le seau d’eau dans l’un des abreuvoirs, celui qui lui manquait et le laissa retomber le long de son corps. Elle était ici depuis plusieurs lunes mais parfois, le travail était pénible et fatiguant quand ses muscles se faisaient douloureux. Elle étira ses bras et tourna sur elle-même pour soulager la douleur dans son dos. Il y avait des jours où le confort d’un bon lit lui manquait.
Son regard d’améthyste se posa à nouveau sur le petit seigneur qu’elle prit le temps d’observer de haut en bas — ce fut assez rapide — avant de revenir vers lui.

« — Don’t be too curious, m’lord. There are things you does not want to know. »

Tyrion aurait pu tourner les talons face à l'attitude hostile de cette princesse. En fait, il aurait surtout pu la faire enfermer pour son crachat mais il n'était qu'un nain après tout, le respect était superflu envers sa personne.
De plus, il trouvait ce caractère bien trempé assez drôle. Elle lui rappelait certains visages du passé mais Tyrion n'aurait su dire qui exactement avec sûreté. Jon et Daenerys s'imposaient à lui bien évidemment mais ils avaient été aussi semblants que différents. De plus, le demi-homme essayait souvent de ne pas trop penser à eux, bien que le succès soit peu concluant, il en avait peur.

Il préférait toutefois largement se faire insulter par cette petite Targaryenne rebelle que de ressasser un passé trop douloureux ou croiser son père dans les couloirs.
Un ricanement lui échappe, tort son visage scarifié et difforme un instant quand elle tourne la tête vers lui pour le questionner inutilement.

« Enough to whisper and wake up some curiosity. That's how I found you in the first place. »

Il l'observa encore s'atteler à ses tâches, nourrir et hydrater les chevaux entre autre avant qu'elle ne le regarde de nouveau, avec toute son insolence. Et Dieux, elle semblait en avoir en réserve, les livres ne mentaient pas à ce propos.

« Ah, Valyria. Yes, yes, of course. I used to be curious when I was younger, I have to admit it. But... »

Un soupire échappa à ses lèvres qui souriaient à demi, amusées et ironiques.

« Since then, I believe I have seen my share of horrors. I don't need more. »

Tyrion la contourna finalement, se dirigea vers les étables. De son temps, les palefreniers et les garçons d'écurie gardaient toujours quelque gnôle sous le coude -combien de fois l'avait-il partagé avec eux, ou volé ?
Il trouva triomphalement ce qu'il cherchait, une bouteille d'un liquide bordeaux qui inspirerait des cauchemars à son père. Tyrion était un fin buveur, il savait appréciait les plus raffinés et les plus élégants vins, mais il savait aussi toujours se contenter d'une vulgaire piquette.

Ainsi, il revint près du puit et de la petite princesse qui ne voulait pas en être une tout en entamant la bouteille qu'il finit par lui tendre.

« It's not entirely true, you now. Your family. I have heard Targaryens were gathering in Dragonstone. »

Il s'installe contre le puit, assez petit pour que ce dernier puisse parfaitement caler son dos sans risque pour lui de tomber, ce serait si dommage de cracher sur le sacrifice d'un fidèle de sitôt.

« Though I guess given your past you would rather avoid them, right ? Don't worry, I'm not gonna tell anyone. On the other hand, whispers will probably attract attention. My father... »

Et il grimace, lève les yeux au ciel même en mentionnant ce dernier.

« He's a pain in the ass and frankly ? He might warn them. You might need a friend to hide. »

Aerea ne voulait pas être trouvée. Elle ne pouvait pas changer la couleur de ses yeux, même si elle masquait celle de ses cheveux. Alors elle n’avait fait ni l’un ni l’autre, elle s’était cachée dans les écuries en espérant que personne ne vienne l’y déranger et visiblement, elle avait eu tort. C’était le petit homme qui venait lui apprendre que déjà, on murmurait qu’elle était là. Elle ne voulait rien avoir à faire avec les nobles et les membres de sa famille revenus à la vie. Elle voulait qu’on la laisse tranquille, qu’on l’oublie et peut-être même voulait-elle oublier elle aussi. Elle l’ignora après qu’il lui ait dit qu’elle attisait la curiosité de certains mais la pensée l’effrayait. Allez-vous-en. Elle voulait hurler à la face du monde. Laissez-moi en paix ! Elle voulait crier plus fort encore à tous, à ses souvenirs en premier. Mais la paix, il n’y en avait aucune en elle. Elle n’était qu’une gamine traumatisée, effrayée de ce qu’elle avait vu et vécu et qui voulait qu’on cesse de s’intéresser à elle. Ou peut-être voulait-elle qu’on lui tende la main et qu’on la soigne, que quelqu’un lui dise que tout irait bien. Elle voulait l’étreinte d’une mère qu’elle connaissait à peine pour la rassurer et la réconforter. Mais qu’importe combien elle désirait cette présence, la reine Rhaena Targaryen n’avait jamais été très affectueuse. Elles étaient plus promptes à la dispute et aux cris qu’à de douces embrassades. Puis sa mère était morte depuis longtemps de toute façon.
Un frisson la parcourut, son corps se paralysa quand il mentionna Valyria. Les souvenirs revinrent comme des flashs, par bribes, pour la hanter. Son cœur se mit à accélérer et elle pouvait encore sentir les mains, les pattes, les griffes contre sa peau, elle pouvait se souvenir d’avoir hurler à plein poumons, appelé à l’aide mais personne ne venait. Elle pouvait se souvenir des créatures qui rampaient sous sa chaire et qui la brûlait, de la lente agonie qu’elle avait connu. Elle se souvenait de chaque instant jusqu’à ce que son cœur lâche. Un geignement lui échappa, comme si ses pensées lui faisaient mal et son visage se tordit de mécontentement. Sa main attrapa son bras, se crispa sur sa peau comme pour s’assurer qu’il n’y avait rien sous son épiderme qui se glisse et la dévore de l’intérieur.

« — Do not speak that name in front of me! »

Cette fois, ce n’était pas de l’agacement qui teintait sa voix mais un ton autoritaire, un ordre qu’elle prononçait sans retenue. Elle était insolence et elle avait tendance à se montrer sauvage mais elle avait été une princesse et elle n’en oubliait pas certaines choses qu’elle avait appris en observant ceux qui l’entouraient, en observant sa tante et son oncle ou même sa mère. Qu’elle le veuille ou non, le sang des dragons coulait en elle et un feu brûlait dans sa poitrine comme dans celle de chaque Targaryen qui avait un jour foulé ces terres.
Elle s’efforça, quand il se mit à la contourner, de se reprendre, d’inspirer profondément. It’s over now. You won’t go back there. It’s over… Elle pensait pour elle-même, pour se rassurer. Elle listait les bonnes choses qu’elle avait trouvé ici, les petits plaisirs de la vie qui l’aidaient à vouloir rester en vie et elle se força à reprendre sa tâche pour abreuver les chevaux. Seau à la main, elle le déversa dans le grand abreuvoir avant d’entendre à nouveau la voix du nain Lannister qui lui tendait une boisson. Elle l’observa encore une fois de haut en bas avant de grimacer et refuser sa bouteille d’un geste.

« — Dragonstone is a shitty place. There is nothing for me there. And no one will miss me anyway. »

La princesse aux cheveux d’argent eut alors un haussement d’épaules. Son oncle et sa tante l’avaient abandonné là-bas, entre les mains de sa mère, malgré les supplications. Et sa mère l’avait abandonné continuellement jusqu’à ce qu’elle décide qu’elle voulait la récupérer et la garder près d’elle. Pourquoi si ce n’était la torturer et la blesser davantage ?

« — They can gather wherever they want, our house is extinct and poor. Yours is still standing here, where it belongs since a millennium. »

Qu’était-il arrivé aux Targaryen ? Certains auraient pu croire qu’une jeune princesse de la Maison du Dragon s’y intéresserait mais ce n’était pas le cas. Elle ne pouvait pas s’en soucier moins. Ils avaient probablement mérité de s’éteindre pour toutes les horreurs qu’ils avaient créé et les souffrances qu’ils avaient infligé. Et celles qu’ils s’étaient infligées entre eux.

« — I insult you and you want to be my friend. Why? Do you pity me? »

Elle s’était arrêtée dans ses tâches pour lui offrir son attention cette fois, s’accrochant pour la première fois depuis longtemps au peu d’attention qu’on lui donnait à elle.

Il était vrai qu'il aurait pu éviter de parler de Valyria. Dès qu'il en prononça le nom, il se rendit compte de son erreur, difficile d'en faire autrement quand il vit la peur traverser les traits de la jeune fille.
Il doutait cependant, au vu de son caractère et au vu des spéculations sur ce qui lui était arrivé là-bas, qu'elle ait grand chose à faire de ses excuses. Sur un malentendu, elle finirait même par lui enfoncer la tête dans la boue pour se venger ou passer sa frustration et Tyrion n'avait aucune envie de sentir le crottin de cheval.
Ainsi, il se contente de la contourner de parler de Peyredragon, de lui apprendre peut-être que sa famille s'y rassemblait. Une information qui ne semblait lui faire ni chaud ni froid.
Son argument eût même le don de le faire sourire, elle n'avait pas tort. L'île ancestrale des Targaryens était loin d'être l'endroit qu'il choisirait pour le mot confortable ou qu'il désignerait comme un lieu agréable où vivre.

« I'll allow it, Dragonstone is a shitty place. »

En revanche, sa grimace s'accentua un peu plus lorsqu'elle parla de sa maison et du fait qu'elle tienne toujours un place. Elle n'avait pas du ouvrir de livres d'histoire dans une écurie, pauvre petite. Si elle avait su à quel point sa maison avait failli tomber en ruines à son tour entre les mains de sa sœur et de Joffrey.
Rien que d'y penser, il en était exténué.

« Yeah well, they have me to thank for that. I'm not sure it would if I had not taken care of it. »

Tyrion emprunta son ton le plus cynique et le plus présomptueux pour déclarer ce fait. En vérité, il n'en avait aucune idée. Peut-être que Genna ou l'un de ses cousins auraient eu une idée lumineuse et miraculeuse, qui sait ?
Quoi qu'au vu des évènements qui avaient suivi, il avait des raisons d'en douter.
En revanche, ses interrogations le firent rire. Un rire sincère et sans retenu alors qu'il haussait les épaules.

« I guess I am more sentimental than I thought and you remind me of some old friends. Or perhaps one of my daughters, I wouldn't say. »

Il voyait un peu de Daenerys en elle, un peu de Jon aussi et plus troublant, un peu de Baleria. Il pouvait dire que son envie de ne pas remettre un pied à Peyredragon était sincère or, il savait que sa présence avait été remarquée et il savait aussi que son père n'aurait aucune honte à aller gratter quelques faveurs auprès des Targaryens. Maudit homme.

« And believe me, I've heard far worse than your little insults, young lady. »

Un fin ricanement échappe au nain avant qu'il ne hausse de nouveau les épaules et ne commencent à avoir l'air de tourner les talons.

« I was about to go have some drink in town. You're welcome to join and have some fun. I bet you did not got out of her too much since you arrived. But that's up to you. »

Il parlait trop, le petit Lannister. Il abordait des sujets dont elle ne voulait pas parler. Aerea voulait qu’on la laisse tranquille, mener sa vie tranquillement jusqu’à ce qu’elle puisse acheter son cheval et s’en aller loin d’ici, explorer les Sept Couronnes sans jamais retourner à Peyredragon, sans jamais approcher ceux qui se revendiquaient de sa famille. Elle était seule dans ce monde et elle le resterait, nul ne pouvait l’aider à oublier, nul ne pouvait savoir ce qu’elle avait vécu. Elle emporterait le secret une nouvelle fois avec elle et peut-être ferait-elle bien de ne plus y songer mais ce n’était pas une chose évidente quand elle se rappelait de chaque instant et que les souvenirs la hantaient tout les nuits.

« — At least, you did save them from extinction. »

Personne n’avait sauvé les Targaryen et peut-être y avait-il une raison à cela. Peut-être était-ce mieux ainsi. Si on demandait à la jeune valyrienne, elle dirait qu’ils auraient dû rester mort, qu’il n’y avait pas de raison qu’ils reviennent en ce monde.
Aerea fronça les sourcils, elle lui rappelait sa fille ? Qu’est-ce que cela pouvait lui faire à elle, si elle lui rappelait une fille qu’il avait perdu il y a longtemps ? Alors elle roula des yeux, ne pouvait-on pas la laisser en paix ? Elle se contenta d’un grognement pour toute réponse, elle n’avait aucun désir de prolonger la conversation à cet instant, seulement de retourner auprès des chevaux, de prendre soin d’eux, d’occuper ses mains et son esprit.

Cependant, contre toute attente, quand il prit le chemin de la sortie, la perspective d’être seule à nouveau vint creuser un puit au creux de son estomac. Elle savait qu’elle penserait à cette conversation, même avec les chevaux et inévitablement, elle se souviendrait encore, les images défileraient sous ses paupières sans retenues, jusqu’à la faire pleurer.
La princesse observait Tyrion s’éloignait puis elle se mit à courir pour le rattraper et marcher à ses côtés, relevant un peu le menton fièrement.

« — I’ve never been drunk. Seems fun. »

Elle parlait avec sérieux, par fausse fierté. Puis, pour la première fois depuis l’arrivée du Lannister, elle abaissa un peu sa garde.

« — If I come with you, promise me to stop asking questions I don’t want to answer, never try to send me to Dragonstone and never ever spoke of… You know… »

Valyria. Elle ne pouvait pas souffler le nom, le rendre réel à nouveau. Cet endroit était oublié de tous, reculés et nul ne s’en approchait. Elle n’avait pas envie d’en parler, elle ne le ferait pas et elle ne lui dirait rien sur les horreurs qui résidaient là-bas. Ce qu’elle avait vu, ce qu’elle avait vécu, elle le savait maintenant, suffirait à rendre plus d’un homme fou. C’était son fardeau à porter et celui de nul autre.

« — Promise it, little man. »

« Perhaps. But one might wonder if Lannister would not be better be extinct. »

Et il délivre cette croyance avec un grand sourire, un petit ricanement. Bah, qu'est-ce qu'il en avait à faire des opinions des autres ? Cela faisait bien longtemps qu'il avait arrêté de s'en soucier, ce n'était pas maintenant qu'il allait recommencer. Mais bon. Il fallait avouer... Que s'il devait songer à sauvegarder une famille, une seule, dans tout ce merdier qui puisse faire perdurer son monde... Oh, les Lannister étaient bien loin sur sa liste de logique. Mais il ne pouvait démentir que quelque part, dans sa petite, pourrie et très égoïste personne, il y avait un éclat de satisfaction particulier à voir la maison Lannister tenir debout après tous ces siècles et de savoir qu'il en était le responsable, qu'il était l'ancêtre de tout ce beau petit monde. En fait, il fallait l'admettre, c'était encore plus satisfaisant quand il imaginait la tête de son père chaque fois qu'il devait y songer.

Mais ce n'était certainement pas cette pauvre gamine qu'il allait emmerder avec ça, elle devait déjà certainement avoir son lot. Et vu les menaces et l'attitude qu'elle adoptait envers lui, Tyrion n'était pas certain de ne pas terminer en mauvais état s'il continuait de lui tenir le pied. Il n'en avait même aucune raison à vrai dire, si ce n'était un sentimentalisme assez mal placé et peut-être même certainement bizarre.
Alors le nain finit par battre en retraite, non sans une dernière tentative avant de commencer à s'avancer vers la sortie des écuries. Il doit admettre qu'il est un peu surpris quand, finalement, il la sent accourir derrière lui pour commencer à marcher à ses côtés.

« Oh it is ! »

Le rire naissant du demi-homme se meurt légèrement lorsqu'elle finit par le mettre en garde sur les choses à ne pas faire pour sa compagnie. Tyrion en relève la tête vers elle, l'observant d'un œil -celui qui n'était pas défiguré. À vrai dire, il y avait une petite part de lui, celle de cet enfant solitaire, moqué et abandonné qui avait passé des heures à raffoler des livres en tout genre et surtout des histoires sur les dragons, qui était un peu curieuse.
Mais de là à aller ouvertement interroger une pauvre gosse clairement traumatisée ? Non, il n'était pas si fou, il avait vu son lot de traumatismes, merci bien.
Et finalement, il éclate de rire quand elle lui demande de promettre.

« I promise. Well, if I ask a question you don't want to answer to I might not know it but you can still tell me to fuck off. »

Ils sortent des écuries et Tyrion lui fait signe de la suivre, empruntant le chemin qui les mènera vers une taverne confortable de Port-Lannis.

« This way, girl. »

Tyrion la guide et la marche se fait plutôt silencieuse jusqu'à ce qu'il pousse la porte de la taverne. À cette heure-ci, il y a un peu moins de monde qu'à l'habitude et il lui faudrait du mal pour qu'on ne le reconnaisse pas.
Il jette quelques pièces en direction du barman et sans s'arrêter, guide Aerea jusqu'aux tables du fond où ils seront tranquilles. Sans attendre, le propriétaire des lieux leur amènent deux généreuses choppes de vin et Tyrion attrape la sienne pour la tendre en direction de celle de la Targaryenne.

« Cheers up princess ! To your first pie-eyed ! »

Il porte alors la boisson à ses lèvres, l'engloutit presque entièrement mais quel intérêt de s'inquiéter quand le patron les ressert déjà ? À la place, le nain observe un peu sa compagne de beuverie.

« So... They all say you exchanged your place with your twin sister, is that true ? I always wondered. »