❝ A place of dragons and dragonlords ❞ ft. Viserys Targaryen

JOUR 3, LUNE 6, ANNÉE 873

Douce torture que celle des souvenirs. Même le plus beau et le plus doux d’entre eux pour devenir douloureux lorsque les êtres proches ont disparu et laissent un vide dans le cœur des survivants. C’est ce que ressent la princesse de Peyredragon chaque jour alors qu’elle refuse de quitter la forteresse où elle a vécu ses plus heureuses années. Pourtant au détour de chaque couloir, les images dansent sous ses yeux et la torturent. Mais il y a des douleurs et des souffrances préférables au vide qu’elle ressent en elle.
Le château est dit maudit par les locaux car chaque famille ayant tenté de s’y installer depuis la mort des derniers Targaryen y a connu un sort funeste. C’est ce que les pécheurs du village au pied de Montdragon ont raconté à la princesse Rhaenyra et cela ne l’a pas empêché d’y demeurer. Ils sont en droit de se demander si elle ne tente pas le destin par un tel acte mais à ses yeux, elle ne reprend que ce qui lui revient de droit. Il n’y a nul lieu où elle veut se trouver plus qu’ici, quand bien même c’est en ces lieux qu’elle a mené son dernier combat, sa dernière défaite et qu’elle a rencontré son fatal destin.
Peut être est-ce elle le fantôme qui hante ses murs. Car elle n’est que l’ombre de celle qu’elle fut dans sa précédente vie. Brisée et trahie tant de fois, il ne reste aucune de ses ambitions passées si ce n’est celle de retrouver la solitude dans laquelle elle fut plongée à la fin de sa vie, ou dans son adolescence, toujours entourée mais jamais comprise. C’est pourtant ici qu’elle voit le souvenir de ses enfants se manifester tels des fantômes et il lui arrive parfois de les suivre pour les découvrir disparus dans la pièce suivante. La solitude dans laquelle elle a vécu recluse ici, elle l’a choisi. Car nul n’habite Peyredragon, laissé à l’abandon depuis des siècles. Les vitres de certaines pièces ont depuis longtemps été brisées par les tempêtes et l’eau et les vents se sont engouffrés dans celle-ci pour tout détruire, faire pourrir le bois des meubles et les parchemins et ouvrages laissés là. Quelques rares endroits ont été épargnés cependant, comme la salle de la Table Peinte, la salle du trône, quelques appartements, les cuisines puisqu’elles ne comportent nul fenêtre et la bibliothèque où quelques œuvres datant du temps de Valyria elle-même se tiennent encore mais dont les pages menacent de s’effriter à chaque manipulation.

C’est une toute autre sorte d’ouvrage que la Targaryenne tient entre ses mains. Après avoir lu sur la fin de leur dynastie, sur les guerres qui virent la mort des derniers Targaryen et sur les Marcheurs Blancs contre lesquels le Conquérant a mis en garde il y a bien longtemps, elle s’est désormais plongée dans l’histoire des siècles qui ont suivi et les règnes des rois qui ont suivi. Le chapitre porte sur le roi Martyn Templeton et ses accomplissements. Malheureusement, ses pensées la traînent vers d’autres époques. Car depuis quelques jours, sa solitude est rompue par les arrivées successives de son oncle-époux Daemon Targaryen puis de la reine Visenya elle-même. La présence de Daemon, malgré les belles années qu’ils ont passé à Peyredragon ensemble, lui rappelle sans cesse sa trahison, son ultime abandon et les blessures dans son cœur qui ne se refermeront jamais.
The truth does not matter, Rhaenyra. Only perception. Son père, Viserys Targaryen, premier du nom, Roi des Andals, des Rhoynar et des Premiers Hommes, Seigneur des Sept Couronnes et Protecteur du Royaume avait un jour prononcé ces mots. Elle ne les a pas jugé sage en ce temps-là mais lorsque son premier fils est né, les cheveux bruns et les yeux noirs, elle a compris ce qu’il voulait dire. Et alors seul les apparences ont compté durant ces dix années de mariage où elle s’est trouvée plus entourée d’ennemis que d’amis. À nouveau, elle fait compter les apparences aujourd’hui. Brisée à l’intérieur, hantée par les morts successives de ses enfants et la perte de tout ce à quoi elle tenait, de tout ce qu’elle possédait, elle ne peut laisser voir sa faiblesse, ni à l'oncle qui l'a trahi ni à la reine qu'elle a admiré dans son enfance.

La porte de la salle de la Table Peinte s'ouvre, l'un des pécheurs venus livrer à Peyredragon quelques poissons pour permettre à ses habitants de subvenir à ses besoins l'interrompt dans sa lecture. Habituellement, ils viennent, laissent la cargaison dans les cuisines et ne lui adresse aucune parole. Aujourd'hui est différent.

« — Nous en avons trouvé un autre, annonce-t-il à la princesse. »

Il n'a pas besoin de préciser davantage pour que Rhaenyra ferme le livre entre ses doigts, se lève du fauteuil installé près du feu et y abandonne l'ouvrage pour suivre le pécheur. Elle descend les marches de la Tour Tambour, ses cheveux d'argent ramenés vers l'arrière de sa tête battent dans son dos tandis que les pans de sa robe rouge et or se meuvent au rythme de ses pas jusque dans la salle du trône qu'elle n'occupe pas, dont elle ne veut pas mais la pièce est prompte à donner une audience. Devant elle se tient un Targaryen, nul doute n'est possible lorsqu'elle aperçoit sa chevelure qui fait écho à la sienne et ses yeux violets, il possède les caractéristiques idéales d'un Valyrien.

« — Soyez le bienvenu à Peyredragon, jeune prince. »

La princesse s'avance vers lui, son regard lilas le détaille et constate qu'il est, de toute évidence, bien plus jeune qu'elle.

« — À qui ai-je l'honneur? »

JOUR 3, LUNE 6, ANNÉE 873

Chaque quinzaine, de nouveaux Targaryen semblent surgir à Peyredragon. Combien seront ramenés ? Sont-ils réellement les héros dont les Fidèles de Trios semblent avoir besoin pour ramener l'ordre dans les Sept Couronnes ? Car Rhaenyra, pour toute l'ambition qu'elle possédait dans sa vie précédente, sait qu'elle ne ramènera pas l'ordre dans le royaume. Elle l'a déchiré une fois et plus que le royaume, c'est sa famille qu'elle a déchiré, ses fils qu'elle a perdu et pleuré les uns après les autres. Les sacrifices au nom de son père, au nom de la Chanson du Feu et de la Glace furent trop grand et elle n'est pas prête à les refaire. Elle n'a plus rien à sacrifier si ce n'est l'époux qui l'a abandonné et trahi et pourtant, qu'elle refuse de laisser repartir.
La présentation du Targaryen qui lui fait face l'éclaire immédiatement. Fils d'Aerys II et sa sœur-épouse Rhaella, frère de Rhaegar et Daenerys, il a fui à Essos très jeune et y est mort. Les livres qu'elle a lu lui en disent peu sur lui, sur la vie qu'il mena à Essos si ce n'est qu'elle fut ponctuée de fuites répétées.

« — Les Baratheon ont perdu tout honneur et oublié à qui ils doivent leurs terres, leur nom et leur sang. »

Le sang d'Argella Durrandon coule certainement dans leurs veines mais leur nom, ils le tiennent d'Orys Baratheon, frère bâtard du Conquérant. Tout ce qu'ils possèdent, ils le doivent à la maison Targaryen et pourtant, combien de fois ont-ils tourné le dos à leur sang ? Elle-même garde une certaine rancœur envers Lord Borros qui a tourné le dos à son sang direct en refusant de se joindre à elle et à Rhaenys.

« — Je suis familière avec l'histoire de votre sœur. Je crains malheureusement que la votre se soit perdue après votre fuite de Peyredragon. »

Daenerys et elle possèdent plus en commun qu'elle n'aurait pu le croire au premier abord. Car elles ont été les seules femmes à faire-valoir leurs droits sur le Trône de Fer et le combat pour le récupérer les a détruites et menées droit vers leurs morts. Tout comme elle, sa descendante a été trahie par un bâtard mais d'une manière différente. Celui de Daenerys lui a ôté la vie, celle qui hante Rhaenyra lui a pris son amour.

« — Princesse Rhaenyra Targaryen, si nous devons en croire les livres d'histoire. Il semblerait que mon règne n'ait pas compté, bien que mon sang coule dans les veines des rois qui m'ont succédée. Et dans les vôtres également. Mais on dit que l'histoire est écrite par les vainqueurs et il y a du vrai dans ces mots. »

Le Prince Viserys semble entretenir une certaine rancœur envers sa sœur et cela, elle l'a remarqué et n'hésite pas à l'interroger. Visenya possède certainement vers château mais Rhaenyra n'y laissera pas de dangereuses querelles y prendre place. Elle a vu sa famille périr une fois et ne sont guère les bienvenus à Peyredragon ceux qui désirent vengeance envers leur propre sang. Elle a besoin de savoir les siens en sécurité au sein de la forteresse, de savoir qu'elle ne les verra pas mourir, qu'elle ne perdra pas le peu qu'il lui reste. Elle a besoin de savoir que cette fois, Daemon vivra.

« — Votre sœur, vous aurez-elle causé quelques torts pour que vous parliez d'elle avec tant de dégoût ? »