❝I lack the colours reflected in your eyes❞ — ft. Argella Durrandon

La douce odeurs des cuisines avait quelque chose de réconfortante pour Argella. Un sourire étirait ses lèvres alors qu’elle était assise contre un comptoir, le jaune de ses jupes blanchissant sous la farine. La vie à Accalmie était différente de celle qu’elle avait eu par le passé, c’était assez certain. Jamais l’ancienne Suzeraine ne s’était sali les mains en cuisine et il était moins encore plausible qu’elle eut tenue une arme dans ses mains, pourtant elle partageait aujourd’hui ses journée en deux. Le matin était dédié à l’entrainement au maniement de la dague, à la course à pied ou encore au tir à l’arc. L’après-midi, après un repas et un bain, c’était dans les cuisines ou à la laverie que la jeune orageoise occupait ses mains et son esprit, préférant cela au ruminement quotidien des nouvelles qui traversaient le continent, alimenté par des ragots terrifiants.

“It smells divine. I love stews,” commenta la jeune femme en essuyant ses mains sur un torchon, se rapprochant d’un plan de travail.

Si sa maladresse était encore assez évidente, il y a quelques lunes qu’Argella ne s’était plus coupée ou brûlée. Les domestiques s’assuraient toujours que la lady soit en sécurité et cette dernière avait trouvé, en elles, de véritables amies qu’elle n’avait jamais réellement eu. Dans sa jeunesses, les jeunes dames de son entourage étaient trop âgées ou trop sottes pour intéresser la princesse de l’orage. Les garçons étaient déjà plus funs, mais en prenant de l’âge et de la maturité, la brune avait rapidement saisi toute l’impossibilité de telles amitiés. Il n’était pas bien de garder une proximité douteuse avec la gent masculine et ainsi, Argella devint une jeune noble sans réels amis, souriant faussement ici et là.

Son attention était tellement accaparée par quelques tartes que l’orageoise ne remarqua pas tout de suite la présence de son père. Il fallait dire pourtant que lord Argilac Durrandon n’était pas un homme qu’on manquait facilement. Si l’âge l’avait rendu vieux et tremblant, il restait d’une haute stature que peu d’hommes atteignant dans leur vie et bien moins encore à cinq et sept dizaines d’années. Sa voix orageuses résonnait sur les murs comme une le tonnerres des cieux et elle portait bien plus de complainte que de bonnes nouvelles. Pourtant, si l’on demandait à la lady Argella, elle restait très heureuse d’avoir un tel père. Il était un orageois fier et fort, le genre qu’on ne faisait plus réellement et qui se perdait au fil du temps. Seul l’appel de l’homme lui fit relever ses yeux et la jeune femme sourit alors largement en se pressant pour rejoindre son père.

“Father, what a blessing, what a blessing. What are you doing here?”

Sa question était teintée d’inquiétude après qu’Argella eut entendu qu’on avait vu son père désorienté et perdu dans les couloirs de sa propre demeure. Argilac avait toujours vécu ici, il devait connaître les lieux mieux encore que sa propre fille, cela ne faisait aucun sens. Alors la jeune femme s’était assuré que le mestre s’occupe de lui et que quelques domestiques soient à ses côtés pour l’occuper. Voilà pourtant que son père était arrivé jusqu’ici seul, sans personne avec lui pour le guider et sa progéniture s’inquiéta quelque peu. Sa main se pressa contre celle du plus âgé, lui offrant un sourire qui se voulait rassurant.

“Did you rest like the master told you?”

Il était rare qu’Argella fasse preuve d’une telle douceur. Habituellement, son enjouement la prenait et elle devenait une jeune femme confiante tandis que d’autres fois, une gravité mélancolique habitait ses traits, lui donnant quelques années de plus, celles que son cœur ressentait quand elle était toute seule avec elle-même. Il fallait dire que l’ancienne Princesse de l’Orage avait vécu vieille et l’aigreur de sa solitude avait transformer sa tendresse en une glaciale indifférence. Pourtant, depuis que les choses allaient mieux entre eux, il semblait impossible à la belle de s’emporter, sûrement parce qu’elle s’inquiétait pour son père et sa santé défaillante. En l’écoutant, cependant, ses sourcils se froncèrent en une expression inquiète, son bras se glissant sous le sien.

“What do you mean? What have you done, Father? Come on, come with me,” commença-t-elle avant de se tourner afin de s’adresser aux cuisinières. “I’ll be back in a minute or two.”

Argella guida alors son père jusqu’à un petit salon privé, refermant la porte derrière eux en s’assurant de bien assoir le plus âgé. Elle se montrait particulièrement attentionnée avec lui, comme si elle profitait des derniers instants que les Dieux leur avaient refusé dans leur ancienne vie. La brune s’accroupit ensuite, prenant la main d’Argilac dans la sienne, caressant ses doigts de son pouce avec lenteur.

“Father, talk to me… What have you done?”

Plus les instants passaient, plus Argella s’inquiétait de l’état de son père. Argilac avait toujours semblé un peu fou et colérique, cela n’avait rien d’une nouveauté. Pourtant, quand elle l’observait, c’était comme si la jeune femme ne le reconnaissait pas. Il semblait que le vieil homme était perdu dans des brumes qu’elle ne pouvait pas traverser et cela la terrifiait terriblement. L’orageoise continua alors à caresser sa main, observant ses traits.

“Because you are not looking very good, Father. I’m worried about you.”

Et son inquiétude devint une peur quand Argilac sembla ne plus la reconnaître si soudainement, qu’il avait les yeux plein d’une confusion que sa fille ne pouvait plus chasser. Mylenda, il s’agissait du nom de sa mère quoique la jeune femme ne l’eût jamais connu. Son père, d’ailleurs, n’en parlait jamais, mais ses bannerets disaient souvent que la lady Mylenda était une femme pleine de compassion qui se réjouissait des petits bonheurs de la vie. Elle se souvenait aussi qu’on disait que ses parents s’aimaient et que la perte de son épouse avait été tragique pour le roi de l’Orage. Il ne s’était jamais remarié d’ailleurs et pour cela, Argella lui en avait été reconnaissante. Il ne devait pas être aisé de vivre avec un seul héritier, plus encore une fille.

“Father… Dad. I-”

Quand l’avait-elle appelé ainsi pour la dernière fois ? Argella n’en savait rien. Il lui semblait que cela remontait à ses douze ans, quand elle avait attrapé une maladie qui avait manqué de la tuer. I love you Dad, avait-elle alors dit en toussant, perdu dans les limbes de la fièvre. Et puis, les Dieux avaient été bon et l’orageoise avait vécu. Aujourd’hui, son père semblait avoir perdu le contrôle et sa fille caressait ses mains dans les siennes, lui parlant tout bas pour essayer de le ramener à elle, en vain.

“What are you talking about. Dad, Harren is dead, please look at me.”

Harren. Ce nom, la dernière des Durrandon le connaissait parfaitement. Toute son enfance, Argella avait entendu son père se plaindre de son plus grand rival, des disputes qu’ils avaient eu pour un oui ou pour un non. Elle se souvenait que Argilac le haïssait et pourtant, qu’ils se respectaient et quand Harren le Noir était mort, le roi de l’Orage avait organisé une veillée pour lui, qu’il avait semblé triste. De cela, la brune ne savait pas s’il s’agissait de quelque chose de réel ou de souvenirs modifiés avec les siens lorsqu’elle avait organisé une veillée nocturne pour Orys, qu’elle avait été si bouleversée par sa mort que la lady Suzeraine avait pleuré toute les larmes qu’il lui était possible de verser pour son époux. Et puis, ses sourcils se froncèrent doucement, écoutant les derniers mots de son père avant qu’il ne revienne enfin à lui, la surnommant Argie comme dans on enfance.

“Oh Dad, what have you done. When did you send that letter?”

Il n’y avait pas de colère sur les traits de la jeune femme. A la place, ses mains lissaient les chausses, cherchant quelques réponses dans le regard de son père. Il lui paraissait évident qu’Argilac n’avait plus toute sa tête et l’orageoise n’avait pas exactement compris à quel point le plus âgé n’était plus très sain d’esprit. Argella pressa alors un baiser contre les mains de son père après un instant, soufflant lourdement.

“I need to warn lady Elenda, and Stannis. Oh, fuck. Listen to me, Father, you are going to stay with me now, always. I do not care if you it makes you angry or anything. Do you hear me?” demanda-t-elle alors avec une grande autorité qu’elle ne révélait pas souvent. La brune se leva alors, enroulant son bras autour de celui de son père. “Come on now. Let’s… Uh… Let’s tuck you into some chair with some kidney pie, yes?”

Et la lady Baratheon, tel qu’elle se faisait appeler désormais, emporta son père vers un petit salon non loin des cuisines s’installant près de lui dans un fauteuil. Les flammes dansaient devant leurs yeux et alors, Argella trouva le courage de demander des choses qu’elle n’avait jamais osé aborder par le passé.

“How was my mother? You never said a word about her before, why?”